LE BOUM africain

Bruno Govers

En l’espace d’une décennie, le nombre de joueurs de ce continent a augmenté de 262 % en Belgique.

Depuis la promulgation de l’arrêt Bosman, le 15 décembre 1995, le nombre de joueurs étrangers présents en Belgique n’a cessé de croître. A l’époque, sur un total de 430 éléments, 126 ne possédaient pas la nationalité belge. Ces 29,3 % d’étrangers sont ni plus ni moins passés, cette saison, à 48,58 %, puisque 222 footballeurs sur 457, en D1, ne sont pas sélectionnables chez les Diables Rouges.

Cette saison, cet effectif comprend, en ordre croissant, 3 représentants de la Concacaf, 4 de l’Asie et de l’Océanie, 16 d’Amérique du Sud, 46 de l’Europe de l’Ouest, 47 de l’Europe de l’Est et 107 Africains. La progression de ces derniers a été la plus fulgurante puisqu’en 1995-96, ils n’étaient que 35 au plus haut niveau de notre football.

 » Cette croissance, perceptible également dans les pays avoisinants ainsi que dans les grands championnats européens, ne constitue pas vraiment une surprise « , observe Jean-Marie Philips, le président de la Ligue Professionnelle.  » Dans la foulée dudit arrêt, qui avait eu l’effet d’une bombe par sa soudaineté, la plupart des fédérations s’étaient plu à prendre des mesures drastiques afin de contrecarrer les effets pervers de cette liberté accordée subitement aux joueurs en fin de contrat. Chez nous, la réaction ne s’était pas fait attendre, sous la forme d’une ouverture totale des frontières, décidée à la faveur d’une assemblée générale extraordinaire de la Ligue Professionnelle à la mi-février 1996. Auparavant, les conditions d’accès étaient nettement plus strictes, étant donné que les clubs ne pouvaient faire appel qu’à trois étrangers, exception faite des éléments hors frontières affiliés chez nous avant leurs 17 ans et qui étaient considérés comme fédéralement belges. D’un jour à l’autre, les critères d’admission sont donc devenus complètement caducs, répondant à la demande générale des dirigeants qui estimaient, non sans raison, qu’il fallait contrer l’absence d’indemnité de transferts pour les joueurs en fin de bail ou encore endiguer une augmentation de leurs prétentions financières, par l’attrait de joueurs plus abordables. A cet égard, il n’est pas vraiment illogique qu’ils aient fait la part belle aux Africains, moins onéreux que leurs homologues venus d’autres horizons « .

Des propositions de blocage reportées

C’est une demi-vérité car si la croissance africaine a été de 262 %, le nombre de joueurs ouest-européens a crû de 220 %, passant dans le même temps de 21 à 46, alors que toutes les autres catégories sont restées stationnaires. Or, les continentaux sont manifestement plus chers à l’entretien que les Africains.

L’afflux des joueurs ouest-européens découle, sans nul doute, des trop-pleins qui ont été vérifiés çà et là. Je songe à la France, notamment. Pendant des années, chez nos voisins du sud, l’offre et la demande auront été à peu de choses près similaires. Dans un passé récent, on a toutefois pu constater que les centres de formation généraient trop de footballeurs par rapport au besoin des clubs. Comme il n’y a pas de protection pour les joueurs sans contrat outre-Quiévrain, il est normal que des garçons comme le Montois Eric Joly, le Gantois Matthieu Verschuere ou le Louviérois Maâmar Mamouni aient débarqué chez nous, puisqu’ils ne trouvaient plus chaussure à leurs pieds dans l’Hexagone. Pour les Africains, c’est différent. Il ne faut tout de même pas perdre de vue que certains clubs ont conclu des accords de coopération, ces dernières années, avec des pendants africains. Je citerai l’exemple de Lokeren, qui travaille avec le Canon de Yaoundé et le Satellite d’Abidjan, ou encore le Lierse qui puise dans le vivier des Ivoiriens du Rio d’Ayama. Il y a lieu, aussi, de mentionner Westerlo, qui fait fructifier en Campine le jeune talent ghanéen et sud-africain de Feyenoord et Chelsea.

A l’issue de la rencontre Beveren-Genk, remportée 3-1 par les joueurs du Freethiel, le président du Racing, Jos Vaessen, s’était indigné de la présence de 10 Ivoiriens et d’un Letton dans les rangs locaux et préconisait la présence de cinq joueurs communautaires sur la feuille de match.

