« Le Club a de nouveau une équipe »

Il a mis fin à sa carrière de joueur puis à celle d’entraîneur, las des conflits au Club de Bruges :  » Il vaut mieux ne pas se lancer dans les affaires avec des amis. C’est vrai en football aussi « .

Napapijri est une marque vestimentaire italienne que Gert Verheyen propose dans sa boutique de Knokke, sise dans une rue proche de la digue. On ne prononce pas le j. L’ancien attaquant nous explique aussi qu’en fait, c’est un mot finnois qui signifie Cercle polaire.

En ouvrant une boutique dans la très mondaine Knokke, vous êtes plus anderlechtois que brugeois non ?

Gert Verheyen : Joueur, je faisais régulièrement du shopping à Knokke le dimanche matin. Mes parents possèdent un appartement ici depuis longtemps. Je ne vends pas de la haute couture. Ça, ce serait peu bizarre de ma part.

Pourriez-vous vivre de cette seule boutique ?

Je ne voulais pas quitter le football à tout prix mais il n’est pas facile de trouver une activité qu’on aime autant. J’ai été entraîneur pendant un an des Espoirs du Club. Cette saison a été intéressante mais elle n’a pas été géniale non plus. En revanche, le poste de commentateur est chouette sur Belgacom TV flamand et je ne le laisserai jamais tomber. C’est pour cela que j’ai cherché une activité accessoire. On ne peut à la fois être commentateur et travailler dans un club, selon moi. Je me sentais freiné et cela pose problèmes à tous ceux qui sont attachés à un club. La boutique est venue à point nommé. J’ai dû tout apprendre mais il n’est pas nécessaire d’être ingénieur pour vendre des vêtements.

Vous vouliez quand même être entraîneur en chef, un jour ?

Non, pas du tout. J’ai délibérément choisi de ne pas l’être. C’était déjà clair quand j’ai commencé à entraîner les Espoirs. On peut être le meilleur des entraîneurs, travailler beaucoup, dispenser les meilleures séances, si on a le malheur de perdre trois fois de suite, on est viré. C’est un poste inhumain, dépourvu de justice. Je ne voulais plus passer en jugement semaine après semaine, après toutes ces années. Si j’ai un mauvais jour dans ma boutique, ce n’est pas dans les journaux le lendemain. La vie d’un entraîneur est pire que celle d’un joueur : un coach est impuissant quand ses footballeurs sont mauvais sur le terrain.

Vous avez quand même entraîné les Espoirs. Pourquoi ?

Parce qu’arrêter de jouer n’est pas si facile que ça ! Que faire ? C’était la transition idéale, même si j’aurais dû avoir le cran d’attendre et de réfléchir un peu. J’ai même demandé ce poste mais j’ai vite remarqué que ce n’était pas mon truc. Les autres entraîneurs étaient collés à leur ordinateur du matin au soir. Je ne voulais pas devenir comme eux. Le ballon heurte le poteau ou rentre dans le but. C’est ça, le football. Le hasard joue un rôle important. On ne peut tout expliquer avec un ordinateur.

Fou d’Emilio Ferrera

Vous appréciez Emilio Ferrera.

En effet. Ses séances étaient très novatrices. Il était très enthousiaste. Chaque action était sous-tendue par un objectif soigneusement pensé. C’est un excellent entraîneur de terrain.

Mais aussi un maniaque du contrôle, attentif aux détails et à l’aspect scientifique du sport.

Cette image n’est pas tout à fait exacte. Il s’intéresse à ces aspects mais quand on parle football avec lui, c’est du jeu. Surtout de la défense. Beaucoup de mes entraîneurs se bornaient à dire que nous jouions à quatre en défense mais c’est Emilio qui m’a appris comment ces quatre hommes devaient fonctionner de concert. Trond Sollied simplifiait la défense et structurait très fort l’attaque. Ferrera tenait le raisonnement inverse : nous allions défendre de manière pré-établie alors que l’attaque était une question d’intuition. Il m’a appris que défendre pouvait être esthétique, ce qui ne m’avait jamais interpellé, en ma qualité d’avant. Voir une défense en ligne est très beau. J’ai énormément travaillé cet aspect avec mes Espoirs.

Ceux qui vous connaissent affirment que le football perd un excellent entraîneur.

