Le BOURLINGUEUR

Meilleur buteur des éliminatoires de l’EURO 2004, l’attaquant slovène a déjà roulé sa bosse un peu partout.

Voilà 15 jours, maintenant, qu’ ErminSiljak (31 ans) s’entraîne avec l’Excelsior Mouscron. En fin de semaine dernière, il était toujours dans l’attente du bon de sortie que devait lui délivrer le club chinois de Dalian Shide, où il évolua précédemment. S’il est autorisé à jouer, la Belgique sera déjà le septième pays où il exercera ses talents footballistiques. Il nous raconte son étonnant parcours.

Meilleur buteur de Slovénie

Ermin Siljak :  » J’ai commencé à six ans et demi, au club le plus proche du domicile parental : le NK Ilirija, un petit club de Ljubljana dont le terrain se trouvait quasiment au bout de la rue. J’y ai fait toutes mes classes avant de passer dans un autre club de Ljubljana : le NK Sloboda, dont le nom signifie liberté en français. J’y suis resté un an et demi. Mon père insistait pour que je termine d’abord mes études avant de signer mon premier contrat professionnel. Il n’a jamais joué au football, il était plutôt intellectuel : il a exercé la profession d’avocat et fut, pendant un moment, le maire de l’une des cinq communes de Ljubljana. A 19 ans, j’ai enfin pu signer à l’Olimpija Ljubljana, le plus grand club du pays. J’étais suivi depuis belle lurette, car j’ai terminé comme meilleur buteur dans toutes les équipes où je suis passé. J’ai aussi suivi toute la filière des sélections nationales de jeunes : -14, -16, -18 ans. Cela n’a pas été facile pour moi de m’imposer à l’Olimpija, mais j’ai eu la chance d’inscrire deux buts lors de mon premier match de D1. Après cela, l’entraîneur ne pouvait plus me retirer de l’équipe. Cet exploit m’a permis de conserver la préférence, alors que j’étais encore jeune et que j’étais en concurrence avec des joueurs beaucoup plus expérimentés. Je suis resté deux ans et demi à l’Olimpija, et j’ai été meilleur buteur du championnat. Puis, je suis parti à Bastia « .

Amoureux de l’île de Beauté

 » Bastia avait déjà eu un attaquant originaire de l’ex-Yougoslavie : AntonDrobnjak. Comme il lui avait donné beaucoup de satisfactions, le club a continué à puiser dans le réservoir des Balkans. C’est ainsi que les dirigeants ont jeté leur dévolu sur moi. Parmi eux, il y avait notamment le père de Grégory Lorenzi, qui est aujourd’hui mon coéquipier à Mouscron. Je ne garde que de bons souvenirs de mon séjour sur l’île de beauté. Pour ma première expérience à l’étranger, j’ai atterri dans un endroit paradisiaque. Au début, pourtant, j’ai éprouvé certaines difficultés. Ce fut dur de quitter ma famille et mes amis, pour me retrouver dans un pays dont je ne connaissais pas la langue. J’avais, certes, appris l’anglais en Slovénie, mais la langue de Shakespeare n’était pas très répandue parmi la population. J’ai aussi dû modifier mes habitudes alimentaires. En Corse, contrairement à la Slovénie, on mange beaucoup de salades. Mais, une fois ces premiers obstacles franchis, je me suis rapidement adapté. Bastia était un club familial, dont la mentalité me rappelait celle de mon pays natal. Sur le plan sportif, cela s’est très bien passé aussi. Le club s’est qualifié pour la Coupe de l’UEFA : un exploit qu’il n’avait plus forgé depuis 19 années, à l’époque de DraganDzajic et de JohnnyRep. Je suis resté près de deux ans à Bastia. Ensuite, je suis parti au Servette Genève, qui m’offrait un beau contrat de trois ans et demi « .

19 mois sur la touche au Servette

 » Aujourd’hui, le Servette Genève a été déclaré en faillite. Mais à l’époque, c’était encore un grand club. Un club historique, aussi, qui est resté 115 ans d’affilée en D1. Pour moi, c’était donc un grand honneur de défendre ses couleurs. C’était une jeune équipe, mais qui comptait tout de même plusieurs internationaux en ses rangs. J’ai été champion de Suisse. Malheureusement, j’ai été victime d’une très grave blessure lors d’un match disputé à Athènes, contre la Grèce, avec l’équipe nationale slovène : une fracture de la jambe qui m’a contraint à rester 19 mois sur la touche. Certains médecins craignaient même que je ne puisse plus courir. Je suis revenu progressivement dans le coup, à force de volonté, et j’ai même été repris dans le groupe pour l’EURO 2000. Je me souviens d’un match à Charleroi, contre la Yougoslavie, et de deux autres aux Pays-Bas, contre l’Espagne et la Norvège. Forcément, comme je manquais encore de rythme, j’ai peu joué durant le Championnat d’Europe, mais c’était une belle marque d’estime de la part du sélectionneur SreckoKatanec d’avoir songé à moi malgré que je n’étais pas encore revenu au top « .

