Le caractère est là

Les Luxembourgeois sont – injustement – les oubliés du football belge.

Le président de Virton, RenatoCostantini, donne directement le ton :  » Bleid, c’est tout petit. Et le terrain de football, c’est quasiment mon jardin. Vous verrez, c’est la campagne ici.  »

Loin des grands centres urbains, les Luxembourgeois sont un peu les oubliés du foot belge. Jamais ils n’ont hissé un de leurs clubs en D1. Virton en est le plus proche : il évolue depuis huit saisons en D2. Jadis, Bastogne et la Jeunesse Arlonaise ont joué en D3. C’est tout. On se souvient aussi d’un exploit de Libramont en Coupe de Belgique contre l’Antwerp, alors emmené par FrancisSevereyns et premier du championnat de Belgique. Pourrait-on un jour voir un club luxembourgeois en D1 ? Aujourd’hui, les quelques joueurs de la province qui possèdent un certain talent sont toujours obligés de s’exiler. A Sclessin la plupart du temps, parfois ailleurs. En matière footballistique, le Luxembourg n’a pas vraiment une ardeur d’avance.

Le Lorrain Arlon aux couleurs d’Anderlecht

YvesLemaire représente la province du Luxembourg à la Ligue des Promotions :  » Pourquoi aucun club luxembourgeois n’a-t-il jamais atteint la D1 ? C’est un peu comme si vous me demandiez pourquoi l’équipe nationale grand-ducale n’a jamais disputé une finale de Coupe du Monde ! La réponse est simple : la province est fort étendue, mais sa densité de population est faible. On est loin du soleil : loin des grandes agglomérations, des sièges d’entreprises, des décideurs. On manque aussi d’infrastructures.  »

Lemaire est également le président fondateur du Lorrain Arlon.  » J’ai créé le club en 1972 avec un groupe d’amis « , se souvient-il.  » Si on a pris les couleurs mauves et blanches, c’est parce que j’avais un certain attachement envers Anderlecht. Le Sporting nous a d’ailleurs fourni notre premier jeu de maillots. Le Lorrain et la Jeunesse ( NDLR : plus ancien club de la province avec son matricule 143… et où a joué Roger Lambrecht, aujourd’hui président de Lokeren, comme demi défensif en D3 !) se sont livrés une rivalité cordiale. Aujourd’hui, je pense que nous sommes le club le plus important de l’entité. En dépit de l’un ou l’autre aller-retour avec la 1ère Provinciale, nous avons disputé une trentaine de saisons en Promotion où nous évoluons toujours.  »

Selon Lemaire, le petit Luxembourgeois ne naît pas nécessairement avec un handicap, s’il veut devenir footballeur.  » Le caractère rural de la province peut aussi constituer un atout « , estime-t-il.  » Le Luxembourgeois mène une vie rude, il est habitué à l’effort et cela forge le caractère. La plupart des joueurs luxembourgeois qui ont réussi au plus haut niveau présentent d’ailleurs cette caractéristique : ils ont beaucoup de caractère. C’était le cas de PhilippeAlbert, MichelRenquin, EtienneDelangre…  »

Lemaire connaît particulièrement bien Albert :  » Je n’étais pas son manager, mais je l’ai souvent conseillé. Au départ, certains pensaient que ce provincial ne s’habituerait jamais à la ville, mais il a au contraire fort bien mené sa carrière. Il a appris le néerlandais à Malines, l’anglais à Newcastle. Et aujourd’hui, il s’est très bien reconverti. C’est une vraie réussite dont le Luxembourg est fier. « 

Mais forcément, le petit Luxembourgeois a intérêt à s’expatrier pour assouvir sa passion.  » Il y a malgré tout une évolution dans la province « , constate Lemaire.  » Virton commence à attirer les meilleurs jeunes et à mener une politique plus régionale. C’est une bonne chose, à mon avis. « 

Virton : le seul en D2 (huit ans !)

