LE CHEVALIER NOIR

Cette nuit, Kobe Bryant (37 ans) dispute son tout dernier match de NBA. Le joueur-vedette des LA Lakers met un terme à une carrière longue de 20 ans, durant laquelle il a été autant haï qu’adulé. Certains le considéraient comme un être inhumain et égocentrique, d’autres comme une copie (presque) parfaite de Michael Jordan. Portrait.

Il y a 15 jours, Kobe Bryant s’est produit pour la dernière fois à Salt Lake City, afin d’y affronter les Utah Jazz avec ses Los Angeles Lakers. C’est encore Utah qu’il affrontera, cette nuit mais à LA cette fois, pour son match d’adieu. Avant le coup d’envoi, il aura droit à un bel hommage, comme ce fut le cas dans presque toutes les salles cette saison. Un petit film sur le troisième meilleur marqueur de tous les temps sera diffusé. Un fan d’Utah y compare Kobe au Joker et à Batman :  » Pour nous, il était l’homme à abattre, mais ce qu’il a fait pour le basket est tout simplement phénoménal et mérite le respect.  »

La comparaison est osée, mais pas injustifiée, car le guard des Lakers incarnait à la fois le rôle du méchant et du héros. Cette dualité a même servi de thème à une campagne publicitaire de son sponsor Nike qui, ces derniers mois, présentait une nouvelle chaussure baptisée Dark Knight (Le Chevalier noir, en référence au film de Batman) et une ligne de vêtements symbolisée par la lettre V (de Villain, méchant) insérée dans un H (de Hero, héros).

L’amour et la haine que lui vouaient les amateurs de basket ont constitué le moteur de Bryant tout au long d’une carrière fantastique au cours de laquelle l’aversion a progressivement laissé la place à l’admiration. Black Mamba (le serpent vénéneux le plus rapide et le plus dangereux au monde)a forcé le respect par la manière avec laquelle il s’est nourri de la critique pour avancer.

Pour illustrer ce processus, qui n’a pris sa pleine mesure que durant la dernière saison de Bryant, voici un florilège d’anecdotes qui décrivent sa personnalité unique en quatre aspects.

1 LE FORÇAT DU TRAVAIL

Lorsque King Kobe a annoncé sa retraite en novembre 2015, il a commencé par  » Mon cher « , en faisant référence au sport auquel il a déclaré son amour. Il a raconté comment, enfant, il envoyait les chaussettes enroulées de son père, l’ancien joueur de NBA JoeBryant, en direction d’une poubelle, en s’imaginant qu’il restait cinq secondes à jouer et qu’il inscrivait le panier victorieux. A ce moment-là, il savait déjà ce qu’il voulait conquérir :  » Mon cher basket, je suis amoureux de toi.  » Cet amour est devenu une passion, inspiré par l’ancienne superstar Michael Jordan : une muse que Bryant a essayé de copier sous tous ses aspects, tant dans sa manière de communiquer que de jouer.

L’Américain n’a rien laissé au hasard pour égaler le plus grand basketteur de tous les temps. Lorsqu’il était étudiant à la High School de Lower Merion, à Philadelphie, il se levait à cinq heures du matin pour effectuer sa séance d’entraînement quotidienne. Un régime de spartiate que Kobe a encore accentué lorsqu’il est devenu un joueur de NBA et sur lequel il a volontairement bâti son image.

Son ancien entraîneur en High School, Gregg Downer, a ainsi révélé qu’avant chaque match de NBA à Philadelphie, Kobe revenait systématiquement au gymnase de Lower Merion. Avant même le lever du soleil, il envoyait des centaines de tirs en direction du panier.  » Un jour, Dikembe Mutombo (un joueur des Philadelphia 76ers, ndlr) m’a contré. Cela n’arrivera plus jamais « , a déclaré Bryant.

OJ Mayo, meilleur joueur de High School en 2007 et qui a fréquenté la Kobe Basketball Academy, a demandé à Bryant s’il pouvait s’entraîner avec lui.  » D’accord, je viens te chercher à trois heures « , a répondu le Lakers. Mais Mayo a attendu et Bryant n’est jamais venu. Il lui a donc demandé où il était cet après-midi. La réponse de Kobe a fusé :  » Cet après-midi ? Mais je voulais dire… à trois heures du matin !  »

John Celestand se souvient qu’un jour, son coéquipier des Lakers, alors âgé de 21 ans, s’est cassé le poignet droit à l’entraînement. Mais le lendemain, il était déjà au travail. Simplement, il shootait de la main… gauche !

