Le carrefour de Sclessin

L’arrière central des champions mesure les chances du Standard avant ses deux défis essentiels.

« Qui veut du miel doit avoir le courage d’affronter les abeilles  » : ce vieux proverbe africain est certainement connu au Sénégal, le pays du chef de la défense du Standard, Mohammed Sarr. Même si son secteur de prédilection a suscité quelques inquiétudes au début de la saison suite au départ d’Oguchi Onyewu, et a subi pas mal de liftings, les stats de D1 révèlent que la ligne arrière liégeoise est la plus imperméable, à égalité avec Anderlecht (11 buts). Malgré cela, le Standard n’a pas encore retrouvé le jeu qui fit sa fortune la saison passée et est arrivé à un croisement important de ses ambitions face à des adversaires européen et belge qui piquent.

Pourquoi le Standard est-il impressionnant en Ligue des Champions et banal en D1 ?

Mohammed Sarr : En quelques semaines, le Standard a perdu un pion ultra-important au centre de sa défense, Onyewu, ce qui était planifié, avant d’être privé de plus de 50 % de sa ligne médiane de façon totalement imprévisible. Avec Steven Defour, le Standard serait deuxième de son groupe, le resterait jusqu’à la fin et jouerait mieux en championnat. L’absence de Steven constitue une catastrophe sur tous les tableaux. A 21 ans, il a déjà acquis des planches au niveau international avec le Standard. Il a été remplacé par des jeunes méritants mais qui n’ont pas son bagage. Il y a aussi eu la longue suspension, en championnat, d’Axel Witsel. Defour et Witsel, c’est le véritable moteur du Standard. Si je disais le contraire, ce serait ridicule. A deux, ils nous font jouer. Sans eux, il faut trouver d’autres solutions qui ont eu des répercussions dans tous les domaines.

Le Standard est donc toujours défiguré sans Defour ?

Ben oui, il faut dire les choses comme elles sont. Le jour où Dieumerci Mbokani et Milan Jovanovic ne seront plus là, ça va être difficile de marquer des buts. En Ligue des Champions, le niveau de motivation est énorme et nous permet de surmonter nos handicaps. Si nous jouions aussi mal en Ligue des Champions qu’en championnat, nous aurions été ridicules et largués, dans la manière et les résultats, après deux ou trois matches. Je n’oublie pas que nous avons eu sept blessés après un mois. Il a fallu lancer des nouveaux : c’était difficile pour eux et pour nous aussi. Dès que les absents reviendront et que le programme s’allégera, le Standard retrouvera son niveau en championnat. J’espère que ce ne sera pas trop tard…

 » Quand on parvient à bouger Arsenal, ça signifie quelque chose « 

Quels grands enseignements tirez-vous de la première partie de votre parcours en Ligue des Champions ?

Nous sommes passés deux fois à côté de la montre en or, contre Arsenal et à Olympiacos. Le Standard a raté la possibilité d’empocher six points qui n’auraient pas été volés. On n’a finalement pas récolté ce que nous méritions jusqu’à présent. Et si je fais abstraction du nul obtenu avec un peu de chance à Alkmaar, nous aurions dû recevoir les Grecs dans une situation assez confortable. Face à Arsenal et à Olympiacos, le Standard a maîtrisé son sujet durant 85 minutes. J’ai admiré le comportement de nos jeunes car ils ont secoué, sans complexe, une des meilleures équipes européennes. Quand on parvient à inquiéter Arsenal, ça signifie quelque chose. A l’approche de la fin du match, comme en Grèce, l’équipe a cédé à la fatigue et a payé un flottement au niveau de la concentration. Au Pirée, nous avons atteint un haut niveau de jeu et ce fut parfait jusqu’au moment fatal que je sentais arriver. C’est toujours dur en fin de match mais il faut que le Standard puisse alors faire comprendre à son adversaire : On souffre mais vous n’obtiendrez rien du tout. Mais le foot est bizarre : on a récolté notre seul point lors de notre match le moins bien accompli, à Alkmaar…

Est-ce la peur de gagner ?

