Le but de la saison

Son exploit contre Getafe le 18 avril avait fait le tour du monde. A 20 ans, le jeune Argentin fait penser à Maradona.

La Coupe d’Espagne, avec tout le respect qu’on lui doit, n’est pas vraiment la compétition à élimination directe la plus populaire au monde. D’une part, les matches n’ont pas lieu le week-end mais en milieu de semaine. La formule a déjà été adaptée ces dernières années, afin de la rendre attractive. Ainsi, on a permis aux clubs  » européens  » d’entrer en lice plus tard. Barcelone et le Real Madrid ont fréquemment utilisé la Coupe pour permettre aux joueurs du noyau élargi de garder leur forme et ont rarement atteint le dernier carré. De temps à autre, un événement particulier vient raviver l’intérêt pour cette Copa del Rey. Plus tôt cette saison, ce fut le cas du match arrêté entre le Betis et le FC Séville, après que Juande Ramos ait reçu sur la tête un projectile lancé depuis les tribunes. Mais cet incident est passé à l’arrière-plan en comparaison avec la frénésie déclenchée par le but de génie de Lionel Messi. Il s’était écoulé une demi-heure dans la demi-finale entre Barcelone et le plus petit club de Madrid, Getafe. L’Argentin, alors âgé de 19 ans, reçoit le ballon dans son camp, sur le côté droit. Il dribble des deux pieds et se fraie un chemin entre les défenseurs pour filer droit vers le but. Il y avait eu des doutes sur la fragilité de ses muscles abdominaux mais lors de cette phase, on n’a pas vraiment décelé de faiblesse ! Il passa d’abord deux médians adverses, ensuite accéléra, dribbla vers la gauche pour mettre encore deux défenseurs dans le vent, évita le gardien LuisGarcia d’une feinte à droite avant de glisser le ballon dans le but. Les commentateurs firent tout de suite la comparaison avec le légendaire but d’un autre Argentin, Diego Maradona, en quarts de finale de la Coupe du Monde en 1986 contre l’Angleterre. Le gaucher avait alors fait éclater son talent précoce au grand jour en transperçant le flanc gauche de la défense anglaise avant de battre le gardien de façon très calme.

La télévision catalane monta les deux phases côte à côte sur le même écran et ils étaient quasi indissociables. Messi, comme Maradona, récupéra la balle sur la droite, autour de la ligne médiane. Là où Maradona passa Peter Reid et Peter Beardsley, Messi élimina Javier Paredes et Ignacio Nacho Perez. Reid revint sur Maradona mais ne put l’arrêter. Nacho revint sur Messi mais en vain. Venu de la droite, Maradona coupa à l’époque vers le goal, passant entre Terry Butcher et Terry Fenwick, la balle ne quittant jamais son pied. Messi fit de même avec Alexis et Belenguer. Peter Shilton tenta une sortie devant El Pibe de Oro, Luis Garcia vint à la rencontre de Messi. Les deux gardiens furent aisément dribblés avant que les deux Argentins ne finissent leur travail d’orfèvre. Même la manière dont les deux joueurs glissèrent au sol en donnant la touche finale était identique.

Messimania

Les commentateurs sportifs espagnols ont l’habitude de crier et de faire durer le mot goal jusqu’à en perdre haleine, en le répétant ensuite un nombre incalculable de fois, comme s’ils devaient briser un record. Ou peut-être ont-ils quelque chose en travers de la gorge ? Cette fois, leurs vociférations étaient justifiées. Ce but a fait crasher de nombreux sites internet et a envahi les écrans de télévision à travers le monde. Même Real Madrid TV ne tarissait pas d’éloges.

 » De quelle planète viens-tu ? » avait titré le quotidien Marca en 1986 en écho au goal de Maradona. Quant à Deco, coéquipier de Messi à Barcelone, déclara à son propos avoir vu  » le plus beau but de ma vie « . Nacho ne pouvait que confirmer :  » Je vais devoir m’habituer à me voir à la télévision pendant encore 30 ans « .

