« Le calme est inscrit dans nos gènes »

La semaine passée, les parents Courtois étaient à Bucarest pour suivre les prestations européennes de leurs enfants, Thibaut et Valérie. Nous les avons accompagnés durant deux jours.

Flash-back. Le 8 juin dernier, le tirage au sort des coupes d’Europe de volleyball féminin a envoyé le modeste VC Ouwegem, débutant sur la scène internationale, au CSM Bucarest.  » La quatrième équipe de Roumanie, c’est jouable « , selon le coach Sacha Koulberg, qui ne déborde quand même pas d’enthousiasme à l’idée de ce déplacement.  » Bucarest n’est pas la ville la plus attrayante qui soit.  »

Autre son de cloche à Bilzen, chez les Courtois, aux yeux desquels la capitale roumaine est associée à de bons souvenirs. Un mois plus tôt, en effet, leur fils Thibaut y a atteint le sommet de sa carrière en remportant l’Europa League avec l’Atletico Madrid. Le papa, Thierry, et la maman, Gitte, ne demandent pas mieux que d’y retourner, cette fois aux côtés de leur fille Valérie.

Thierry coche la date dans l’agenda familial : jeudi 15 novembre. Surpris, il constate qu’un autre match figure déjà au calendrier, la veille : le match de football Roumanie-Belgique, avec, peut-être, son fils dans la cage…  » C’est incroyable « , rit-il.

Retour à mercredi dernier, le 14 novembre. Une délégation du VC Oudegem, forte de 49 têtes, s’envole de Zaventem pour un voyage historique, préparé dans les moindres détails. Trois ans après sa montée en division d’honneur, le petit club de Dendermonde, quatrième du dernier championnat, découvre la Challenge Cup.

Cette première campagne européenne n’est pas gratuite mais les sponsors, anciens et nouveaux, ont déboursé 15.000 euros sans broncher, en sus du budget total de 100.000 euros.  » En cas de qualification, le tour suivant reviendra moins cher puisqu’il nous opposerait à Sliedrecht, un club néerlandais. Nous avons tout calculé « , confie un dirigeant, Hubert Van Rossem.

Ce n’est pas le baptême international de Valérie Courtois. La saison dernière, l’étudiante de 22 ans a disputé les demi-finales de la Challenge Cup avec le VDK Gand et elle a déjà parcouru le monde entier, jusqu’en Chine et au Mexique, avec l’équipe nationale.

Libéro attitré des catégories d’âge, elle fait partie de l’équipe première depuis mai 2010. Pour Thierry et Gitte, eux-mêmes anciens volleyeurs de haut niveau, prendre l’avion est aussi naturel qu’aller à vélo à la boulangerie. Ils ont déjà accompagné leur fille dans maints déplacements européens et toutes les deux semaines, l’un d’eux au moins se rend à Madrid à l’occasion des matches à domicile de l’Atletico.

Des week-ends chargés

 » En cinq heures, nous sommes à la maison de Thibaut à Madrid, en prenant l’avion à Charleroi « , précise Thierry. Seul problème : contrairement à la saison passée, les matches à domicile de Valérie se disputent le même week-end que ceux de Thibaut. Il leur est donc impossible de suivre tous les matches de leurs enfants, d’autant que le cadet, Gaétan (16 ans), joue aussi au volley, à Riemst, en première provinciale. Et Thierry est scout de Waremme, pensionnaire de D1.

 » Nos week-ends sont bien remplis « , confie Gitte, kinésithérapeute indépendante.  » Nous devons bien nous organiser car il n’est pas question de n’assister qu’aux matches de Thibaut. Nous éprouvons autant de plaisir à suivre Valérie et Gaétan, dont nous sommes également fiers. Regardez Valérie : elle combine des études universitaires avec une carrière sportive. Sa vie est bien plus ardue que celle de Thibaut. « 

Le gardien de l’Atletico ne doit pas se tracasser quand ses parents ratent un de ses matches : ils le suivent à la télévision ou en direct sur internet.  » Nous nous intéressons aussi au reste.  » Certainement Thierry qui, en sa qualité de directeur financier du garage Beckers, concessionnaire Ford, règle la comptabilité et les problèmes administratifs de son fils. Plus les articles de presse.

 » Je les compile dans des fardes depuis les catégories d’âge. J’ai même fait relier un livre avec tous les articles des journaux et magazines espagnols de la saison passée. C’est un beau souvenir « , raconte Thierry, que son Smartphone alerte, via Google, chaque fois que le nom de Thibaut apparaît dans la presse néerlandophone, francophone, anglophone ou hispanophone.