La peur de gagner comme le tennisman qui tient une balle de match ? Je ne crois pas. Non, c’est d’abord une question de concentration : quand il faut défendre, on doit dégager le ballon dans la tribune sans se poser de question. Or, Arsenal est revenu à 2-1 en fin de première mi-temps. C’était évitable et sans cela, on rentrait calmement au vestiaire où chacun aurait bu un peu d’eau en se disant : -Les Anglais, maintenant, ils peuvent venir. Avec le 2-0 au repos, ils n’auraient jamais gagné et Jova ou Dieumerci aurait grillé leur défense. Nous avons reçu des coups et des gifles qui doivent nous faire réfléchir et avancer. Je sais, il y avait déjà eu Liverpool la saison passée avec un penalty raté à Sclessin et un but encaissé au bout des prolongations à Anfield Road. Le vécu nous manque toujours. Lyon rêve en Ligue des Champions depuis des années mais n’a jamais été loin. Nous venons de débarquer en Ligue des Champions et le Standard n’a pas été ridicule jusqu’à présent.

En attendant, vous devez au minimum terminer troisième de votre groupe pour continuer en Europe…

Tout est possible car le Standard peut bouger ses adversaires européens. Je veux éviter la 4e place car cela nous empêcherait même de jouer en Europa League. Si ce n’est pas possible, on se concentrera sur le championnat.

Ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent ?

Si mais nos adversaires ont progressé. Tout est plus dur car tout le monde veut la peau du double champion. Il y a une chose positive même si nous ne jouons pas bien : le Standard n’a encaissé qu’une défaite qui aurait pu être évitée. Les grandes équipes ne m’inquiètent pas. C’est même agréable de les rencontrer. J’ai affronté Anderlecht qui a découvert cette saison un grand attaquant avec Romelu Lukaku. Par contre, je ne connais pas du tout le nouveau Club Bruges d’Adrie Koster.

 » Les Brugeois savent que nous adorons les grands rendez-vous « 

Etonnant !

Non, pourquoi ? Je n’ai tout simplement pas eu le temps de voir un seul de leurs matches. Siramana Dembele les a observés et il m’a certifié que Bruges était beaucoup plus technique qu’avant. Les Brugeois savent que nous adorons les grands rendez-vous. Ils sont premiers et peuvent nous renvoyer très loin au classement général. Quand je parle de cela, ils savent très bien que je veux dire…

Je dois décoder ?

Pas besoin. Il y a deux ans, Bruges était aussi en tête au moment de nous recevoir. En cas de défaite, le Standard était largué. Mais c’est le contraire qui s’est passé. Il faut toujours se méfier de nous…

Pour la première fois depuis longtemps, le public de Sclessin a rouspété à l’occasion du match contre Zulte-Waregem…

Je ne cherche pas d’excuses, j’assume mes responsabilités mais les supporters sont trop exigeants et ne tiennent pas compte des réalités dans lesquelles nous nous débattons. Ils nous ont insultés car on ne jouait pas bien. Mais faire tourner l’effectif pour garder éternellement le même niveau, ne suffit pas, ce serait trop simple. Regardez Liverpool : Steven Gerrard et Jamie Carragher prennent part à tous les matches ; et ils ont plus d’intensité qu’ici. Les Reds ne peuvent pas s’en passer, malgré un groupe très riche. Le problème est forcément bien plus aigu si le Standard doit se passer d’un ou plusieurs piliers. Alors quand sept titulaires ne jouent pas, c’est très compliqué. C’est le moment d’être derrière nous. Je comprendrais qu’on siffle une équipe au complet. Le public peut alors faire ce qu’il veut, mais pour le moment, cela n’a pas d’intérêt. Il doit être un peu plus patient.

La défense n’a encaissé que 11 buts en D1 : est-ce un élément de réflexion sécurisant avant les grands rendez-vous qui vous attendent ?

Même si je ne suis jamais totalement satisfait, je n’ai pas spécialement besoin d’être rassuré à propos des potentialités de la défense. Si les chiffres semblent bons, il y avait quand même moyen d’encaisser cinq goals de moins. Devant la défense, Steven ne va certes pas chercher le ballon dans les pieds de l’adversaire ou dans le trafic aérien, comme Marouane Fellaini le faisait si bien, mais il coupe intelligemment les trajectoires. Avec lui bien positionné et un Witsel qui garde les ballons difficiles, nous permet de souffler, le travail d’une défense est grandement facilité.

 » Le coach est parfois obligé de songer à des solutions inédites « 

Avez-vous abordé cette saison avec l’intention de remettre les pendules à l’heure après vos blessures du 2e tour 2008-2009 ?