Virton est donc le seul club luxembourgeois à avoir atteint la D2. L’homme qui l’a hissé à ce niveau, depuis les séries provinciales, est JoséAllard. L’ancien président ne souhaite toutefois plus s’exprimer sur le sujet à la suite d’un différend. GérardHerbigniaux, d’origine brabançonne mais Gaumais d’adoption, a repris le flambeau.

 » Voilà huit ans que l’Excelsior évolue en D2 « , constate-t-il.  » Et on aimerait bien découvrir autre chose : la D1, par exemple… Les supporters aussi : ils étaient très enthousiastes lorsque le club avait rallié l’antichambre, et se pressaient régulièrement à 3.000 dans le stade, mais le soufflé est retombé. Ils ont l’impression qu’on stagne et se lassent de voir toujours les mêmes équipes. Ils voudraient plus d’affiches. Moi aussi, j’ai l’impression que le club serait plus viable en D1, ne serait-ce qu’avec les droits TV. On ne les a plus cette année, ce qui représente une perte de 60.000 euros, près d’un mois de salaires. Malheureusement, le chemin vers la D1 va devenir de plus en plus étroit. Et comme on est limité budgétairement, on ne peut pas se permettre d’acquérir des valeurs sûres. Donc, on se contente de joueurs prometteurs qui doivent encore confirmer, ou de joueurs revanchards. Parfois cela réussit, parfois pas… « 

Le principal obstacle, selon Herbigniaux, est le manque de sponsoring.  » On n’a pas de sponsors nationaux, pas mêmes provinciaux, seulement locaux : des gens qui essaient de nous aider, par solidarité ou par amour pour le club. C’est bien, mais cela ne suffit pas. « 

La distance, en revanche, n’est pas un handicap d’après le président.  » On est habitué. Tous les 15 jours, on se farcit au minimum 250 kilomètres, parfois le double. Lorsqu’on joue un dimanche après-midi en Flandre, on part souvent la veille et on loge dans un hôtel 2 étoiles. Pour les jeunes, c’est pareil : il arrive qu’ils partent à 7 heures du matin pour aller jouer en déplacement. On relativise en se disant qu’en CFA (le Championnat de France amateur), des équipes parcourent chaque week-end 5 ou 600 kilomètres, aller simple. « 

En fait, ce sont surtout les visiteurs qui râlent, alors qu’ils ne doivent venir en Gaume qu’une fois par saison.  » On essaie de les accueillir de la meilleure manière qui soit, en mettant les petits plats dans les grands. On est très fiers de pouvoir recevoir des équipes historiques comme le Lierse, l’Antwerp, Saint-Trond ou le Brussels. « 

Bleid aimerait un foot totalement splitsé pour être reconnu

Pourquoi donc Costantini, entrepreneur luxembourgeois né au Grand-Duché, d’origine italienne et grand supporter de l’AC Milan, a-t-il choisi d’investir à Bleid, charmant petit village gaumais qui vient de dépasser le seuil des 400 habitants et fait partie de l’entité de Virton ?

 » Un peu par hasard « , reconnaît-il.  » Comme les prix des immeubles étaient exorbitants au Grand-Duché, j’ai acheté une maison dans le village, et en 1996, on m’a demandé de devenir le président de ce club qui évoluait encore en 3e Provinciale. J’ai injecté un peu d’argent, et on a rejoint la Promotion, grâce notamment à l’apport de quelques joueurs français. « 

Dont certains noms connus, comme DavidZitelli (ex-Karlsruhe, Strasbourg, Metz, etc) et DavidRégis, devenu Américain par le mariage et qui a disputé les Coupes du Monde 2000 et 2004 avec les Etats-Unis.  » Bleid a toujours été appelé le club àpognon, car dans la région, tous les clubs sont pauvres. La France est à deux kilomètres et si on leur offre un petit contrat, les joueurs frontaliers viennent très facilement.  »

Mais voilà un lustre que Bleid échoue aux portes de la D3. C’est en 2006 qu’il est passé le plus près de l’exploit : au dernier match du tour final, il a échoué aux tirs au but face à Veldwezelt.

