Le blues du businessman

Les champions d’Angleterre ont connu un mois de novembre catastrophique. Pourquoi ?

Cela devait être un match d’entraînement. Un match sans enjeu entre deux équipes qualifiées. Juste une sorte de jubilé pour Didier Drogba, icône marseillaise transformée en symbole de la puissance de Chelsea, lui qui a mis un but dans toutes les finales nationales disputées par les Blues. Pourtant, la défaite de Chelsea au Vélodrome (la première en Ligue des Champions cette saison) a viré au cauchemar et a tourné au révélateur pour Carlo Ancelotti.

Mercredi à Marseille, engoncé dans son imper noir d’Inspecteur Gadget, l’Italien faisait peine à voir. Abandonné au mistral local. Isolé.  » Ancelotti est en train de commencer à avoir l’aura des Dead man walking (condamnés) « , affirme Simon Johnson, journaliste au London Evening Standard.

Car Ancelotti est sans doute en train de vivre une première dans sa carrière. Alors que son club a débuté le championnat sur les chapeaux de roue, annihilant toutes les attaques, atomisant tous les adversaires (6-0 contre West Bromwich, 0-6 à Wigan, 1-4 à Zilina, 4-0 contre Blackpool), le mois de novembre s’est révélé catastrophique. Quatre défaites en neuf matches, six buts en neuf matches. Deux petits succès à peine (Zilina et Fulham). Et surtout, une machine de guerre offensive, meilleure attaque de Premier League, qui ne crache plus aucun missile. Muette à Liverpool, Birmingham, Marseille et contre Sunderland. Cinq buts en huit matches. Quand on a Drogba, Anelka et Salomon Kalou, ça fait un peu tache.

Tout a commencé à Liverpool, face à un fantôme. Car, rien ne prédisposait, en ce dimanche 7 novembre, Liverpool (2-0) à un début de renaissance. Depuis lors, les Reds vont mieux et Chelsea a plongé dans la crise. Un mois plus tard, personne en Angleterre ne reconnaît les champions d’Angleterre. En deuxième mi-temps, alors qu’ils menaient 1-0 à domicile contre Everton, les Blues ont balbutié leur football, balançant de longs ballons devant et pliant sous la domination d’une équipe qui devrait être incapable d’écrire le scénario dans un Stamford Bridge érigé en forteresse ces dernières années. A Marseille, même apathie. Même jeu décousu. Du jamais vu de la part de l’équipe la plus expérimentée de Premier League.  » Chelsea, ce n’est quand même pas une bande de jeunes. Arsenal, on pourrait comprendre mais pas Chelsea « , pouvait-on lire sur le site de la BBC. Alors, d’où vient ce malaise, d’autant plus perceptible et angoissant que Chelsea va au-devant d’un calendrier titanesque lors de ce mois de décembre (Arsenal, Manchester United et Bolton) ?  » Le calendrier est effrayant mais Chelsea n’a-t-il pas l’habitude de sortir le grand jeu contre les grandes équipes ? « , s’interrogeait The Independent.

Le licenciement de Ray Wilkins et tout s’écroule

L’explication se trouve peut-être dans un fait anodin. Du moins dans la vie d’un club richissime comme Chelsea. Quelques jours après la défaite à Liverpool (2-0), le club annonçait qu’il ne prolongeait pas le contrat de l’entraîneur de terrain, adjoint d’Ancelotti, Ray Wilkins. Illico presto, Wilkins, 54 ans, prenait congé de son employeur, laissant un immense vide. Car Wilkins faisait l’unanimité. Auprès des supporters qui voyaient en lui le grand joueur des années 70 et un véritable clubman. Auprès des joueurs avec lesquels il entretenait parfois une amitié très forte. Très proche de John Terry, son influence était donc bien réelle dans le vestiaire. Mais également auprès d’Ancelotti qui a découvert un homme affable et fidèle. Alors qu’au départ, l’entraîneur italien avait l’intention d’apporter avec lui son propre adjoint, il fut séduit par le travail de Wilkins qu’il ne manqua pas de féliciter dans son autobiographie.