Ma première partie de la saison avait été excellente. En janvier, je me suis bien préparé mais la malchance a joué : suspension suite à un tackle trop appuyé sur Björn Vleminckx, déchirure au mollet alors que je tentais de rattraper Dieu à l’entraînement (6 semaines sur le flanc), carte jaune, déchirure à la cuisse et six nouvelles semaines d’absence. Je suis revenu à six matches des playoffs et j’en ai joué trois. Il faut être sincère : Tomislav Mikulic s’était installé à ma place et a bien fait son boulot. On ne doit pas tout m’expliquer. Il y a la logique du football et Mikulic méritait de garder sa place. Les intérêts de l’équipe passaient avant les miens qui étaient de jouer. Mais j’ai quand même eu la chance de terminer ma saison sur les test-matches et le titre. J’ai joué quelques minutes à Bruxelles et tout le retour que Mikulic a raté car il avait reçu une carte rouge à Anderlecht.

Vous avez quand même râlé…

Pas pour cela mais pour une dispute avec le coach. Cela n’avait rien à voir avec le fait que jouais ou pas. Je n’ai jamais été dans son bureau pour savoir pourquoi je n’étais pas repris. C’était autre chose et cela arrive. Mais mon respect à son égard est entier et nous bossons ensemble sans problème.

Bordeaux était intéressé par vos services. Il y aurait eu aussi une offre turque et russe de quatre millions d’euros pour vous : intéressant, non ?

Je ne suis pas au courant et je ne mens pas. Sincèrement, personne ne m’a contacté. En été, je me suis bien préparé car je savais qui tout dépendait de moi. Ma mentalité est ainsi faite.

Defour a dit un jour que vous étiez le joueur le plus important du Standard…

Il affirmé ça parce qu’il m’aime bien. C’est mon camarade de chambre… Je suis, c’est vrai, assez diplomate et c’est utile dans le cadre d’un métier stressant. Il y a beaucoup de caractères différents. J’offre mon estime à tout le monde, petit ou grand. Quand un mec que vous comprenez pète les plombs, il se souvient de votre respect et le dialogue est plus facile.

Comment dialoguez-vous avec Mbokani ?

Dieu, je l’adore. Quand il fait des bêtises, je suis le premier à lui rentrer dedans. Il sait que je l’aime bien et que j’interviens dans son intérêt. C’est clair qu’il faut souvent lui botter les fesses mais, à par cela, c’est un garçon agréable. Quand il s’ouvre aux autres, on découvre une personnalité magnifique et intelligente. Oui, il a râlé après l’élection du dernier Soulier d’Or. Je le comprends mais je lui ai expliqué qu’un titre était plus important qu’une distinction individuelle. Ces temps-ci, c’est plus difficile pour lui mais on le soutient et cela devrait aller. Dieu est un aussi un garçon fragile. Moi, je peux jouer tout en ayant des problèmes, lui pas. Jova, par exemple, a un tout autre caractère. C’est aussi un chouette gars. Il dit ce qu’il pense, répond du tac au tac. Il a été sifflé et ne mérite pas cela après tout ce qu’il a déjà donné. Le public oublie et imagine qu’un joueur n’a pas de pépins dès qu’il revêt la vareuse.

Laszlo Bölöni a-t-il changé ?

Non, c’est le même.

Comme il ne vous parle pas, vous n’en savez rien…

Non, il y a dialogue. Cela va bien et il me parle plus que la saison passée.

Que retiendrez-vous de votre passage en Belgique ?

Je suis sous contrat jusqu’en 2011. Je n’ai pas envie de partir. Je suis ici depuis cinq ans et on verra bien ce qui m’attend. Je me suis relancé en Belgique. On m’aime ici et j’aime aussi ce pays où j’ai déjà gagné deux titres. Ailleurs, des joueurs évoluent depuis dix ans mais n’ont jamais été champions. J’espère que la machine va se remettre en route comme la saison passée. Nous n’avons plus d’excuses. Il faut gagner même si nous sommes obligés d’aligner le jardinier du stade.

C’est un bon joueur, j’espère…

On s’en fout si c’est un bon joueur ou pas, il faut gagner.

par pierre bilic

Dieu est un garçon fragile, magnifique et intelligent.

Avec Defour,le Standard serait deuxième de son groupe.

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