Un reporter écrivit :  » Je me sens pleurer. Seigneur Jésus ! Vive le football ! Vive Lio ! « . Et tout cela dans un journal relativement pro Real Madrid. Le jour suivant son goal, l’intérêt était si grand que Messi dut donner une conférence de presse improvisée au Camp Nou, alors que les joueurs faisaient la file pour le congratuler. Notamment le joueur de Getafe, Dani Guiza :  » Peu importe qu’il n’ait que 19 ans. Quand on marque un but comme celui-là, on peut tout de suite prendre sa retraite !  »

Le plus beau compliment vint peut-être de Fernando Torres et de ses partenaires de l’Atletico Madrid :  » Nous regardions le match dans le vestiaire au camp d’entraînement et lorsque Messi inscrivit son but, chacun d’entre nous s’est levé et s’est mis à applaudir « . Le mot de la fin revient à l’original, le tumultueux Maradona qui a dit de Messi :  » J’ai vu le joueur qui va hériter de ma place dans le football argentin et son nom est Lionel Messi. Il est beau à regarder, mon type de joueur sous le maillot rayé bleu et blanc. C’est un leader et il donne des cours de beau football. Il a quelque chose de différent par rapport à tous les autres joueurs du monde « .

Des années auparavant, l’un des entraîneurs de Messi en équipes de jeunes, Enrique Dominguez, avait déclaré :  » Lio fait des choses avec le ballon qui défient les lois de la physique. La seule autre personne que j’aie vu faire cela, c’était Maradona « . Messi venait d’imiter son héros. A la seule différence que la scène n’était pas aussi prestigieuse, la circonstance n’exigeait pas une telle prouesse et que les yeux du monde n’étaient pas tous braqués sur ce match. Reste que chaque entraîneur rêve de savoir qu’il a envoyé au feu, pour un match important, des joueurs possédant le tempérament approprié. Frank Rijkaard à Barcelone et Alfio Basile pour l’Argentine savent désormais, s’ils en avaient jamais douté, que Messi fait partie de cette catégorie de joueurs.

Qui plus est, Messi n’est pas du style à ne briller qu’une fois par rencontre. Lors de la victoire des Blaugrana 5-2 contre Getafe, il prépara ainsi le premier goal pour le médian Xavi et inscrivit un autre but juste avant la pause. Rijkaard a dit de son premier but :  » C’était un but magnifique d’un joueur talentueux, une £uvre d’art « . Il faut noter que cela fait déjà deux ans que Messi marque des buts pour les Catalans, puisque sa première rose remonte au 1er mai 2005, sur un assist de Ronaldinho, contre Albacete. Les blessures d’ Henrik Larsson et de Maxi Lopez ont contribué à la percée de Messi mais le jeune Argentin est toujours resté imperturbable, même si son premier but en a fait le plus jeune buteur de l’histoire du FC Barcelone et a propulsé son club vers le premier titre de champion de la Liga en six ans. Messi avait fait ses débuts en octobre 2004, contre l’Espanyol. Un an auparavant, le 16 novembre 2003 dans un match amical contre le FC Porto, il avait été le troisième plus jeune joueur en équipe A dans l’histoire du Barça, après Paulino Alcantara et Haruna Babangida. En août 2004, il fut le seul joueur de la classe biberon du club catalan que Rijkaard prit dans ses valises pour un tournoi de préparation au Japon. Il y suscita d’ailleurs beaucoup l’attention suite à un superbe but contre les Kashima Antlers. A ce moment, il était déjà arrivé depuis trois ans en Espagne.

Une intégration rapide

Barcelone avait été le cueillir, en février 2001, dans le club argentin de Rosario : les Newell’s Old Boys. Lionel avait débarqué au Camp Nou accompagné de son père Jorge, sa mère Celia, ses frères aînés Rodrigo et Matias et sa plus jeune s£ur Maria Sol. Messi se souvient :  » Le jour où nous sommes arrivés à Barcelone, nous avons eu droit à une visite des installations du club. Très impressionnant ! Mais lorsque nous avons voulu pénétrer dans le stade, le personnel de sécurité nous a barré l’entrée. Ils pensaient que je mentais… L’une des premières choses que nous ayons faites était d’aller à la plage. Il faisait froid mais cela m’a tout de suite charmé. Ce ne fut pas le même sentiment pour ma s£ur. Elle fréquentait une école où tout le monde parlait catalan et elle ne comprenait pas un mot. Elle ne s’est pas fait d’amis et donc ma mère, ma s£ur et mon frère Matias sont retournés en Argentine. Le reste de la famille est resté en Catalogne, nous avons appris à ma mère comment utiliser une webcam et nous pouvions nous parler et nous voir tous les jours. Elle pleurait à chaque fois qu’elle me voyait à l’écran « .