Retrouver le rythme en Suède

 » Après cette grave blessure, les gens doutaient de mes capacités à retrouver mon meilleur niveau et les propositions n’ont pas afflué. J’ai saisi la perche que m’a tendue le club suédois de Hammarby. J’ai quitté le Servette Genève à la fin du championnat de Suisse, en juin 2001, et j’ai sauté dans le train en marche, puisque le championnat de Suède se dispute l’été. Je ne suis resté que cinq mois à Stockholm, jusqu’en novembre. J’ai également été champion avec Hammarby. Ma blessure était guérie, mais il me manquait encore le rythme de compétition. Je l’ai retrouvé là-bas, au sein de ce championnat très rugueux et très athlétique. Hammarby aurait souhaité me conserver, mais la proposition qui m’a été faite n’était pas très intéressante, d’un point de vue financier. Mes bonnes prestations avaient attiré l’attention de Panionios. Au départ, je n’étais pas très chaud à l’idée de partir en Grèce, mais lorsque j’ai vu le contrat que l’on me proposait, je n’ai pas hésité bien longtemps. J’ai signé en janvier 2002, pour deux ans et demi. Panionios est le plus vieux club grec. J’ai souvent joué dans des clubs historiques, au cours de ma carrière : le Servette était aussi le plus vieux club suisse, et l’Olimpija Ljubljana, le plus vieux club slovène « .

Est-ce un appel du pied en direction de l’Antwerp ?  » En direction de qui ? », demande Ermin Siljak.  » Ah, j’ignorais qu’il s’agissait du plus vieux club belge. Je dois encore tout découvrir, ici en Belgique « .

Se faire voir chez les Grecs

 » Panionios, c’est Athènes. Une ville immense de huit millions d’habitants (quatre fois plus que la Slovénie), une pollution qui prend à la gorge et des bouchons à n’en plus finir. Heureusement, j’avais trouvé un appartement qui se situait à la fois près de la mer et près du stade. Certains jours, il me fallait malgré tout 30 minutes pour rejoindre le centre d’entraînement. Heureusement, j’avais trouvé un raccourci par des ruelles étroites. Avec Panionios, on s’est qualifié pour la Coupe de l’UEFA en terminant à la quatrième du championnat, ce qui était un résultat appréciable pour ce petit club de la capitale hellène qui souffre de la comparaison avec ses prestigieux voisins, comme l’Olympiakos, le Panathinaikos ou l’AEK. Le public était très fanatique, et le vieux petit stade de 25.000 places (qui, pour des raisons de sécurité, ne pouvait accueillir que 12.000 spectateurs) bouillonnait littéralement lors des derbies.

La vie était agréable là-bas, mais tous les clubs grecs ont traversé une crise importante et j’ai résilié mon contrat une année avant son expiration. Je craignais de ne plus être payé, car les réunions se succédaient au sein de tous les clubs grecs. Les dirigeants demandaient aux joueurs de revoir leurs exigences financières à la baisse, car ils ne pouvaient plus honorer leurs engagements. Une clause de mon contrat me permettait d’obtenir ma liberté si j’avais une proposition d’un autre club. A ce moment-là, je n’avais pas d’autre proposition, mais j’ai malgré tout trouvé un arrangement avec le président. Je suis rentré chez moi, à Ljubljana, et je me suis entraîné en Slovénie dans l’attente d’une nouvelle proposition. Celle-ci est venue de Chine. Je me souviens très bien d’un coup de fil alors que je me trouvais en stage avec l’équipe nationale « .

Dalian sans vélo

 » La Chine, ce fut une belle expérience que je ne regrette pas d’avoir vécue. Mais la vie là-bas est très difficile pour un étranger. C’est une autre culture, une autre mentalité. Le pays, quoi qu’on en dise, reste très fermé. On continue à filtrer les informations. Pourquoi croyez-vous que l’on a décidé d’y fermer 12.000 cybercafés ? Pour que les gens n’aient pas accès trop facilement aux informations provenant des pays occidentaux, pardi. La Chine compte un milliard 300 millions d’habitants, mais sur cette population, 250 millions de personnes seulement habitent dans les villes. Où là, effectivement, les gratte-ciel et les commerces occidentaux abondent. Mais tous les autres Chinois sont disséminés dans les campagnes, où le mode de vie est encore très primaire, et ils ont besoin d’une autorisation spéciale pour pénétrer en ville. Il y a des différences énormes entre certaines grosses fortunes et la pauvreté qui règne dans les campagnes. Le pays dispose d’une technologie de pointe. La Chine est devenue le troisième pays, après les Etats-Unis et l’URSS, à envoyer des hommes dans l’espace. Mais, à côté de cela, il y a une masse énorme de personnes qui vivent presque comme au Moyen-âge.

