Le beurre et l’argent du beurre

Bonne nouvelle : l’Europe cesse de peiner à la traîne de l’économie mondiale. Mieux encore, l’information, confirmée ce 28 novembre par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) concerne particulièrement les pays de la zone euro, dont la Belgique fait partie. Souvenez-vous : jusqu’il y a peu, les pays qui ont rallié la monnaie unique étaient brocardés pour leurs performances économiques médiocres par rapport à celles du Royaume-Uni, resté à l’écart de l’euro, et, surtout, au regard de la croissance dynamique affichée par plusieurs pays d’Europe centrale et orientale.

Changement de programme et de ton : dans ses Perspectives économiques d’automne, l’OCDE estime qu’après plusieurs faux départs la reprise économique s’est enfin installée dans la zone euro. L’organisation, considérée comme le  » bureau d’études des pays industrialisés « , se fonde notamment sur les bons résultats du premier semestre 2006, au cours duquel la croissance du produit intérieur brut (PIB) a atteint 3,5 %. Soit un regain de tonicité qui n’avait plus été observé depuis plusieurs années. Aussi l’OCDE revoit- elle à la hausse ses perspectives pour la zone euro : une croissance de 2,6 % pour l’ensemble de l’année en cours, et à peine moins pour les deux années à venir. Ces prévisions confirment et amplifient celles du Baromètre de l’économie Ires/Le Vif/L’Express (notre édition du 27 octobre), qui avait mis en évidence les performances de la Belgique, actuellement supérieures à la moyenne européenne.

Autre phénomène en rapport direct avec ce doux zéphyr : le cours de la monnaie européenne s’envole une nouvelle fois. Cette semaine, l’euro a atteint son niveau le plus élevé depuis vingt mois par rapport au dollar. C’est normal, commentent les esprits froids : le cours d’une monnaie est le reflet de la santé économique du pays ou de la zone où on l’utilise. Et les derniers indicateurs de l’économie américaine, qui confirment son essoufflement, ne peuvent qu’exercer un effet dépressif sur le cours du dollar. Peut-être, répondent les chefs d’entreprise actifs à la grande exportation. Mais les taux trop élevés de l’euro renchérissent excessivement les prix de nos produits, en dehors de la zone euro.  » Je vends des électrovannes à des sociétés pétrolières du Moyen-Orient, peste ce chef d’entreprise. Comment puis-je rester compétitif face à des concurrents américains ou japonais, qui se font payer dans des monnaies beaucoup moins chères que la nôtre ? Et je ne vous parle pas des difficultés d’Airbus ! Pourquoi croyez-vous que Boeing lui rafle de plus en plus de marchés ?  »

Revers de la médaille, l’euro fort renchérit les prix de nos produits sur le marché mondial, handicape nos exportations et peut donc ralentir notre croissance. C’est le cri d’alarme que la France a poussé, ce lundi 27 novembre, au sein de l’Eurogroupe, qui réunit les ministres des Finances de la zone euro. La France, dont le commerce extérieur est mal en point, reproche à la Banque centrale européenne (BCE),  » gardienne  » de la monnaie unique, de maintenir des taux d’intérêt trop élevés à seule fin de combattre l’inflation, donc au détriment de la croissance. Mais la plainte de Paris n’a trouvé que peu d’écho chez ses partenaires, qu’un euro fort n’empêche pas d’exporter sans trop de difficultés. La plupart considèrent que le niveau actuel de la monnaie européenne (1,3155 dollar pour 1 euro ce mercredi) n’a pas atteint la cote d’alerte, que le patronat allemand situe autour de 1,45 dollar l’euro. Certains, comme le Belge Didier Reynders, rappellent qu’une monnaie forte permet d’absorber moins douloureusement les chocs extérieurs. Sans l’euro, l’économie européenne aurait-elle pu  » digérer  » aussi facilement le récent renchérissement des produits pétroliers, dont les factures sont libellées en dollars ?

Plus largement, le lamento sur l’euro  » trop  » fort masque encore la nostalgie inavouée pour les monnaies nationales qui permettaient ces bonnes vieilles  » dévaluations compétitives « , grâce auxquelles des pays mal gérés redressaient leur commerce extérieur de manière tout à fait artificielle et… très temporaire. Les pleurnichards oublient également tout ce que l’euro leur a apporté par rapport à la situation antérieure : la fin des spéculations monétaires en Europe, la suppression des coûts liés aux opérations de change, la sécurité accrue des investissements… Et, surtout, la relative discipline économique et financière à laquelle les pays européens ont dû se plier pour accéder à l’euro, au prix de réformes qu’ils n’auraient jamais osé (s’)imposer… si la quête du  » Graal  » monétaire européen ne les y avait pas obligés.

jacques gevers

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