Wilkins, arrivé au club en pleine déliquescence lors de l’ère Scolari, avait survécu au technicien portugais mais également à Avram Grant, son successeur, et avait fini par incarner un Chelsea à l’image alors floue depuis l’arrivée en 2003 de Roman Abramovitch.

En temps normal, le licenciement de Wilkins n’aurait pas fait de vague. Mais certains ont fait la comparaison avec un jeu de domino duquel on retire une pièce, toutes les pièces devant s’écrouler les unes après les autres.  » Wilkins est un personnage important sur le plan symbolique. Il servait de lien entre le management et les joueurs et mettait de l’huile dans les rouages « , explique Philippe Auclair, correspondant en Angleterre pour France Football et RMC.  » Mais il ne faut pas non plus surestimer son rôle. Ce n’est pas son licenciement qui a fait perdre Chelsea. D’ailleurs, le club avait déjà connu la défaite à Liverpool. Mais ce qui est certain, c’est que ce licenciement a eu un impact. Sur le vestiaire et sur Ancelotti. C’était le mauvais message à faire passer.  »

En licenciant Wilkins sans prévenir Ancelotti, Abramovitch a fragilisé l’Italien. Le nouvel adjoint, Mike Emenalo, 45 ans, ancien joueur nigérian du RWDM, amené par Avram Grant et qui s’occupait du scouting, a été choisi sans l’aval d’Ancelotti. Son élévation ressemble d’ailleurs à s’y méprendre à celle de Grant, qui avait été imposé à José Mourinho sans l’assentiment du Portugais, et qui avait conduit au départ de celui qui avait remporté six trophées en trois ans. Alors, Emenalo, nouveau Grant ? Pas impossible. D’autant plus que Chelsea a cafouillé sa communication en annonçant dans un premier temps qu’Emenalo n’était pas le successeur de Wilkins et qu’il ne coacherait pas l’équipe première avant qu’Ancelotti n’admette le lendemain qu’  » il faisait le même travail que Wilkins.  » Et d’autant plus que Frank Arnesen, chief executive, a annoncé son départ en fin de saison, ouvrant la porte à Emenalo.

Ancelotti lâché par Abramovitch ?

Ce jeu d’influence marque donc un recul d’Ancelotti. Mais peut-on parler de la sorte dans un club où le propriétaire a toujours gardé la main ? Jamais Abramovitch n’a voulu lâcher les rênes du pouvoir à un de ses managers. Et c’est d’ailleurs ce qui a précipité la chute de Mourinho dont l’ego commençait à devenir trop important aux yeux de l’oligarque russe. Ancelotti, lui, n’a jamais prétendu au rôle de calife. Récemment, en conférence de presse, alors qu’on le questionnait sur Alex Ferguson, Ancelotti avait affirmé :  » Je suis dans une position différente de celle de sir Alex Ferguson car, lui, il a un contrôle total sur l’équipe. Moi, j’en assume juste la direction technique. Point barre.  »

Les tabloïds britanniques se sont emparés de l’affaire en se posant la question de l’autonomie et de l’autorité de l’Italien par rapport à Abramovitch. Les récentes rumeurs faisant état d’une approche de Chelsea auprès de Pep Guardiola ont fini de fragiliser l’autorité d’Ancelotti.

 » En tout cas, il fait preuve d’une dignité absolue « , explique Auclair.  » Comme entraîneur, il ne doit plus faire ses preuves et c’est un être humain d’une grande richesse. Avec Abramovitch, il a un rapport de patron à salarié mais cela ne le dérange pas. Il a l’habitude. Déjà à Milan, il avait un tel rapport avec Silvio Berlusconi.  »

Cependant, depuis quelques semaines, les remarques sont plus directes et acerbes. Lui qui est d’habitude posé et calme en conférence de presse, s’est lâché à plusieurs reprises. Après le match contre Everton :  » La deuxième mi-temps fut très pauvre. On a commencé à balancer de longues balles. Ce n’est pas comme cela qu’on a l’habitude de jouer. Je suis déçu et tracassé. Je dois essayer de comprendre pourquoi on n’a plus joué en deuxième mi-temps.  » A Marseille :  » On a perdu confiance en notre jeu. « 

En fragilisant Ancelotti, Abramovitch a détruit une machine de guerre. Le chef d’affaires russe n’a pas l’habitude de tergiverser avant de limoger un entraîneur. Alors, la question se pose : jusqu’à quand Ancelotti pourra-t-il tenir ? En coulisses, on affirme que si Ancelotti est encore en place, c’est simplement parce qu’Abramovitch était trop occupé par la candidature russe à la Coupe du Monde 2018.  » Reste à savoir comment il va expliquer aux supporters et aux médias le fait qu’il se sépare de celui qui a conquis le doublé, il y a six mois, une première dans l’histoire de Chelsea « , dit le journaliste Simon Johnson.