Le préparateur physique Tim Grover se souvient que Bryant lui avait demandé d’organiser une sortie d’entraînement de 65 kilomètres à vélo à travers le désert pendant un stage du Team USA à Las Vegas. Départ : minuit, avec une lampe de mineur sur le casque. Arrivée : 2 heures.  » Et à 7 h 30, Kobe était déjà au travail dans le gymnase.  »

2 LE PERFECTIONNISTE

Black Mamba était tout aussi maniaque en dehors des parquets, lorsqu’il analysait ses équipiers et ses adversaires. Durant les voyages en avion, pendant que d’autres joueurs des Lakers jouaient aux cartes, il interrompait souvent la partie pour les rassembler auprès de lui et leur faire part de quelques détails auxquels ils n’avaient pas pensé. L’ancien coach des Lakers, Del Harris, a raconté qu’un jour, Shaquille O’Neal dansait la Macarena dans le couloir central de l’avion, pendant que le jeune Kobe disséquait des images de Michael Jordan.

Cette fascination pour His Royal Airness aparfois débouché sur de la frustration, notamment lorsque le jeune basketteur vedette ne parvenait pas à imiter le fade-away jump de Jordan, ce tir réalisé en effectuant un saut vers l’arrière afin d’éviter le contre du défenseur. Jusqu’au jour où Bryant a découvert, sur DiscoveryChannel, comment un guépard parvenait à conserver son équilibre en courant à plus de 100 kilomètres à l’heure, grâce à… sa queue. L’ailier de 1m98 s’est dit alors que sa jambe devait lui servir de queue. Lors de chaque fadeaway, il a tendu la jambe droite et a jubilé en constatant que ça fonctionnait.

En prenant de l’âge, Kobe a pris conscience de l’importance de l’alimentation. Alors qu’il était un client habituel de McDonald’s, il a complètement changé son régime alimentaire. Après chaque match et chaque entraînement, il a placé une soupe au menu. Un mélange de morceaux de poulet et de légumes qui devait mijoter pendant huit heures et qui, selon Bryant, favorisait la récupération. Le cuisinier des Lakers a dû commencer chaque jour à cinq heures du matin, afin que le précieux breuvage puisse mijoter suffisamment longtemps.

Parfois, le soir au bar, il s’autorisait une bière, mais pas plus. Pourtant, les fans ne se privaient pas pour lui en offrir. Un jour, un journaliste a croisé Bryant dans le lobby d’un hôtel. Le joueur lui a proposé une bière. Le reporter a refusé.  » Non, merci Kobe, sans façon « , la vedette de la NBA a rigolé en regardant au sol : 17 bouteilles ouvertes, encore remplies…

3 LE COMPÉTITEUR

Si Bryant était loué pour son professionnalisme, il l’était tout autant pour son esprit de compétiteur. En 2006, lorsqu’il a inscrit 81 points – le deuxième plus haut score de l’histoire de la NBA – il a déclaré de manière imperturbable :  » Je pense que je peux atteindre les 100 points (le record de Wilt Chamberlain, ndlr).  »

Pendant ses années en NBA, King Kobe a également affiché cette mentalité de vainqueur. Il était toujours à la recherche de tirs victorieux et essayait toujours de déstabiliser ses adversaires par des intimidations verbales, comme le faisait Jordan. Du trash talking, comme disent les Américains. Lorsque LeBron James a quitté Cleveland pour Miami durant l’été 2010, Bryant lui a envoyé un sms :  » Bonne chance, tu remporteras probablement le titre de MVP, mais nous serons champions. Tiens-le toi pour dit.  »

Une défaite, c’était l’enfer pour le guard des Lakers, y compris en dehors du terrain. Un jour, le journaliste Mike Trudell l’a défié lors d’un petit match de ping-pong. Bryant ignorait que Trudell était un pongiste de talent et a perdu.

Il a ressenti une énorme frustration. Les shit ont volé, même lors de la revanche, également perdue.  » Kobe m’a regardé : un jour, je te battrai « , raconte Trudell. Le journaliste a appris, une semaine plus tard, que la vedette de NBA s’était fait livrer une… table de ping-pong à son domicile.

Cette soif de victoire n’a diminué que lors de la dernière saison de Bryant. Cela s’explique en partie par les résultats catastrophiques des Lakers, qui disputent la plus mauvaise saison de leur histoire. De temps en temps, Black Mamba a encore distillé son venin, mais sans pouvoir cacher que 20 années de NBA et de nombreuses blessures avaient altéré ses capacités physiques. D’autant que Bryant a toujours fait face à la douleur.