Dalian, c’est une ville du nord-est de la Chine. Pas très loin de la Corée du Nord. A un peu plus d’une heure de vol de Pékin. Une très belle ville, ma foi. Cinq cités chinoises me sont apparues très attrayantes, et parmi ces cinq, Dalian figure en très bonne place. C’est la seule ville où il n’y a pratiquement pas de… vélos, alors qu’ailleurs, c’est le mode de transport le plus fréquemment utilisé. Dalian est une ville riche, de cinq millions d’habitants. Une ville très propre, aussi : il y avait constamment des ouvriers en train de balayer. C’était aussi, bien sûr, une manière de donner de l’emploi à tout le monde. Le niveau de vie était assez élevé à Dalian. Mais c’était une vie monotone. Les distractions étaient rares pour les étrangers. Et puis, surtout, la communication était problématique. Certaines brasseries affichaient des menus bilingues : chinois et anglais. Mais, lorsque je demandais one coffee, le serveur ne comprenait pas. Je devais lui montrer la photo pour pouvoir passer commande. Je devais constamment communiquer par gestes.

Sur le plan footballistique, le championnat était assez dur. Les défenseurs pratiquaient sans arrêt le marquage individuel. Les attaquants étaient explosifs et bons techniciens. Les Chinois sont très disciplinés. Ils ont un sens de la hiérarchie très développé, car ils ont été éduqués comme ça. Ils exécutent les ordres sans broncher. Lorsqu’ils doivent improviser, c’est plus compliqué. Grâce à l’appoint d’entraîneurs étrangers de plus en plus nombreux, les footballeurs chinois progressent très rapidement « .

A Mouscron grâce à Nastja Ceh

Si Ermin Siljak a choisi de se relancer à Mouscron, c’est en partie grâce à NastjaCeh, le milieu de terrain brugeois qui est son coéquipier en équipe nationale slovène.  » J’avais deux autres propositions et j’étais fort hésitant. J’ai téléphoné à Nastja Ceh, qui joue depuis quatre années en Belgique et qui connaît forcément mieux Mouscron que moi. Il m’a affirmé que je m’y plairais. Les premières impressions, effectivement, sont bonnes. J’ai été très bien accueilli. Je suis content, d’autant que ce séjour en Belgique me permet de réactiver mes connaissances de la langue française. En principe, je ne suis ici que jusqu’à la fin de la saison. Après, on verra. Le plus important, dans mon cas, est de jouer. J’ai fait moi-même l’expérience qu’une petite interruption de carrière peut être néfaste pour la suite. Il vaut parfois mieux jouer à un niveau inférieur, que ne pas jouer du tout en attendant un hypothétique contrat plus juteux. La crise frappe un peu partout, dans les milieux footballistiques, et on n’a plus autant l’embarras du choix qu’il y a quelques années. Les joueurs sont parfois obligés d’accepter ce qu’on veut bien leur proposer « .

Ermin Siljak n’est pas le premier venu, puisqu’il fut le meilleur buteur des éliminatoires de l’EURO 2004, à égalité avec RuudvanNistelrooij.  » La Slovénie avait été versée dans le groupe de la France. Il y avait aussi des pays moins huppés comme Chypre, Malte ou Israël. J’ai inscrit neuf buts en neuf matches. Le plus beau ? Chaque but qui passe la ligne est beau. Et puis, si cela fait toujours plaisir de voir son nom dans les statistiques, je dois remercier mes coéquipiers. Si j’ai pu marquer autant, c’est aussi grâce à eux. Je ne suis pas DiegoMaradona, qui était capable de dribbler dix hommes. Ni Ronaldo, capable de prendre tout le monde de vitesse lors de sa meilleure période. Je suis plutôt un avant-centre qui a le flair pour se trouver à la bonne place. Les 16 mètres, c’est mon domaine.

Ce titre de meilleur buteur des éliminatoires de l’EURO 2004 est, bien sûr, un très bon souvenir, mais je garde un bon souvenir de chacune des périodes que j’ai vécues. Même celle du Servette Genève, malgré ma blessure. Mais tout cela est du passé. Aujourd’hui, je dois regarder devant moi « .

Daniel Devos

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