A l’époque, Messi était l’un de ces gosses anonymes rêvant de réaliser un jour son rêve. Mais en juin et juillet 2005, il laissa pour la première fois une forte impression au niveau international. Lors de la Coupe du Monde des -20 ans, il était le meneur de jeu et le capitaine de l’équipe argentine qui remporta le tournoi. Sa contribution au sacre des Gauchos fut déterminante. Lors du deuxième tour contre la Colombie, ses tentatives répétées ont inspiré l’Argentine qui était menée 1-0 tôt dans la seconde mi-temps. Six minutes après, après un une/deux avec Neri Cardozo, il inscrivait le but superbe de l’égalisation, avant de voir un tir dégagé à même la ligne dans un finish mémorable, qui vit Julio Barroso inscrire le but victorieux. Il maintint son statut de héros contre les champions d’Europe en titre espagnols en quarts de finale. L’Argentine inscrivit le premier goal, les Espagnols égalisèrent et Messi créa un but tout fait à Gustavo Oberman avant d’inscrire lui-même le troisième. Tout ça deux jours avant son 18e anniversaire !

Messi marqua encore un but superbe en demis contre le Brésil et offrit un assist payant à la dernière minute du match. Enfin, il marqua les deux penalties en finale contre le Nigeria. Ce n’est donc pas une surprise s’il termina meilleur buteur et qu’il fut élu meilleur joueur du tournoi. La voie était toute tracée. Messi retourna à Barcelone pour la préparation de la saison suivante et découvrit qu’il avait été promu dans l’équipe A, que les négociations pour un contrat à long terme jusqu’en 2014 avaient bien avancé (avec une clause d’achat de 150 millions d’euros) et que Jose Pekerman l’appelait en équipe A d’Argentine pour un match amical contre la Hongrie. Le même adversaire que Maradona affronta en 1977 pour sa première sélection internationale. Tout ne se déroula pas exactement comme planifié : Messi fut exclu et tomba en larmes, trois minutes à peine après être monté au jeu, après avoir donné un coup de coude dans le visage du défenseur central magyar Vilmos Vanczak.

Ensuite, les tentatives de Barcelone d’aligner Messi furent contrecarrées. Le club avait estimé que sa résidence prolongée en Espagne lui valait le statut de joueur assimilé. D’autres clubs de Liga firent objection et la fédération retint leurs protestations. Six semaines furent perdues avant que Messi ait obtenu la nationalité italienne (qu’il détient via ses grands-parents) et soit donc assimilé à un joueur de l’UE. Mais il n’avait pas encore tout vu. Saragosse protesta que la saison avait démarré et que donc Messi ne pouvait pas figurer sur la feuille de match de Barcelone avant janvier. Finalement, ce dernier obstacle fut levé et Messi inscrivit six buts en 17 apparitions en championnat (dont six comme remplaçant). Il manqua la finale de la Ligue des Champions 2006 contre Arsenal au Stade de France, mais fut rétabli à temps pour figurer dans le noyau argentin à la Coupe du Monde en Allemagne. Malheureusement, Pekerman – sans doute refroidi par la carte rouge à Budapest – ne misa pas beaucoup sur son jeune joker, ne l’alignant que lors du dernier match de poule contre les Pays-Bas. Il resta aussi sur le banc lors du quart de finale perdu contre l’Allemagne. Au niveau de son club, toutefois, les trophées ont continué à s’amonceler. Il remporta deux fois le championnat et une fois la Supercoupe d’Espagne. Il fut également élu Jeune Joueur de l’Année par la FIFA avant de devoir déclarer forfait pour le reste de 2006 sur une blessure à la cheville. Messi avait à peine repris des forces, en mars dernier, qu’il inscrivait son premier hat-trick en championnat contre le Real Madrid (3-3). Ensuite vint son coup de génie contre Getafe.

keir radnedge, esm / photos: belga

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