 » Cette saison, nous n’avions pas ouvertement déclaré qu’on visait la montée. C’est parfois à ce moment-là qu’on réussit. Malheureusement, les assistances sont en baisse. On connaît le même phénomène que Virton : quand en est monté de 1re Provinciale en Promotion, les spectateurs venaient en nombre et étaient enthousiastes. Mais à force de voir l’équipe échouer dans sa quête du Graal, ils se sont découragés. « 

Costantini aimerait pourtant s’extraire de cette Promotion qu’il considère lui-même comme la… poubelle du football belge !  » Qu’y trouve-t-on ? Des anciens pros qui ont raté leur carrière ou des jeunes qui n’ont pas trouvé place dans des clubs de D1. Si l’un d’eux a la chance de faire trois bons matches, 17 managers lui tombent dessus et il part au mercato. « 

Imaginons que Bleid atteigne la D3. Que se passerait-il ?  » Je vois mal le club évoluer en D3 dans les installations actuelles « , admet Costantini.  » Rien qu’au niveau de la sécurité, ce serait impensable. Il faudrait donc, d’office, déménager… ou fusionner avec Virton, un club auquel on voue une haine profonde ( sic). Non, j’exagère. Je me réjouis de voir Virton en D2, mais l’esprit de clocher reste très tenace dans la région. Rassembler les forces pour créer un grand club gaumais me semble pourtant être la seule solution si l’on veut viser plus haut.  »

Costantini a des idées bien à lui.  » Aujourd’hui, dans le football belge, les Wallons proposent et les Flamands décident. Moi, je suis pour deux championnats scindés. Par pour une question de subsides, mais pour des raisons sportives. Je constate que des clubs grand-ducaux, avec lesquels on a fait jeu égal durant les matches amicaux d’avant-saison, jouent en Coupe d’Europe ! On a donc le potentiel pour être… européen ! Pas pour jouer en Ligue des Champions, bien sûr, mais j’ai déjà vu au Grand-Duché des équipes lituaniennes ou géorgiennes qui n’avaient rien de plus que nous… « 

A Bleid, on rencontre aussi le directeur sportif DominiqueGardeur qui a créé, voici une vingtaine d’années, les stages sportifs BDK, aux initiales de trois footballeurs luxembourgeois tragiquement décédés dans un accident de la route : JeanClaudeBouvy (ex-Saint-Léger, et surtout Anderlecht et Gand), BernardDoutrewe (ex-Bastogne) et ChristianKnoppes (ex-JS Arlon).  » Il n’existait pas de véritable politique de formation dans la région. Des jeunes pouvaient donc s’inscrire pour participer à nos entraînements durant les vacances scolaires. Aujourd’hui, la formule s’est développée : on part en Espagne et en Italie avec ces jeunes. Et d’autres sports se sont ajoutés au programme.  »

Renquin, le coach ardennais et… étranger

Originaire de Wibrin, MichelRenquin est sans doute, avec Philippe Albert, le footballeur luxembourgeois qui a porté le plus haut les couleurs de sa province. Il est aujourd’hui l’entraîneur de Bleid.  » L’entraîneur… étranger de Bleid, puisque je suis Ardennais ! « , plaisante-t-il en confirmant qu’il y a des différences entre le nord et le sud de la province.  » La Gaume, c’est presque un autre pays…  »

Si Renquin est parti au Standard, pour réaliser la carrière que l’on connaît, c’est un peu… par hasard.  » J’avais 17 ans, et je jouais en 1re Provinciale mais je ne m’entraînais quasiment pas, comme la plupart des joueurs de l’époque. Je n’ai jamais eu un plan de carrière. J’ai simplement eu la chance qu’un dirigeant du… FC Liégeois se trouvait ce jour-là dans la tribune. Il m’a invité à venir disputer un match d’essai avec les Sang et Marine. Je me suis rendu à Rocourt avec mon beau-frère, mais personne ne m’attendait. Je me suis payé un ticket, j’ai pris place dans la… tribune pour regarder le match, et trois jours plus tard, je signais au Standard. Je m’en souviens très bien : j’étais encore très timide et le lundi, je me suis retrouvé dans les vestiaires en compagnie des grands joueurs de l’époque comme WilfriedVanMoer, NicoDewalque ou LouisPilot. Le samedi, je débutais avec l’équipe Première.  »

