Le Cap de Bonne-Espérance

Infrastructures nouvelles, niveau de la compétition, rapprochement entre les populations : la Coupe du Monde 2010 aura été tout profit pour l’Afrique du Sud. Conséquence : la ville du Cap s’est mise sur les rangs pour abriter les JO de 2024.

par françois colin

A la fin du mois de novembre 2012, les autorités sud-américaines ont publié leur rapport final sur l’organisation de la Coupe du Monde, The 2010 FIFA World Cup Country Report. On y apprend que le gouvernement sud-africain a dépensé 27 milliards de rands (2,5 milliards d’euros) pour mettre sur pied l’événement.

Un milliard d’euros fut consacré aux stades ; 1,1 milliard aux transports (routier, ferroviaire et aérien) et près de 400 millions aux infrastructures portuaires. Aucun montant officiel de rentrées ne figure dans le document. On y constate que seulement 300.000 touristes étrangers ont assisté à l’épreuve et qu’ils ont rapporté près de 400 millions à l’Etat. Soit beaucoup trop peu pour couvrir les dépenses.

 » Les traces laissées par la Coupe du Monde ne doivent pas se mesurer en chiffres « , affirme le ministre des Sports, FikileMbabula.  » La fierté et l’unité des Sud-Africains a changé l’image du pays aux yeux du reste du monde, qui nous considérait comme une nation sous-développée et violente.  »

Selon les analystes financiers de GrantThornton, la Coupe du Monde aurait rapporté six milliards de dollars à l’économie sud-africaine. L’économiste DawieRoodt ne se soucie pas non plus du montant investi.  » Pour ce prix-là, j’organiserais bien une Coupe du Monde chaque année « , déclare-t-il au journal The Star.  » Vingt-sept milliards de rands, c’est moins de 3 % du montant dépensé chaque année par le gouvernement. J’en conclus que l’argent a été utilisé à bon escient.  »

Tous les économistes ne partagent cependant pas sa vision des choses. La Coupe du Monde donne toujours de l’urticaire à PatrickBond, de l’Université du KwaZulu-Natal, fervent opposant du projet depuis le début.  » L’événement aurait coûté beaucoup moins cher si la FIFA avait tenu compte des besoins de la société du pays d’accueil plutôt que de tout miser sur le luxe.  »

Eléphants blancs

Bond estime surtout que certains stades sont des éléphantsblancs, une expression qui dérange MarkGleeson, commentateur de la chaîne SuperSport et correspondant de l’agence de presse Reuters.  » Tous les stades sont utilisés, que ce soit par des équipes de football ou de rugby « , dit-il.

Gleeson ne nie pas que, dans certaines villes, les autorités doivent assurer elles-mêmes l’entretien des stades.  » L’une des conséquences les plus fâcheuses de l’apartheid, c’était le manque d’infrastructures sportives dans certains quartiers « , dit le ministre Mbalula.

 » Il était impératif de construire des stades de football modernes afin de combler notre retard sur les sports de Blancs comme le cricket ou le rugby « , estime RobinPietersen, responsable des projets de développement de la fédération sud-africaine de football (SAFA).  » Et c’était d’autant plus important que le football a un impact énorme sur les esprits de toute la population.  »

Le football est donc le grand vainqueur de la Coupe du Monde.  » Le championnat national est aujourd’hui un produit bien meilleur « , dit Mark Gleeson.  » Les droits de retransmission sont les septièmes plus élevés au monde et le championnat est mieux organisé qu’avant. Grâce aux infrastructures modernes, les Blancs reviennent au stade alors qu’avant, ils avaient peur.  »

De nombreux experts financiers pensent même que l’Afrique du Sud a échappé à la crise économique parce que, à la fin de la dernière décennie, elle a investi massivement dans ses infrastructures. Reste la question de savoir si, d’un point de vue moral, il est bien normal de construire des stades dans un pays où règne la misère.  » Le football ne doit pas provoquer un sentiment de culpabilité « , dit Gleeson.  » Les stades coûtent quatre millions d’euros par an au pays mais ces quatre millions n’iraient de toute façon pas à la construction d’hôpitaux, d’écoles ou de maisons. Les caisses de l’Etat ne sont pas vides. C’est la même chose pour l’infrastructure routière. Mbeki, l’ancien président, avait fait un plan pour les transports s’étalant jusqu’en 2020. Grâce à la Coupe du Monde, ce qui aurait dû être fait en quinze ans l’a été en trois ans. Avec tous les avantages que cela implique.  »

Par contre, le fait que la Coupe du Monde a contribué à la réunification du pays relève de la fable.  » Quelle réunification ? « , demande Gleeson.  » Il y a un plus grand mélange de races qu’avant mais les Blancs et les Noirs habitent toujours dans des quartiers séparés. Je n’invite pas chaque jour cinq habitants de Khayelitsha (un quartier pauvre du Cap, ndlr) à manger à la maison. Mais je ne pense pas que cela soit le cas chez vous non plus. L’apartheid des couleurs existe toujours, comme il existe aux Etats-Unis, au Brésil et en Europe occidentale. Ce qui a changé, c’est que nous supportons les mêmes clubs et que nous tombons dans les bras les uns des autres lorsque notre équipe marque. Mais après le match, chacun rentre dans son quartier.  »

Clivages ethniques

La Coupe du Monde n’a pas mis un terme à la pauvreté, au chômage et aux bidonvilles. Il y a toujours une grosse majorité de Noirs pour une minorité de Blancs. En général, ceux-ci sont bien plus riches et les Noirs perdent patience. Ils ont l’impression que la police et la justice leur en veulent toujours autant qu’à l’époque de l’apartheid. Ils en veulent pour preuve le bain de sang de Marikana où, en août de l’année dernière, 44 mineurs en grève ont perdu la vie sous les balles de la police. A l’ANC, le parti de NelsonMandela, la déception est de plus en plus forte. Trop de fonctions publiques sont attribuées aux cadres du parti, souvent en remerciement pour leur implication dans le  » Struggle  » (la lutte anti-apartheid) et sans tenir compte de leurs compétences réelles. Pour les gens, l’ANC dirige le pays en fonction de l’élite, pas en fonction de la population. Les Sud-Africains auraient besoin d’un parti d’opposition crédible et fort mais la plupart des Noirs n’imaginent pas voter pour un autre parti que celui qui les a libérés du joug des Blancs.

 » C’est vrai que les gouvernements qui ont succédé à Mandela ont déçu « , dit Mark Gleeson.  » Pour beaucoup de gens, l’Afrique du Sud se résume au récit romantique de Nelson Mandela qui, après 25 ans de prison, a pardonné les Blancs et a fondé la nation arc-en-ciel. Mais c’est du blabla, ce n’est pas réaliste. Ceci dit, malgré l’apparition de la corruption, le pays reste pacifique et il y fait bon vivre. Bien sûr, sur le plan social, ça peut exploser mais le pessimisme ne mène à rien. Profitons du soleil. « 

par François Colin

 » Les droits télé du football sud-africain sont aujourd’hui les septièmes plus élevés au monde  »

Mark Gleeson, journaliste à SuperSport

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