Il n’est pas le seul à avoir formulé un avis en la matière : Westerlo, par l’entremise de son manager, Herman Wijnants, a plaidé en faveur de la présence, sur la feuille de match, de 50 % de sélectionnables pour les formations représentatives de notre pays, dont 4 devaient obligatoirement figurer dans l’équipe de base et où les moins de 21 ans compteraient double. Le Standard, par le truchement de Michel Preud’homme et Pierre François, s’est prononcé en faveur d’un tiers de noms entrant en ligne de compte pour l’équipe nationale, A, Espoirs ou chez les jeunes, sans quota à respecter dans le onze de départ, mais avec entrée en vigueur en 2007 seulement, afin que les clubs ne soient pas pris au dépourvu. Ces deux propositions ont fait l’objet d’un examen lors du récent conseil d’administration de la Ligue Professionnelle, le 7 mai dernier, mais elles ont été reportées aux calendes grecques. Dans l’immédiat, rien ne changera donc à la réglementation concernant le nombre d’étrangers actifs dans notre pays.

La FIFA tente de promouvoir l’identité nationale

Avec 48,58 % d’étrangers parmi l’élite, la Belgique n’est devancée que par l’Allemagne û près de 60 % û au niveau de la main-d’£uvre venue d’autres horizons. L’Italie ferme la marche, avec 32 % et l’Espagne et la France la devancent avec 37 %. Pourquoi un tel décalage ?

Parce que certains pays ont une politique plus protectionniste ou des réglementations et législations qui leur permettent de mettre un frein à l’entrée des joueurs. En Belgique, nous sommes indéniablement les plus tolérants car, en vertu de la libre circulation des travailleurs, nous ne faisons plus depuis très longtemps la moindre discrimination concernant les footballeurs communautaires. En réalité, la seule réelle protection a trait, actuellement, aux joueurs extra-communautaires. La Commission Nationale Paritaire des Sports a fixé leur salaire minimum à 60.424 euros brut par an. Si j’étais encore avocat, personnellement, je me demanderais peut-être pour quelle raison on peut discriminer quelqu’un qui est extra-européen. Sur le marché belge, un Africain a-t-il moins le droit de venir travailler qu’un Slovaque ? En plaidant non pas sur la Convention des Droits de l’Homme européen mais, tout simplement, sur la Convention Universelle des Droits de l’Homme, il y aurait sûrement pas mal de choses à redire en la matière. Il n’en reste pas moins que des mesures s’imposent si nous ne voulons pas que le taux des joueurs étrangers poursuive sa croissance exponentielle. Car il y va de l’avenir de notre football représentatif. Si on veut promouvoir le ballon rond en Belgique et donner la chance aux jeunes talents, il faut donner à ce blé en herbe l’accès au marché du travail. Tôt ou tard, il conviendra que le Comité Exécutif prenne des mesures restrictives puisque, depuis le 1er mars, il est interdit à la Ligue Professionnelle de procéder elle-même à des modifications aux règlements. Dans l’immédiat, Beveren et Lokeren, qui tablent sur la main-d’£uvre africaine, peuvent toutefois dormir sur leurs deux oreilles. Puisque ces deux cercles se défendent sportivement et qu’ils répondent aux conditions d’octroi de la licence, il n’y a pas lieu de leur jeter la pierre. Mais, il va de soi que pour l’avenir de notre football, il n’est pas idéal qu’une formation soit composée exclusivement de footballeurs ivoiriens ou africains. Je suis membre de la Commission Football Professionnel à la FIFA et bien placé pour dire qu’on réfléchit actuellement à la possibilité d’introduire une exception sportive vis-à-vis de la communauté économique européenne pour promouvoir l’identité nationale par la protection des joueurs sélectionnables dans chacun des pays.

L’Europe vient de s’élargir de 15 à 25. Ne craignez-vous pas un nouvel arrivage massif de joueurs en provenance de ces Etats ?

Non, car pendant deux ans, ces joueurs-là vont encore avoir besoin d’un permis de travail. Ils ne seront pas assimilés à des Européens avant 2006. Autrement dit, la règle des 60.424 euros est d’application pour eux. Au même titre que pour les Africains.

Bruno Govers

 » Pour notre D1, il n’est pas idéal qu’une formation soit composée EXCLUSIVEMENT DE JOUEURS AFRICAINS « 

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