Le citron était pressé

Il savait que la saison serait difficile et qu’il n’en serait pas satisfait.

Etes-vous content que la saison soit achevée et qu’Anderlecht soit européen?

Aimé Anthuenis: A cinq journées de la fin, jusqu’à notre défaite contre St-Trond, nous pouvions viser les deux premières places et la Ligue des Champions. Je ne dis pas que nous aurions dû terminer plus haut. Au terme des 34 journées, les chiffres donnent le reflet exact du championnat. Nous avons réalisé trop de nuls. Le football a ses lois. Pour être champion, il faut marquer 80 buts et compter deux hommes dans le Top dix des buteurs. Ensemble, ces attaquants doivent inscrire 40 buts. Bruges effectue le même constat, d’où les critiques qui pleuvent sur Mendoza. Evidemment, tous les avants peuvent traverser une période de vaches maigres.

Et on ne peut pas perdre plus de quatre rencontres. Nous avons été balayés en septembre et en octobre, avant de signer une jolie remontée, mais jamais nous ne nous sommes vraiment distingués. Ça ne me surprend pas: je m’attendais à vivre une saison difficile. Comment peut-il en être autrement quand vous perdez votre potentiel offensif et, qu’en plus, vous restez sur une année exceptionnelle, durant laquelle vous n’avez essuyé qu’une seule défaite, à la 92e minute, à La Gantoise, et où vous atteignez le deuxième tour de la Ligue des Champions. Les gens ne saisissent pas à quel point cette saison-là a été exceptionnelle ni à quel niveau nous avons évolué, y compris sur la scène europénne.

Je savais qu’il était impossible de rééditer une pareille saison, ce qu’exigeaient les observateurs.

On a dépensé l’argent du transfert de Jan Koller pour acheter sept alternatives en attaque. Une erreur?

Mieux vaut acheter un tout bon que quatre ou cinq joueurs mais Anderlecht n’a pas modifié sa philosophie. Il observe des limites, qu’il s’agisse des salaires ou du montant des transferts. Du coup, il doit renoncer à beaucoup de joueurs. J’ai le sentiment que si c’était à refaire…

Le non d’Hossam

La percée d’Hossam à l’Ajax fait-elle mal?

Hossam n’a pas reculé devant Anthuenis. Il a beaucoup apprécié notre entretien. L’argent a joué un rôle décisif, après le match GBA-Gand, auquel assistait Beenhakker. Hossam avait joué un match formidable à gauche. Le fait que je ne pouvais lui garantir de place de titulaire n’a rien à voir. Hossam m’avait séduit et il aurait joué. J’insistais pour l’enrôler depuis le mois de février mais Anderlecht a été trop loyal et ne l’a pas fait.

Jestrovic semblait n’avoir qu’une fêlure au tibia, mais c’était une fracture. En 4-4-2, je tenais mon duo. Les problèmes ont commencé au début de la préparation, les joueurs étaient vidés, physiquement et mentalement. Et Radzinski est parti. Nous suivions Thompson à Harelbeke et Seol à l’Antwerp. Etait-ce trop tôt pour eux ou avons-nous manqué de patience?

Anderlecht émarge à l’élite. On n’y a pas de patience, par définition.

Exact. Il est impossible de déclarer qu’on va vivre une saison de transition.

Gilles De Bilde a-t-il été un susucre pour les supporters?

Non. Il n’avait plus joué depuis deux ans. Malgré son retard de condition, il a inscrit 11 buts. Jean Dockx avait travaillé avec lui. Nous espérions tous une revanche. Mornar s’est avéré un bon choix, mais il a souvent été blessé. Il n’a presque plus joué au second tour. On peut s’interroger sur l’impact du forfait d’Aarst au Standard comme de celui de Mornar pour nous.

Pas un bon match

Anderlecht n’a pas joué un seul bon match cette saison…

C’est exagéré. Nous avons livré beaucoup de matches honnêtes, sans concrétiser nos occasions, contrairement à la saison précédente. En football, le résultat définit souvent la valeur d’un match. Nous n’avons pas dominé comme avant, nous avons rarement disputé 90 minutes de haut niveau. C’est dû à des phénomènes connexes. Certains joueurs se cachent et d’autres, essentiellement des éléments centraux, ont davantage le ballon. Comme ils se montrent, ils encaissent les critiques. Yves Vanderhaeghe en a fait les frais, comme Seol, alors qu’ils travaillaient dur.