 » Cela se produit dix à quinze fois par jour en moyenne. Je lis tout, de manière à pouvoir intervenir immédiatement en cas d’erreur. Par exemple, au début du mois, la presse espagnole a annoncé que Thibaut serait loué à un club anglais la saison prochaine alors que nous n’en avons pas discuté avec Chelsea. Thibaut a immédiatement démenti la rumeur via Twitter et a insisté sur le fait qu’il se concentrait sur le seul Atletico.  »

Un tweet en néerlandais et en espagnol car le gardien s’exprime parfaitement dans cette langue.  » Un institut linguistique lui a même demandé de venir expliquer comment il avait appris aussi vite l’espagnol « , précise Gitte, qui a également suivi des cours. Via un cours du soir, Thierry s’est aussi plongé dans les dictionnaires et avant de s’envoler pour Bucarest, Valérie a jeté un ultime coup d’£il à son cours d’espagnol, une option dans ses études de bio-ingénieur.

Interdit à la famille

16.30 heures. A leur arrivée à Bucarest, Thierry et Gitte se demandent s’ils auront la possibilité de voir leur fils à l’hôtel des Diables Rouges, un hôtel qu’il a déjà occupé lors de la finale de l’Europa League. Mais après le repas, il leur reste peu de temps et de toute manière, Marc Wilmots a interdit aux familles l’accès à l’hôtel les heures précédant le match.  » Nous ne voulons pas causer d’ennuis à Thibaut. Nous espérons le voir au stade, avant ou après le match.  »

Ce ne sera pas pendant le match car, comme prévu, c’est Simon Mignolet qui est dans le but. Ces derniers jours, il n’a pas mâché ses mots :  » Je veux récupérer ma place.  » Thierry s’étonne.  » Mais Simon a le droit d’être ambitieux. Je regrette simplement que Thibaut ne soit pas sur le terrain aujourd’hui car cela aurait rendu notre voyage encore plus beau.  » Gitte y décèle un avantage :  » Sur le banc, il aura tout loisir de se remémorer cette soirée fantastique de mai. Thierry et moi y pensons beaucoup. Surtout au moment où, coupe en mains, il a couru vers nos sièges pour nous la montrer. J’en ai toujours la chair de poule…  »

La finale a eu lieu à l’Arena Nationala, un bijou qui a coûté la bagatelle de 234 millions d’euros et compte 55.600 sièges de couleur. Ce soir, un dixième du stade est occupé malgré le prix dérisoire requis : 20 lei, soit 4,41 euros par billet. Thierry conserve précieusement ce billet.  » Comme ceux de tous les matches. « 

Parmi la maigre foule, les 49 membres de la délégation du VC Oudegem, revêtus de maillots, de chapeaux et d’écharpes tricolores. Ils sont escortés par au moins autant d’agents et de stewards au regard vigilant. Cela n’empêche pas Valérie et ses coéquipières d’adresser de grands signes à Thibaut pendant son échauffement.

Deux collaborateurs de l’URBSFA lui demandent s’ils peuvent lui confier un microphone, afin d’enregistrer l’ambiance qui règne au sein du camp belge, pour un reportage sur les liens entre les Diables Rouges et leurs supporters.  » Cela fonctionne aussi quand je dois aller aux toilettes ? « , rigole Valérie, qui entonne la Brabançonne à pleins poumons, comme Gitte et ses coéquipières.  » En équipe nationale de volley, c’est obligatoire.  » Vingt minutes plus tard, elle ne cache pas son enthousiasme quand Christian Benteke ouvre la marque.

Dans un autre bloc, des bagarres éclatent entre des supporters roumains et des stewards, sous le regard serein de Thierry, qui ne perd pas son calme quand Alexandru Maxim égalise à la demi-heure de jeu.  » Si Mignolet aurait pu intercepter le ballon ? Il faudrait que je revoie les images mais le Roumain a bien placé son ballon. D’un autre côté, contre l’Ecosse, Shaun Maloney a bien botté son coup franc mais Thibaut l’a arrêté.  »

Un truc sur penalty

Préserver ses filets dans ce match et contre la Serbie a insufflé beaucoup d’assurance à son fils, souligne Thierry.  » Depuis, il faut marquer un but de classe mondiale pour le battre, comme Roberto Soldado, le joueur de Valence, d’une volée à la Marco Van Basten. Thibaut a énormément progressé à Madrid : il garde mieux le ballon, il est encore plus concentré, même contre des adversaires plus modestes, il a amélioré son jeu de position et son coaching.

Il a aussi pris cinq à six kilos de muscles : après chaque entraînement, il passe une heure dans la salle de musculation. Il y réalise des exercices de stabilisation, sur le conseil de Lieven Maesschalk. C’est très important pour un gardien.  »

À la mi-temps, Thierry peut serrer la main de son fils, qui saute par-dessus les panneaux publicitaires pour s’approcher da la tribune. Il n’a pas beaucoup de temps mais cette brève rencontre les comble tous deux, manifestement. Le sujet de leur brève conversation ?  » Ce n’est pas pour la presse « , décrète Thierry.

