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Les secrets du « projet jeunes » du Standard

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Sur les hauteurs du centre d’entraînement liégeois, le SL16 Football Campus prépare les futurs joyaux du football rouche. Voyage en altitude, à la recherche de l’itinéraire qui permet de descendre des sommets du Sart-Tilman jusqu’au fond du chaudron de Sclessin.

Si la fierté se mesure au nombre d’articles de presse épinglés bien en vue, difficile de cacher celle du SL16 Football Campus, nouveau naming réservé au centre de formation du Standard depuis un peu plus d’un an. Dans le hall d’entrée, au milieu des portes qui envoient aux quatre coins de l’étage de ce bâtiment où est regroupée la formation liégeoise, des coupures de La Dernière Heure ou de la Gazet van Antwerpen vantent le rajeunissement du vestiaire rouche ou le nombre de jeunes joueurs belges qui ont foulé la pelouse de Sclessin ces derniers mois. Comme dans un album de souvenirs journalistiques qui seraient soigneusement conservés par un grand-parent bienveillant, le Standard y affiche Ameen Al-Dakhil et Nathan Ngoy, respectivement nés en 2002 et 2003 et à la lutte pour une place de titulaire au sein de la défense de Mbaye Leye avant la première journée de championnat face à Genk.

Pour réussir au Standard, les jeunes ne doivent pas être trop scolaires, ce n’est pas l’ADN du club. »

Réginal Goreux, directeur du programme Élite

« Voir ces joueurs sur le terrain, c’est un boost pour le travail effectué au sein du centre de formation. Et surtout, ça nous facilite le travail », reconnaît Pierre Locht, directeur du SL16 Football Campus (ne dites plus « Académie ») et membre du comité exécutif du Standard. « Quand on rencontre un jeune pour le recruter, ou qu’on veut conserver l’un de nos jeunes talents, on ne doit plus seulement s’appuyer sur de la théorie. On a du factuel à leur mettre sous les yeux, parce que les jeunes sont sur le terrain. »

Si la feuille de match pour accueillir les Limbourgeois, souvent présentés comme l’une des références nationales en matière de formation, renseigne onze joueurs nés après le passage à l’an 2000, huit d’entre eux arborent en effet les couleurs locales. Le résultat d’une politique repensée sous l’impulsion d’un Bruno Venanzi qui, lors de l’une de ses dernières apparitions médiatiques, rappelait que « sortir des jeunes de l’Académie, c’est le core-business du Standard ». Chargé par son président d’effectuer un audit de fonctionnement de ce centre de formation passé au second plan lors des saisons précédentes, Pierre Locht dresse un constat étoffé: « Tout était à disposition pour faire du bon travail, avec notamment des infrastructures exceptionnelles qui restent uniques en Belgique. Par contre, il y avait eu beaucoup d’instabilité lors de la période de présidence de Roland Duchâtelet, et cette instabilité chez les pros rejaillissait sur la partie jeunes. C’était difficile d’avoir un vrai projet. »

Mbaye Leye ne quitte pas Réginal Goreux des yeux. L'ancien latéral droit est aujourd'hui l'une des têtes pensantes du centre de formation du Standard.
Mbaye Leye ne quitte pas Réginal Goreux des yeux. L’ancien latéral droit est aujourd’hui l’une des têtes pensantes du centre de formation du Standard.© BELGAIMAGE

ARRIVER AU STANDARD

Le président Venanzi donne alors à Pierre Locht une mission à moyen terme, articulée autour d’une nouvelle stabilité du centre de formation. Les euros trop souvent dépensés pour conserver à tout prix certains talents sont utilisés de façon plus rationnelle, investis dans l’encadrement matériel et humain, et affichent finalement de premiers timides résultats quand Michel Preud’homme lance Arnaud Bodart pour protéger les filets de Sclessin, avant que son successeur Philippe Montanier soit sélectionné en fonction de ses compétences pour faire mûrir de jeunes talents. Les portes s’ouvrent de plus en plus fort, accompagnées d’une course incessante à la modernité menée depuis les bureaux de la pépinière à talents principautaire. À ses côtés, Pierre Locht présente ainsi Ingrid Vanherle, ancienne joueuse du club aujourd’hui directrice opérationnelle du centre ; Maxime Filot, ex-président des Ultras devenu directeur du recrutement ; et Reginal Goreux, passé du couloir droit à ceux du SL16 Football Campus où il enfile désormais la casquette de directeur sportif.