Alin Stoica est-il la déception de l’année?

Non. On prétend que je suis contre Stoica. Je le nie. C’est une loi du foot: quand vous vous défaites des joueurs-clefs, les autres perdent leurs moyens. Alin est bourré de talent mais trop jeune pour être un pilier à cette position. Ce n’est pas un panzer mais l’homme qui va avoir des éclairs de génie. Il est très fragile, mentalement et physiquement. J’ai découvert qu’il manquait d’assurance. Il est extrêmement sensible. Peut-être a-t-il été trop vite porté aux nues par les mêmes personnes qui le démolissent maintenant? Je ne veux sombrer dans ces extrêmes. Si demain, Stoica pouvait jouer toute une saison dans une ambiance qui lui convenait, ça en vaudra le coup. Je ne pense pas qu’il ait déjà signé ailleurs. Il se plaît à Anderlecht.

Baseggio doit monter

Et Baseggio?

Anderlecht dépend beaucoup de sa forme. Quand Walter joue bien, l’équipe fait généralement de même, parce qu’il est capable d’écarter le jeu et qu’il apporte quelque chose à la construction comme en défense. Mais Walter a été formé au sein du circuit fermé d’Anderlecht, dans des méthodes trop conservatrices. On juge les gens sur leurs qualités mais ils doivent progresser. Walter a inscrit huit buts, contre trois quand nous avons été champions et que nous jouions de façon plus dominante. Je ne lui demande pas de rester devant la défense. Il doit relancer le jeu plus vite, utiliser sa tête. En bref, il doit oublier une partie de sa formation car en équipes d’âge, il ne devait pas beaucoup courir ni monter.

Un joueur doit faire ses preuves lui-même.

C’est le cas dans l’élite. Je suis toutefois convaincu qu’on peut travailler professionnellement en conservant une approche agréable et collective en dehors du terrain, dans l’accompagnement. A ceux qui se plaignent, je dois répondre qu’il n’y avait pas de concurrence. Elle était plus importante dans le passé. Si elle s’accroît, beaucoup de joueurs vont avoir des problèmes.

Les joueurs, la presse, les supporters vous remettent sans cesse en cause. La direction sait qu’un mauvais début de saison engendrerait un nouveau tremblement de terre. Est-ce le revers de la médaille?

Il faut envisager tout le contexte. En trois ans à Anderlecht, j’ai été champion à deux reprises et le club a réalisé de bonnes affaires. Un stade comble, des transferts plantureux. On a effectué une saignée trop importante à mes yeux: Zetterberg, De Vlieger, Staelens, Van Diemen, Scifo, Ekakia. Au total, 16 joueurs sont partis.

Trop de changements

Partout, les noyaux subissent des changements.

Vous voyez ce que ça nous a valu. La direction devra en tenir compte. Sportivement, on a envisagé les choses d’un point de vue belge. Les observateurs neutres estiment cette issue normale. Je ne suis pas satisfait. Nous devons faire mieux. Mais je suis également le premier à savoir ce qui est possible ou non. Regardez ce qui se passe à l’étranger: Barcelone, le Real en déplacement, Leverkusen qui perd le titre à Nuremberg… Ferguson et moi avons parlé de la pression mentale qu’implique l’obligation de jouer le titre chaque année. N’importe quel réveil finit par tomber en panne et nous avons beaucoup utilisé le nôtre.

Je suis d’accord: j’ai effectué trop de changements. J’y étais contraint. Il est préférable d’évoluer selon le même système, dans une tactique qui souligne les qualités des joueurs et camoufle leurs manquements. Je l’ai démontré l’année dernière. J’avais déjà constaté un certain déséquilibre mais nous avons obtenu des résultats.

Une autre critique: Anderlecht ne presse pas. Je le sais mais vous n’en êtes capable que quand vous avez les joueurs qui conviennent dans l’entrejeu. Acheter ce dont vous avez besoin n’est pas évident. Je préfère le football en zone et le 4-4-2 mais pour l’appliquer, j’ai besoin de vitesse dans la dernière ligne, de créativité dans des espaces réduits dans l’entrejeu et de buteurs. Sans ça, je dois m’adapter.

