Le cimetière des Eléphants

Favoris du tournoi, Drogba et Cie n’auront jamais été à la hauteur d’un standing de plus en plus remis en question.

Le but annulé de Kolo Touré à la 122e minute de jeu fait encore jaser. Les critiques se seraient-elles autant abattues sur l’équipe de Côte d’Ivoire si le juge de ligne n’avait pas levé son drapeau pour un hors-jeu imaginaire dans les derniers instants du thriller de Cabinda ? Peut-être bien que non. Mais ce dont on est certain, c’est que les Eléphants n’ont jamais été à la hauteur durant cette CAN.

Même leur seule victoire, face au Ghana, fut acquise dans la douleur, sans grande maîtrise, davantage grâce au coup franc génial du gaucher SiakaTiéné. Contre l’Algérie, malgré une bonne entame de match conclu par l’ouverture du score de Salomon Kalou, les Ivoiriens n’ont jamais été dominateurs comme attendu. Certes, les actions individuelles de Gervinho, ou la montée au jeu de Kader Keita, ont parfois mis le feu dans la défense des Fennecs. Mais de collectif, de mise en place efficace, il ne fut guère question.

Avec ses 23 matches sans défaite avant celui de dimanche, la bande à Vahid Halilhodzic faisait pourtant figure d’épouvantail. Didier Drogba, Yaya Touré, Kolo Touré, Didier Zokora, etc, aucune autre formation africaine ne possède sur papier une telle expérience des grands rendez-vous, des sommets européens. Aucune autre sélection ne possède sur son banc des éléments comme Aruna Dindane ou Keita pour dynamiter le tout quand besoin se fait sentir. Et puis, cette génération, tout le monde l’a décrite comme exceptionnelle, avec une ossature d’Académiciens pratiquant le même football, ayant le même goût pour le jeu court, les combinaisons, le dribble.

A l’analyse, celle-ci a échoué même si juin et la Coupe du Monde feront office de séance de rattrapage. Finalistes en 2006, demi-finalistes en 2008 et sortis en quarts cette année, à la lecture des chiffres, on aurait tendance à dire que les Eléphants prennent de l’âge. Et pourtant, l’échec, on ne l’avait pas vraiment vu venir. « En 2006 et 2008, on s’est cru trop forts, beaucoup plus forts que tout le monde et personne ne pouvait nous arrêter « , expliquait il y a quelques jours le DTN, Yeo Martial.  » Mais c’est arrivé parce qu’il faut sans cesse se remettre en cause en gardant le mental.  »

Et sur ce point, les Ivoiriens pensaient avoir trouvé la parade avec la venue de Halilhodzic en mai 2008…

Drogba passe au travers

 » On sait qu’un Ivoirien, c’est un fêtard, pas très discipliné et Halilhodzic, il arrive à nous canaliser « , expliquait Yaya Touré avant d’embarquer pour l’Angola. Et de fait, le mentor bosniaque n’a jamais été réputé pour la déconne. De plus, Coach Vahid (prononcé façon militaire) a pu compter sur les dramatiques circonstances qui ont touché l’équipe du Togo pour faire régner l’ordre durant les deux premières semaines. L’attaque du bus des Eperviers avait conduit le comité organisateur à cloisonner les équipes évoluant à Cabinda, dont la Côte d’Ivoire. La base de haute surveillance avait pour cadre le village olympique, un complexe résidentiel entouré de hautes grilles et surveillé par des policiers surarmés.

 » Tout ici rappelle la guerre. Le même sentiment m’habitait à Mostar en 1992 quand la guerre éclata en Bosnie « , raconta Halilodzic avant de rajouter que  » certains joueurs étaient perturbés, très perturbés. « 

Et là, on pense principalement à Didier Drogba qui s’épancha dans la presse sur la difficulté d’être psychologiquement au point dans pareil contexte. D’autant que la star de Chelsea aurait reçu des menaces de mort, tout comme Mickael Essien et Kolo Touré, autres étoiles de Premier League. Voilà un élément qui peut expliquer le départ poussif du capitaine des Eléphants. Invisible face au Burkina Faso, Drogba se libéra quelque peu lors du second et dernier match de poule en poussant un caviar de Keita au fond des filets pour inscrire le troisième but des siens contre le Ghana. Face à l’Algérie, Drogba se démena mais ne sembla jamais dans son assiette. Le système avec un attaquant de pointe, alors que chez les Blues il se régale au côté de Nicolas Anelka, peut en partie expliquer sa mauvaise CAN. Et les ailiers Gervinho et Salomon Kalou, n’ont pas joué les pourvoyeurs, préférant souvent la carte perso.

Règlement d’ordre intérieur

La méthode Halilhodzic a toujours fait la part belle au collectif, à l’esprit de groupe. Au diable les désidérata individuels. Le Bosniaque voulait mettre fin à l’image d’un onze talentueux articulé autour de quelques cadors. Sans cesse conditionner ses joueurs vers l’objectif, voilà qui obnubile le Bosniaque. Et gare à celui qui sort des lignes car la sanction est immédiate. Demandez à NdriRomaric, qui fut écarté de la sélection pour motifs disciplinaires… Le coach :  » Il y a un règlement intérieur que tout le monde doit respecter et s’il ne l’a pas fait, il faut qu’il en assume les conséquences.  »

Dès sa prise de fonction, Vahid fut clair, net précis :  » J’ai signé le 13 mai 2008, et il y avait un stage à Chantilly, au nord de Paris, pour préparer la Kirin Cup au Japon, et surtout les quatre rencontres de juin qualificatives pour la Coupe du Monde 2010. Là, j’ai vu des joueurs arriver en ordre dispersé. D’autres n’ont pas répondu aux convocations, la plupart du temps sans fournir la moindre explication. J’ai pris un coup sur la tête. Je me suis demandé s’il ne valait pas mieux que je parte tellement la déception était énorme. Finalement, je suis resté tout en décidant d’instaurer un règlement intérieur. Je veux que les joueurs respectent les horaires. Quand on donne rendez-vous à midi, ce n’est pas midi dix !

On parle souvent d’un rapport au temps qui n’est pas le même pour un Africain et pour un Européen, mais ce n’est pas mon problème. L’autre jour (lisez en 2008), deux joueurs étaient en retard pour partir à l’entraînement. Le bus n’a pas attendu. Ils sont venus au stade en taxi, et en s’excusant. Chez moi, c’est comme ça. « 

Mettre fin au laxisme délibéré des sélectionneurs précédents tel Henri Michel (2004 à 2006), voilà qui devait lancer la sélection ivoirienne vers le succès. Mais les dehors tyranniques du Bosniaque n’ont jamais convaincu la presse ou la population. Chez les joueurs aussi, son attitude commençait à peser. Les sceptiques étaient nombreux avant la CAN, ils le sont encore plus aujourd’hui.

 » Le sélectionneur bosniaque est clairement contesté depuis un moment. Il jouait une carte sensible lors de cette CAN « , explique Gustave De Bouaffo, un journaliste ivoirien au quotidien national Le Nouveau Réveil.  » Or, le positionnement de Yaya Touré en sorte de bizarre meneur de jeu dans un milieu à trois avec Zokora et Cheik Tioté dans son dos est aujourd’hui très critiqué.  »

Il est vrai que la force tranquille du Barça est apparue à côté de ses pompes durant le tournoi sans pour autant qu’Halilhodzic ne change véritablement son système. Maintenant, il reste quatre mois pour rectifier le tir. Reste à savoir avec quel coach…

par thomas bricmont, à luanda

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