Goreux, c’est l’un des premiers fruits de l’Académie Robert-Louis Dreyfus. Un passif forcément précieux, et des souvenirs qui ont de l’importance pour construire l’avenir. « À l’époque, on a très vite été mis dans un groupe élites », rembobine l’ancien international haïtien. « Et notre chance, c’est que les premiers joueurs qui sont passés, c’étaient Axel ( Witsel, ndlr) et Marouane ( Fellaini, ndlr). Sur leur premier match, après dix ou quinze minutes, tout le monde a vu qu’ils s’imposaient directement. » Le déclic, déjà, comme celui que représentera Arnaud Bodart une dizaine d’années plus tard. Certains parlent de coup de chance, d’autres préfèrent valoriser le travail effectué en amont pour réduire le hasard.

Sur les hauteurs du Sart-Tilman, l’histoire commence par le recrutement, aux mains du duo Goreux- Filot et aux détails dévoilés par le second cité: « Je centralise beaucoup de datas, de rapports de matches faits par nos coaches, nos coordinateurs et nos scouts. Aujourd’hui, on couvre les 24 clubs élites en Belgique. Je pense qu’il n’y a que Genk et Anderlecht qui font un scouting aussi structuré. L’idée, c’est d’être partout. Que dans l’équipe élite la plus faible du pays en U13, il y a peut-être un phénomène et qu’il faut qu’on soit là. » En deux ans, le centre de formation rouche a ainsi recruté 28 joueurs pour le football à onze, toujours autour de critères indispensables. « Les trois points forts qui ne sont pas négociables, c’est tactique, mental et physique », enchaîne Goreux. « Si le joueur a ces trois choses, l’objectif est de repérer un autre point où il est au-dessus de la moyenne: une qualité de centre, de frappe, d’infiltration… Après, on est flexible. Si la qualité physique n’y est pas, par exemple, ce n’est pas un frein au départ, seulement à partir d’un certain âge. » À l’avenir, le club prévoit d’ailleurs de faire passer à ses jeunes recrues des tests physiques équivalents à ceux des professionnels, pour mesurer leur évolution maximale et voir jusqu’où un travail spécifique avec les préparateurs physiques pourra emmener chaque talent. Car avant de voir des prodiges techniques, le club veut des athlètes de haut niveau.

Je pense qu’il n’y a que Genk et Anderlecht qui font un scouting aussi structuré que le nôtre. »

Maxime Filot, directeur du scouting pour les jeunes

GRANDIR AU STANDARD

Sur la route de l’excellence athlétique, le souci du détail s’aventure forcément hors du terrain, et donc dans le champ de compétences d’Ingrid Vanherle, la directrice opérationnelle du centre. « Généralement, on tente de soulager les parents en proposant de prendre en charge les transports, ou en accompagnant la scolarité de l’enfant via nos écoles partenaires. Mais à côté de ça, il y a aussi les repas, par exemple », précise l’ancienne joueuse. « On propose des cours de cuisine pour les enfants et leurs parents. On leur explique aussi ce qu’on mange et quand on le mange, avant ou après un match… Ce sont tous des détails qui demandent un investissement financier qu’on n’avait pas toujours l’occasion de faire avant, mais qui offrent une plus-value au joueur. »

Pierre Locht, directeur du SL16 Football Campus.
Pierre Locht, directeur du SL16 Football Campus.© BELGAIMAGE

Au sein du centre de formation rouche, chaque enfant représente donc un projet sportif à part entière, avec des adaptations spécifiques aux besoins de chacun, dans un jonglage permanent avec le cadre collectif. « C’est parfois frustrant pour nos coaches, mais on est là pour former des joueurs et pas pour gagner des matches, même si on sait que la victoire est importante pour la dynamique individuelle et collective », explique Pierre Locht. « La priorité, c’est clairement le développement des joueurs, qu’on tente de mesurer le mieux possible. Sur le plan physique, par exemple, on le fait maintenant avec des GPS au quotidien à partir des U16, avec des barèmes précis pour pouvoir aller chez les pros. Si un joueur n’atteint pas certaines valeurs athlétiques, il ne pourra pas descendre » Quelques mètres plus bas, depuis le parking qui entoure le bâtiment consacré aux jeunes, on distingue en effet les terrains réservés au groupe professionnel. La récompense est à quelques marches de distance, mais ne se conquiert pas à la légère.