Je ne sais pas. Il faut être extrêmement ambitieux pour vouloir être le meilleur dans un secteur. Je n’avais pas ce désir. Mieux valait donc ne pas commencer.

Glen De Boeck est donc différent ?

En le voyant et en l’entendant, je comprends ce qui me manque. Cette passion, cette envie… Beaucoup de proches, Franky Van der Elst, Willy Wellens, Emilio…, ont souffert, sans oublier cette année avec Jan Ceulemans. Et René Verheyen… Voir un entraîneur qui vient d’être limogé quitter le vestiaire n’est pas marrant. Il faut le vivre pour comprendre à quel point cela touche un homme. Regardez ce que Vercauteren a essuyé ! Je ne veux pas vivre ça. Un entraîneur doit en fait être à la bonne place au bon moment.

Sans amis

N’était-ce pas précisément votre problème ? Au Club, les joueurs n’avaient jamais accepté que vous étiez opposé à la seule règle édictée par Sollied, à savoir qu’il n’y a pas de règles en dehors du terrain.

La philosophie de Sollied me posait moins de problème que la manière dont des joueurs profitaient de celle-ci.

Vous étiez aussi proche de Franky Van der Elst, que les joueurs n’appréciaient pas, contrairement à René Verheyen, qui a dû lui céder sa place ?

Ah oui ? Alors, ils ne l’ont pas vraiment montré. Cela n’a pas eu d’influence sur ma décision.

Van der Elst limogé, Degryse démissionnaire. Vous vous êtes retrouvé seul, sans amis. Quel effet cela vous a-t-il fait ?

Si j’avais eu l’ambition de devenir entraîneur, je serais resté, même si de bons amis étaient partis. Travailler toute sa vie avec ses copains est une utopie. Ajoutez-y Hans Galjé, avec lequel j’avais de nombreux contacts. Le Club ne savait pas très bien où il voulait aller avec ses Espoirs. J’ai posé le problème sur la table. Souvent, je me retrouvais avec six ou huit joueurs que je devais occuper.

N’étiez-vous pas frustré que Luc Devroe, le successeur de Degryse, n’avait toujours pas pris contact avec vous après trois mois ?

A ce moment, le noyau A requérait toute son attention. Nous avons discuté une fois mais il devait résoudre des problèmes plus importants. Les Espoirs ne sont que des Espoirs. On n’y attache pas beaucoup d’importance. Je l’ai remarqué durant cette année. La plupart des clubs en ont par obligation.

On ne vous a jamais demandé de devenir adjoint ?

Non et je n’aurais pas accepté. Si. Luc m’a demandé si j’accepterais, en cas de nécessité, et j’ai répondu par la négative. Glen l’a fait à Anderlecht mais dans ces circonstances, je n’aurais jamais accepté de devenir l’entraîneur adjoint de footballeurs avec lesquels j’avais joué. Je les connaissais que trop bien. Je savais ce qu’ils pensaient, ce qu’ils disaient, ce qu’un entraîneur n’apprend jamais, normalement. J’étais au courant et franchement, cela m’aurait posé problème.

Après tout ce qui s’était passé, le Club voulait-il se débarrasser de vous ?

Au contraire. Je n’ai jamais eu le sentiment qu’il souhaitait mon départ et j’espère qu’il n’en a jamais été question. Franky et moi sommes amis mais ce n’est pas parce qu’il a un problème avec quelqu’un que j’en ai un, moi aussi.

Ambitions télévisées

Vous faites du vélo avec Van der Elst et Degryse mais êtes-vous toujours en contact avec Jan Ceulemans ?

Nous nous rencontrons par hasard. La saison passée, nous avons disputé un match contre des journalistes, pour une bonne £uvre. Après, nous avons pris un verre ensemble. Je n’ai jamais joué avec lui. Il a été mon entraîneur. Nos rapports sont différents.

Vos camarades de sport ne boivent plus une bière avec lui ?

Franky bien. Marc et le Caje vont se réconcilier aussi. Le temps cicatrise toutes les plaies. Tout cela est regrettable mais prévisible. On dit toujours qu’il vaut mieux ne pas faire affaire avec ses amis. Cela vaut aussi pour le football. Il y a toujours de moins bons moments, durant lesquels il faut désigner des coupables. C’est encore plus compliqué quand il s’agit d’amis.