Durant les 45 minutes suivantes, il voit le jeu des Diables Rouges se faire brouillon. Gabriel Torje convertit un penalty, Mignolet ayant plongé du mauvais côté.  » Une loterie ? Foutaises. Un penalty est un exercice psychologique durant lequel les gardiens attendent de plus en plus longtemps. Thibaut a un secret, que lui a confié Laszlo Köteles. Avant chaque match, il étudie aussi la manière dont le joueur adverse chargé des penalties les botte.  »

Il jure : Romelu Lukaku vient de galvauder plusieurs occasions et son Smartphone lui apprend que Zlatan Ibrahimovic a marqué quatre buts contre l’Angleterre.  » Il nous faut un killer comme ça, hein ! Thibaut le dit souvent : alignez Falcao, son coéquipier de l’Atletico, et nous devenons champions du monde « , poursuit Thierry, qui reçoit un sms de son fils au terme du match.  » Il savait de quel côté Torje allait botter son penalty. C’est un joueur de Grenade et il ne lui est donc pas inconnu.  »

Jeudi, 9.30 heures. Pendant que les joueurs du VC Oudegem s’astreignent à un ultime entraînement, les autres membres de la délégation visitent la ville.  » C’est toujours un chouette extra lors d’un déplacement et certainement aujourd’hui car en mai, nous n’avons vu que notre hôtel et le stade « , explique Gitte, qui a visité tous les recoins de Madrid.  » Plus que Thibaut, qui est tout sauf un touriste. En vacances, il tirait toujours la tête quand nous allions visiter quelque chose. Il lui est difficile de flâner à Madrid car on l’aborde constamment. Même un saut chez Carrefour prend une demi-heure de plus qu’au début. Il essaie donc d’y aller le plus tard possible, quand il n’y a plus de monde. Sinon, il est sollicité de toutes parts. « 

No stress

Il fait ses commissions, il cuisine. Le gardien a appris à tenir sa maison.  » Thibaut se débrouille très bien « , opine Gitte.  » Il ne reçoit d’aide que pour le nettoyage et le repassage. En l’espace d’un an, il est devenu adulte. Il a également acquis la mentalité espagnole : pas de stress. « 

On s’en rend compte quand Thierry, un peu plus tard, apprend que la valise de Thibaut a été perdue avant le vol retour vers Bruxelles et qu’à Madrid, son fils a retrouvé sa voiture avec un pneu crevé.  » Il l’a remplacé lui-même. Pourquoi s’énerver ? C’est comme sur le terrain : il ne panique jamais « , précise Gitte, qui se souvient d’une anecdote.  » Plus jeune, il était très loin de son but quand l’adversaire a lancé un contre. Au lieu de retourner en vitesse à sa place, il a effectué un joli tacle. Les spectateurs retenaient leur souffle, se demandant ce qu’il allait faire mais Thibaut a haussé les épaules. – Où est le problème ? Il avait onze ans…  » C’est un trait familial, apparemment, car Valérie est également le calme personnifié.  » Même avant, quand je pratiquais encore la danse. Beaucoup de filles étaient envahies par la peur des planches, en coulisses, mais je restais calme. C’est certainement génétique « , s’exclame le libéro national.

Contrairement à son frère, Valérie ne nourrit pas l’ambition effrénée de jouer à l’étranger.  » Je suis réaliste. Les grands clubs européens ne vont pas se presser pour un libéro belge. Ils préfèrent enrôler des avants. De toute façon, le volleyball féminin ne rapporte pas grand-chose, contrairement au football. Mais pourquoi serais-je jalouse de Thibaut ? Je lui grée son succès de tout mon c£ur. Il me soutient également car il a investi dans un bel appartement à Gand, où j’habite. « 

Ses études constituent sa priorité.  » Grâce à mon statut de sportive de haut niveau, je peux effectuer mon master de deux ans en trois. Ensuite, je me rendrai peut-être en stage aux USA. En me privant de volley s’il le faut. De toute façon, je ne vais pas jouer jusqu’à l’âge de trente ans.

Ma vie tourne autour du sport et des études depuis mes sept ans. J’ai eu peu de vacances. Je rêve d’une vie normale, au sein de laquelle mon travail, peut-être dans une entreprise d’alimentation, sera le plus important. Je pourrai aussi aller voir Thibaut et Gaétan plus souvent. Pour le moment, je n’en ai guère le temps. « 

Le décor du match de volley, la salle polyvalente du CFR Rapid, est moins impressionnant que l’arène de football. C’est un bâtiment gris typique de l’ancien bloc de l’Est. Des anneaux olympiques à moitié effacés sont censés égayer le hall d’entrée. Aucun accueil n’est prévu, à part celui de neuf agents, dont la seule mission est d’empêcher les supporters d’Oudegem d’entrer avec leur bière.