Lorsqu’il a vu le film d’horreur SawII, Kobe a décrit à Gary Vitti, le préparateur physique, une scène dans laquelle quelqu’un était attaché avec des épingles juste devant sa tête. La seule manière de se sauver était d’enlever, endéans la minute, la clef du cadenas implantée derrière son oeil, à l’aide d’un scalpel. Bryant, le plus sérieusement du monde :  » Je pense que j’en serais capable.  » Vitti :  » Je te crois.  »

Ce dernier repense au match d’avril 2013 durant lequel King Kobe s’est rompu le tendon d’Achille. A la grande surprise de Vitti, Kobe a redressé le tendon – ou plutôt la chaussette – afin de pouvoir se diriger, tant bien que mal, vers la ligne des lancers-francs. Il a converti calmement ses deux lancers… Dans le vestiaire, et pour la première fois, il a vu du doute et des larmes dans les yeux de Bryant. Jusqu’à ce que ses deux filles entrent. Il a alors voulu jouer son rôle d’exemple. Kobe a demandé à Vitti, sans peur :  » Que dois-je faire pour revenir ?  »

4 L’ÉQUIPIER IMPITOYABLE

Respect, donc, pour la manière avec laquelle Bryant a mené sa carrière, mais d’où provient cette aversion que lui vouent (certains) fans, consultants et journalistes ? Kobe se montrait toujours disponible pour la presse. Lors de sa présentation chez les Lakers, à 17 ans, Bryant a promis d’apprendre l’espagnol, afin de pouvoir répondre à la presse hispanophone de Californie. Même le soir où il s’est déchiré le tendon d’Achille, il a répondu aux questions des journalistes, les yeux humides. Et il n’avait jamais sa langue en poche. Au même titre que Michael Jordan, c’était un bon client : il avait toujours des choses à dire.

Bryant a toujours été loué pour son image irréprochable, mais celle-ci a été dégradée en 2003 par une sombre affaire de viol pour laquelle il n’a finalement pas été condamné. La victime, qui a été payée pour son silence, n’a jamais voulu témoigner.

Sous un autre aspect, Kobe a aussi dépassé son idole Jordan : dans son antipathie envers ses coéquipiers fainéants. Le chemin de sa carrière est parsemé des cadavres de joueurs qui n’ont jamais voulu (ou pu) épouser son éthique de travail : Shaquille O’Neal, Dwight Howard, Andrew Bynum… Un journaliste a écrit :  » A un moment donné, Kobe parlait de Pau Gasol (avec qui il a remporté deux titres NBA, ndlr) comme de ‘son frère’, le lendemain il l’a enjoint d’enfiler le plus rapidement possible ‘son pantalon de grand garçon’. Alors, imaginez-vous la manière dont il traitait des joueurs qu’il n’appréciait pas.  » Il a, par exemple, répondu à son équipier Smush Parker qu’il devait  » acquérir plus de qualités  » avant de pouvoir lui adresser la parole.

 » Je n’ai pas le temps de devenir plus sociable. J’ai seulement le temps pour travailler. Est-ce que cela me rend moins sympa ? Bien sûr. Certains joueurs sont-ils intimidés ? Oui. Est-ce que je veux les avoir dans mon équipe ? Non…  » Cet égocentrisme, il l’explique par son enfance en Italie, où a longtemps joué son père, comme seul Noir dans l’équipe. Il a grandi dans l’isolement, et s’est concentré sur sa grande passion : le basket.

On a reproché de façon récurrente à Kobe de trop shooter. Black Mamba avait une réponse toute trouvée :  » On reprochait à Mozart de placer trop de notes dans ses compositions. Il répondait qu’il n’y en avait ni trop, ni trop peu, juste ce qu’il fallait. En ce qui concerne mes shoots, c’est pareil. Shooter n’a jamais été un but en soi. Le but ultime, c’est la victoire.  »

En fait, Kobe estimait n’avoir que des ressemblances avec Mozart et Jordan :  » Des obsédés. Des gens qui pensent que Dieu les a uniquement mis sur terre pour briller.  » Hélas pour tous ceux qui l’enviaient, Bryant a brillé pendant près de 20 ans. Il n’a pas pu réaliser son rêve ultime – égaler les six titres NBA de Jordan – car il en est resté à cinq, mais malgré son image de méchant/héros qu’il a lui-même entretenue, il n’aura droit qu’à une salve d’applaudissements lors de sa dernière représentation. De la part de ses amis, mais aussi de ses ennemis. Le Chevalier noir, pour toujours.

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je n’ai pas le temps de devenir plus sociable. J’ai seulement le temps pour travailler. Est-ce que cela me rend moins sympa ? Bien sûr.  » – KOBE BRYANT

A 21 ans, il s’est cassé le poignet droit. Le lendemain, il était déjà au travail. Il shootait de la main… gauche ! – KOBE BRYANT

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