PERCER AU STANDARD

Au début du printemps, l’heure viendra pour les décideurs du SL16 Football Campus de déterminer quels seront les éléments qui feront la préparation estivale du championnat en compagnie de l’équipe première. Certains doivent alors faire le grand saut, d’autres y sont simplement envoyés dans le cadre de leur processus de développement, en se voyant préciser dès le départ quel sera leur statut au sein du groupe.

À cette période, les joueurs amenés à intégrer le noyau sont parfois retirés des rencontres U21, et préparés spécifiquement pendant plusieurs semaines, surtout sur le plan physique. « En fin de parcours, on donne des détails aux joueurs, on n’en est plus à leur expliquer comment marquer un but », détaille Réginal Goreux, responsable de cette transition vers le groupe pro. « On établit pour ces joueurs une préparation individuelle qu’ils doivent faire au club avant la préparation, et on calcule les charges pour qu’ils soient au niveau de l’équipe première quand ils arrivent, et qu’ils soient à 100% pour la quatrième ou cinquième semaine de la préparation, là où tout se décide et où les joueurs confirmés ne sont généralement qu’à 80 ou 85%. C’est là qu’ils doivent être capables de répéter les efforts. »

Tout est mis entre les mains du jeune Rouche pour que ses premiers pas soient menés à plein régime. « Par définition, on n’a qu’une seule chance de faire une première impression », reprend Pierre Locht. « Les joueurs ne doivent pas se faire tout petits en arrivant chez les pros et se dire qu’ils sont contents d’être là. Le message qu’on leur fait passer, c’est qu’ils sont là pour prendre la place de ceux qui sont là, pas pour faire de la figuration. Ils doivent bousculer la hiérarchie. »

DEVENIR LE STANDARD

Un message vraisemblablement bien reçu, au vu du nombre de jeunes joueurs estampillés « Standard » qui s’installent désormais régulièrement dans les sélections, voire dans les onze de Mbaye Leye. Certains font même déjà office de tauliers sur la pelouse, au sein d’un groupe rouche plus jeune que jamais ces derniers temps, dont la moyenne d’âge sur le terrain est passée de 26,5 à 23,1 ans en l’espace de deux saisons selon les chiffres de Wyscout.

« Il faudrait pouvoir apporter des joueurs qui amènent de l’expérience en équipe première et aident nos joueurs à devenir meilleurs », pointe Réginal Goreux, pas avare en souvenirs pour étayer son propos. « Si on pense à Michy Batshuayi, c’est l’un des joueurs qui s’est le plus imposé en tant que jeune dans le noyau du Standard. Avec de la personnalité, mais en sachant aussi fermer sa gueule quand il le fallait. Là, l’accompagnement est important. Il faut des gars qui savent jongler entre les moments où il faut un peu rentrer dans un jeune et les moments où il faut plutôt le pousser. Parce que pour réussir au Standard, les jeunes ne doivent pas être trop scolaires, ce n’est pas l’ADN du club. Ce n’est pas avec des joueurs comme ça que tu gagnes. »

« Réginal est important pour ça », enchaîne Pierre Locht. « Il a été en bas, dans le vestiaire, il sait qu’il faut encourager la prise de responsabilités, ne pas fuir tous les conflits. C’est un équilibre à trouver: leur faire apprendre ce qu’on veut qu’ils apprennent tout en laissant une part de folie, de liberté. »

« Ce n’est pas parce qu’on a une forte personnalité qu’on ne peut pas suivre une ligne de conduite », nuance Ingrid Vanherle.  » Hugo Siquet par exemple, il a une forte personnalité mais on n’a pas eu de problème avec lui. Certains, quand ils ont un souci à l’école, au lieu de dire oui et amen, ils vont expliquer par A+B qu’ils ont raison et que le prof a tort. Ce n’est pas spécialement un point négatif. »

« Faire tous les joueurs les mêmes, ça ne sert à rien », conclut Goreux. « C’est quelque chose dont on discute souvent ici en interne sur les profils de certains joueurs. Le caractère du joueur peut être problématique, mais bien le prendre peut être bénéfique pour tout le monde. Il ne faut pas non plus exagérer, il ne doit pas cracher sur tout le monde, mais avoir des joueurs de caractère au Standard, c’est ce qu’il faut. »

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