Gérer ses erreurs

Or, ici, il n’y a même pas de bar. La salle ne possède pas non plus l’éclairage minimum de 800 lux.  » Personne ne s’en soucie, ici « , affirme le vice-président, Abdon Moens.  » Par contre, pour le match de jeudi, la commune de Dendermonde a investi 2.500 euros dans l’éclairage du hall de Saint-Gilles, où nous déménageons pour l’occasion. Avant et après le match, il y aura une réception pour les sponsors et les sympathisants. Nous espérons accueillir 500 personnes.  »

Cela fera plus de monde que dans cette salle : les 30 supporters du VC Oudegem, flanqués de quatre supporters belges de football, surpassent ceux de l’équipe locale en nombre et en décibels, même pendant l’échauffement. Gitte, qui souffre pourtant d’une bronchite, joint sa voix aux autres, pendant le match.

Thierry n’est pas impassible non plus. Il se dresse à plusieurs reprises, serre les poings, frappe le siège vide devant lui. Quel contraste avec la veille…  » C’est logique puisque Thibaut ne jouait pas mais de toute façon, je vis un match de volley différemment. Comme j’y ai joué, je vois immédiatement ce qui va bien ou pas, ce qui est moins le cas en football.

Valérie entre aussi plus souvent en action que Thibaut, qui peut très bien n’avoir que cinq ballons en un match. Quand il joue, il ressent une tension permanente car une faute du gardien peut faire pencher le match dans un sens ou dans l’autre, voire, si c’est une joute importante, peut faire basculer sa carrière, alors qu’une mauvaise réception de Valérie n’est pas fatale. Personne ne va tiquer non plus d’un moins bon match de sa part tandis qu’une bourde de Thibaut fera le tour du monde. Il faut apprendre à composer avec ça. « 

 » Thibaut et Valérie gèrent très bien leurs erreurs « , intervient Gitte.  » Ils se concentrent immédiatement sur le prochain ballon. C’est un gros avantage à leur poste.  » Ce n’est pas leur seul point commun.  » Valérie est très explosive et a de bons réflexes. On relève aussi des traits venus du volley chez Thibaut. Il y a joué jusqu’à douze ans. Je pense à ses qualités motrices, à la manière dont il sent quand le ballon est au sommet de sa trajectoire… La seule différence réside dans leur taille. Thibaut mesure 1m99 alors que Valérie ne fait que 1m71, ce qui est proportionnellement peu. Elle tient ça des parents de Thierry. « 

Un naturel stable

Malgré ses qualités et son expérience, Valérie ne peut empêcher la défaite du VC Oudegem 3-1.  » Nous avons commis trop de fautes. C’est fatal contre une équipe qui a plus de métier. Mais si nous sommes en forme, nous pouvons nous imposer jeudi et arracher un set en or. « 

Elle n’est pas tout à fait satisfaite de son match.  » Il a été potable mais je peux faire beaucoup mieux. Je suis perfectionniste « , déclare-t-elle, avec objectivité et modestie, sans afficher une déception excessive.

Comme Thibaut, elle tient ce trait de ses parents.  » Nous sommes d’un naturel stable « , précise Thierry.  » Nous ne connaissons pas de hauts ni de bas. Sauter de joie n’a pas beaucoup de sens car il y a toujours un moins bon jour, tôt ou tard. « 

La famille Courtois a les pieds sur terre.  » Certaines personnes pensent que nous allons attraper le gros cou parce que notre fils se produit pour l’Atletico Madrid mais pourquoi devrions-nous changer ou nous juger trop bien pour participer à un voyage du VC Oudegem ? Thibaut est resté lui-même aussi. Il n’a pas changé depuis qu’il est parti en Espagne, si ce n’est qu’il est devenu plus mûr. Bien plus que de ses performances sportives, nous sommes fiers de sa maturité, de son naturel dans la vie, de la manière dont il savoure les moments que lui offre son sport et de son bonheur, à vingt ans. Pour des parents, il n’y a rien de plus beau que le bonheur de leurs enfants. « 

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ HAMERS

 » Il faut marquer un but de classe mondiale pour battre Thibaut aujourd’hui. (Thierry Courtois)

 » Avec Falcao dans leurs rangs, les Diables Rouges seraient champions du monde.  » (Thierry Courtois)

 » A Madrid, Thibaut va faire ses emplettes le plus tard possible. Sinon, c’est l’émeute.  » (Gitte Courtois)

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