Des joueurs en méforme et qui vieillissent

Reste à savoir aussi pourquoi tous ces bruits de couloir se répercutent sur la pelouse. Sans doute en partie à cause d’un calendrier qui a masqué les ajustements apportés à l’équipe. Chelsea a certes réalisé un début de championnat parfait, tout le monde s’extasiant sur les scores et le jeu. Mais Chelsea n’avait rencontré que West Bromwich, Wigan, Stoke, West Ham et Blackpool. Le premier test d’envergure allait déjà s’avérer fatal puisque lors de la sixième journée, Manchester City l’emportait face aux champions en titre (1-0).

Ces cinq victoires d’affilée ont laissé croire que rien n’avait changé à Chelsea et que les Blues paraissaient même plus fort que jamais. Faux. Lassé de combler les trous, Abramovitch avait déjà réorganisé le club et était parti à la chasse au gaspillage. Politique qu’il a continuée à l’entre-saison en se débarrassant de gros contrats comme Joe Cole, Deco, Michaël Ballack, Ricardo Carvalho ou Juliano Beletti. Ces joueurs n’ont pas été remplacés. On avait certes promis un élément de classe mondiale à Ancelotti mais celui-ci attend toujours.

Le banc des Blues a donc perdu en profondeur et accueille aujourd’hui des jeunes comme Daniel Sturridge, Gaël Kakuta, Patrick Van Aanholt, Jeffrey Bruma ou Joshua McEachran (un futur crack).  » Ils ont du talent mais l’intégration à Chelsea est compliquée « , explique Auclair.  » Ce n’est pas Arsenal ou Manchester United où on lance plus facilement les jeunes. De plus, Ancelotti est d’un naturel plus prudent.  »

Rajeunissement du banc mais pas des cadres qui, eux, sont restés les mêmes. Les éléments-clés sont toujours là. Mais ils vieillissent et leur physique est plus fragile.  » Terry a 30 ans et 30 ans qui pèsent lourd vu le nombre de matches qu’il a accumulés ; Drogba et Lampard en ont 32 ; Anelka 31 « , continue Auclair.

Et c’est justement dans ces moments de méforme ou de blessure que la richesse du banc fait la différence.  » Plus que toute autre chose, ce sont les blessures de John Terry et surtout Frank Lampard qui ont fait beaucoup de dégâts lors du mois de novembre. Dans une équipe sans réel meneur de jeu, Lampard était l’élément dynamiseur et moteur « , ajoute Johnson.

Et ajoutez à cela la suspension de Michël Essien, la méforme de Drogba due à une rechute de malaria, celles de d’ Ashley Cole et de Florent Malouda qui n’est plus que l’ombre de celui qu’il était en début de saison et lors de la campagne précédente, le surplace de John Obi Mikel et le flop Ramires et vous obtenez les éléments de la crise actuelle.

Tous ces changements ont ébranlé la confiance nourrie par le doublé. Ancelotti l’a d’ailleurs reconnu en avouant que ses joueurs semblaient avoir peur. Le monde à l’envers !

Les adversaires arrivent donc à Stamford Bridge décomplexés. Le 14 novembre, Sunderland a ouvert la voie en gagnant 0-3, la plus lourde défaite à domicile de l’ère Abramovitch. Everton a suivi l’exemple en surclassant Chelsea pendant une mi-temps et en enlevant un point (1-1). Au fait, Everton, il joue l’Europe ? Non. Il est 15e… n

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: REUTERS

Si Ancelotti est encore en place, c’est parce qu’Abramovitch était trop occupé par la candidature de la Russie pour la Coupe du Monde 2018.

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