Une situation qui a peu de chances de se reproduire aujourd’hui.  » Actuellement, les clubs ont tout de même une cellule de scouting qui permet de détecter les talents, y compris jusqu’au Luxembourg. La part de hasard est réduite. Et même en Provinciale, il faut s’entraîner. « 

A Bertrix, on joue surtout avec des Belges

Le rival de Bleid pour la montée en D3 pourrait bien être Bertrix, un autre club luxembourgeois où les équipes nationales de jeunes se produisent de temps en temps. Le club vient d’aménager un nouveau terrain. Sous la houlette du manager PhilippeEtienne, l’ambition est présente. Et la politique est très différente : là-bas, on évolue essentiellement avec des joueurs belges. Dont SébastienGrégoire, le frère de Christophe.

 » Au départ de cette saison, l’ambition était de jouer le tour final, et là tout peut arriver. A terme, on espère effectivement évoluer en D3 « , dit Etienne.  » On est un club à vocation régionale qui souhaite devenir le porte-drapeau du Centre-Ardenne. Les infrastructures sont là, du moins pour le terrain A qui est en bon état. La tribune a été rafraîchie, on a 425 sièges-baquets, quatre vestiaires. Tout cela nous a déjà permis d’organiser des matches internationaux de jeunes : Belgique-Turquie et Belgique-Suède en -19 ans. La piste d’athlétisme qui ceinture la pelouse coupe un peu l’ambiance, mais c’est un détail. On veut aussi créer une école de jeunes (qui serait un peu le pendant de Virton pour le nord de la province), et pour cela, la D3 serait plus adéquate que la Promotion, car cela signifierait une présence dans chaque catégorie d’âge. « 

Et les jeunes ?

Bref, dans les jeunes, où peut-on trouver les successeurs de Michel Renquin, Philippe Albert et GauthierRemacle ? On trouve quelques Luxembourgeois dans les équipes d’âge du Standard, comme le gardien AnthonyMorris ou les milieux de terrain GaëlArend et Germain Marloie. Le milieu offensif GuillaumeFrançois, originaire de Virton, a lui aussi passé un test au Standard voici trois ans mais s’est finalement casé à Mouscron où il a intégré le noyau A en début de cette saison.  » Dans le Luxembourg, il n’y a pas vraiment de centre de formation, alors les meilleurs jeunes s’en vont très vite « , constate-t-il.  » Le problème, c’est la distance. A part le Standard, on ne trouve rien à moins de 200 kilomètres. Il y a Charleroi, et puis certains clubs flamands. Moi, je suis resté en Wallonie, mais c’est quasiment la plus longue distance que je puisse parcourir en Belgique. A un niveau inférieur, beaucoup s’expatrient également… au sein de la province. Dès qu’il y a un jeune valable, Virton met le grappin dessus. Lorsque je jouais dans les sélections provinciales, la plupart de mes copains étaient partis en Gaume. Pour eux, c’est le sommet.  » Et pour cause : l’équipe Première de Virton évoluant en D2, ses jeunes peuvent disputer le championnat national.

Remacle, comme d’autres, regrette le manque d’infrastructures et de clubs d’élite dans la province du Luxembourg :  » Et le climat rude ne présente pas que des avantages… Dès qu’il neige, on constate que les parents amènent plus difficilement leurs enfants aux entraînements. L’an passé, j’ai dispensé des séances de perfectionnement à des gamins d’Houffalize en compagnie d’ EtienneDelangre. C’était sympa, mais dès que les conditions climatiques se sont dégradées, il n’y avait plus personne. Je pense qu’il y a autant de talents dans le Luxembourg qu’ailleurs, mais beaucoup d’entre eux se perdent.  »

par daniel devos – photos: reporters/ gouverneur

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