Si, demain, je transfère Zetterberg pour lui demander de courir sur tout le terrain, je fais une mauvaise affaire. Il doit être bien entouré et précédé d’un gars qui sache remettre le ballon.

Sur papier, on peut établir le schéma idéal. Cette année, nous n’avons pas pratiqué un football moderne, je le sais. Mais qu’est-ce que c’est, un jeu moderne? J’ai connu toutes les tactiques possibles et imaginables, je suis malheureusement assez âgé pour ça. La théorie est une chose, les résultats en sont une autre.

Quels progrès?

Selon d’autres critiques, vous ne permettez pas aux joueurs de progresser.

A Lokeren, les frères M’Buyu, Nisjkens, Ukkonen, Keshi et Vanveirdeghem n’ont certainement pas régressé. A Charleroi, Dante Brogno et Philippe Albert ont intégré l’équipe fanion. A Genk, Kimoni, Oyen, Peeters, Hendrikx et Delbroek sont devenus internationaux, sans parler d’Oulare et de Strupar. A Anderlecht, Dheedene, Koller, Goor et Radzinski n’ont pas piétiné. L’entraîneur forme un cadre. Les joueurs progressent s’ils jouissent de confiance et qu’ils ont soif de succès. J’ai toujours veillé à les mettre en confiance.

Que pensez-vous du vote des joueurs?

Je n’ai pas eu tellement de problèmes. J’avais déjà souligné ce qu’on a déclaré. Des problèmes insolubles. Les critiques sont toujours les mêmes quand ça va moins bien. Pour ça aussi, je suis dans le football depuis assez de temps: on s’entraîne trop peu ou trop dur, l’ambiance n’est pas bonne… Elle n’était pas moins bonne qu’avant. Il est normal que les serbo-croates, les francophones et les flamands forment des groupes séparés. C’était pareil l’année dernière. Goor et Koller n’ont jamais été blessés, Koller et Radzinski jouaient souvent aux cartes avec les autres. J’avais un groupe dominant dans le vestiaire, un groupe qui entraînait les autres.

On vous reproche de n’avoir pas sévi contre le laxisme à l’entraînement.

Un jour, Filip De Wilde et Glen De Boeck se retrouveront face à un groupe, en tant qu’entraîneurs. Ils découvriront que la réalité est parfois différente. Ils voient les choses de leur point de vue. Moi, je dois prendre en compte 500 angles différents. Je ne me suis pas résigné mais certaines choses ne peuvent changer. La relance a été le point faible d’Anderlecht. Nous nous sommes beaucoup exercés, sans enregistrer d’amélioration. Le citron était pressé, à tous points de vues.

Esprit d’équipe

Vous êtes-vous incliné trop vite?

Non. Si vous parvenez à inculquer l’esprit d’équipe à Mornar… Mais il n’a pas été formé ainsi. Il faut donc miser sur ses atouts et espérer qu’il saisisse le reste, et que les autres se respectent mutuellement et acceptent leurs manquements respectifs. Tout le monde en a, y compris De Wilde et De Boeck. Nous avons lutté pour le titre jusqu’à cinq semaines de la fin du championnat mais tout le monde est individualiste. Tout l’art consiste à ce que tout le monde tire à la même corde, regarde dans la même direction. Je n’ai ni gagné ni perdu cette élection. Je n’y attache pas d’importance. Parce que je comprends les reproches, que j’avais souligné moi-même ces manquements et que rien n’était nouveau.

Avez-vous été trop gentil à l’égard de ceux qui ont contribué au succès de l’exercice précédent?

Peut-être un peu. Je pensais que nous pouvions nous bonifier. Peut-être ai-je trop tendance à relativiser les choses mais j’étais déjà comme ça quand nous sommes devenus champions. Avant, on m’a demandé: comment est-ce possible? Pourquoi Oulare joue-t-il alors qu’il ne s’entraîne pas depuis trois semaines? J’aurais pu donner 100 raisons mais on ne peut pas toujours expliquer la situation.

Peter T’Kint,

« Filip et Glen voient les choses de leur point de vue. Moi, j’ai 500 angles différents »

« Il y avait plus de concurrence à Anderlecht avant »

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