Ce n’était donc pas une bonne idée ?

Non. Au moment même, c’était chouette mais il faut se demander ce qui arrivera dans le pire des cas. Nul ne s’est posé la question. On a cru que tout allait bien marcher, qu’on n’en arriverait jamais là. Maintenant, ce n’est pas parce que Marc et Jan ne sont pas encore réconciliés que je ne dois plus être en contact avec eux.

Vous avez déclaré que vous vouliez devenir vraiment bon en télévision !

Quand je n’ai pas été bon, j’en suis aussi malade que quand j’avais mal joué. Donc, je nourris une certaine ambition. Mais suis-je vraiment bon ? Il est déjà difficile de se voir jouer et d’apprécier sa prestation. C’est encore pire à la TV. Quand j’étais footballeur, on me répétait que mes interviews étaient bonnes. Un an avant ma retraite, on m’a sondé. Commenter un match en direct n’est pas aussi simple que répondre à des questions. Je n’ai jamais sous-estimé ce travail. Imaginez que vous vous trompez de nom : c’est impensable ! Avant, entendre un commentateur se tromper me heurtait. Il y a évidemment des trucs, je le sais maintenant. Quand on n’est pas sûr, on dit  » le défenseur  » (Rires).

Du danger de la spéculation

Que pensez-vous du championnat ?

Je n’avais jamais vu de matches du ventre mou ou du bas du classement mais un match ne doit pas être d’un haut niveau pour être intéressant. Un Malines – Brussels était chouette à commenter par exemple. J’ai vu plus de bons matches que de mauvais jusqu’à présent. Un commentateur vit le match, il est très concentré, comme un joueur. Souvent, après-coup, les footballeurs sursautent : -Etait-ce si mauvais ? Or, ils ont fait de leur mieux, exactement comme le commentateur. Un spectateur est plus détendu. Il a donc tendance à dire plus vite que c’était mauvais.

Quel regard portez-vous sur les matches ?

Il est double. Je suis les rencontres de Ligue des Champions avec décontraction, sans les analyser. Par contre, j’ai appréhendé Aalborg – Anderlecht différemment car je devais commenter le match du Sporting contre le Germinal Beerschot trois jours plus tard. J’ai donc suivi le match avec l’£il du journaliste. Ma courte expérience d’entraîneur est précieuse à ce niveau car un joueur s’occupe avant tout de lui-même.

N’allez-vous pas rapidement avoir envie de redevenir entraîneur ?

Je pense que non, mais sait-on jamais ?

Vous travaillez régulièrement en studio le dimanche soir et lorsqu’on spéculait sur le renvoi de Frankie Vercauteren vous n’étiez manifestement pas à l’aise…

Bien sûr que non. On allait trop loin. J’aurais dû faire davantage contrepoids. Si je me suis abstenu, c’est peut-être parce que j’estime qu’un analyste ou un commentateur ne peut discuter que des faits. On ne peut établir de programme TV sur base de spéculations. C’est très dangereux.

Avez-vous changé de regard sur les journalistes ?

Oui. Désormais, je me préoccuperais moins des critiques. Je comprends qu’elles ne sont que l’avis d’une personne. Deux jours plus tard, nul ne s’en souvient. Souvent, on ne sait plus soi-même ce qu’on a dit. En football, il n’y a pas qu’une seule vérité. Tout le monde a raison. Ce qui est écrit reflète l’opinion d’un journaliste et j’espère qu’on considère mes propos de la même façon : je ne détiens pas la vérité.

Que pensez-vous du Club Bruges actuel ?

La transition de la défense vers l’attaque est plus fluide que ces deux dernières années. C’était catastrophique ! Les entraîneurs précédents ont investi beaucoup d’énergie dans ce problème, en vain. Trop peu de joueurs étaient prêts à courir s’ils n’étaient pas sûrs d’avoir le ballon. Cela a changé. Si les attaquants ne reçoivent pas le ballon cinq fois de suite, la sixième, ils courent quand même. Je vois plus de mouvements. Il y a de nouveau une équipe sur le terrain. Le Club est en bonne voie, il est nettement meilleur que lors des deux saisons précédentes, sans encore développer un football génial.

par jan hauspie – photos: reporters

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