LE BELGE DU BARÇA ET DU REAL

A la veille du premier Clasico de la saison, voici l’histoire du seul des nôtres à avoir porté le maillot des deux monuments espagnols.

« Il a fait irruption dans ma vie d’une façon totalement inattendue. Il n’y avait pas de retour possible. Le phénomène Fernando, qui ne pouvait vivre sans son grand amour, le football. Il se livrait à fond en tout, sans détours. Je te suis infiniment reconnaissante. Je te laisse, un moment, mais tout mon amour inconditionnel t’accompagne.  »

(Renée Vandermeersch, dans l’hommage rendu à Fernand Goyvaerts, décédé en 2004)

Renée Vandermeersch, le premier et le seul agent de joueurs féminin de Belgique, compagne de Fernand Goyvaerts depuis 1979, connaît toutes les histoires circulant sur son mari. Le meilleur footballeur belge. Le rebelle. L’enfant terrible. Le tendre chevalier.  » Fernand possédait de multiples facettes. C’est ce qui le rendait si spécial. Il aimait voir et être vu tout en étant modeste. Quand il négociait avec les joueurs, il n’évoquait jamais son propre passé footballistique. Moi bien mais il disait toujours : – J’ai amené mon manager.  » Elle éclate de rire.

Sur son bureau, une photo de son mari, toujours aussi présent, neuf ans après son décès, suite à une seconde hémorragie cérébrale. Elle se remémore leur premier voyage, en août 1979, à destination de l’Espagne, où elle a assisté à son premier match de football – Betis Séville-Vasco da Gama.  » Dans la tribune, quelqu’un a demandé : -No es Fernando Goyvaerts ? Plus de dix ans après son départ, les gens le reconnaissaient encore. Incroyable ! Ce fut un voyage fantastique. Fernand m’a montré tout son itinéraire. Les stades, les restaurants, les beaux coins…

Pour Fernand, le football était sacro-saint. Ce n’était pas un sport ni un commerce mais de l’art, même quand il est devenu manager. Fernand n’était pas un marchand. Il éprouvait du plaisir à dénicher des talents et à les accompagner. Quand il a vu Jean-Pierre Papin à l’oeuvre à Valenciennes, il n’a pas compris les tergiversations du Club Bruges. – Vous êtes aveugles ou quoi ? Fernand ne pensait qu’au football. Il était talentueux, spécial, sociable et authentique.  »

Fuite sous les bombes

Février 1945. La Belgique est libérée mais de l’arrière de l’Allemagne et des territoires toujours occupés, les V1 continuent à pleuvoir sur les villes belges. Anvers, qui occupe une position stratégique, est la plus touchée mais les bombes sèment également la panique et le chagrin à Malines. La maison de la famille Goyvaerts est inhabitable. Georges et Marie-Louise fuient à Heist avec leurs deux enfants, Fernand et son frère cadet, Paul.

Au printemps 1953, Georges et Fernand, âgé de 14 ans, se rendent à Bruges. Ils vont à pied au Klokke, le port d’attache du Club Bruges. Fernand participe à un test-match et signe sa carte d’affiliation sans tarder. André Piccu, l’ancien délégué du Club Bruges :  » Fernand Devooght, l’entraîneur des jeunes, a réalisé que ce gamin possédait le talent requis pour jouer un jour en équipe-fanion. Durant ma longue carrière de secrétaire des jeunes, je n’ai plus jamais entendu pareil compliment.  »

Dans le courant des années ’50, le Real Madrid entame son irrésistible ascension et enlève la Coupe d’Europe des Club Champions cinq fois d’affilée. Puskas, Alfredo Di Stefano et le vif Paco Gento font rêver Goyvaerts.  » J’ai étudié leurs actions et j’ai tenté de les imiter.  » Il invente ses propres mouvements. Ainsi, il serre le ballon entre ses talons pour passer l’adversaire. Au Mondial 1998, ce truc entre, à tort, dans l’histoire comme le Blanco Bounce, du nom de son  » inventeur  » mexicain, Cuauhtémoc Blanco.

Débuts

Fin décembre 1955, deux ans après son arrivée au Klokke, l’attaquant de 17 ans est sélectionné par l’entraîneur Felix Schavy pour le match de Coupe de Belgique contre Tirlemont.  » Je suis arrivé en retard « , sourit Goyvaerts des années plus tard. Le Klokke découvre un gamin surdoué, qui inscrit le 2-1 de la victoire.

Le successeur de Schavy, Norberto Höfling, pose le même constat. Le Roumain, endoctriné par sept saisons dans le football professionnel italien, calculateur, opte pour deux avants. Goyvaerts se sent limité et va vivre cinq saisons riches en fortes tensions avec son entraîneur. Lors de la troisième saison d’Höfling, c’est la rupture. En déplacement à Anderlecht, Goyvaerts est seul en pointe. Il ne reçoit guère de ballons et au repos, furieux, il jette ses chaussures au sol. Le Club s’incline 2-0 et, quelques jours plus tard, suspend sa vedette pour quatre semaines.

Goyvaerts témoigne, dans le livre Les Dieux du Club Bruges :  » Je me suis rendu dans le vestiaire des entraîneurs et j’ai giflé Höfling. Il a commencé à sautiller mais j’étais hors de moi et Höfling n’avait pas la moindre chance car j’étais un bon boxeur : j’avais suivi des cours et il ne m’a pas fallu longtemps pour le mettre au sol.  » La rupture était scellée.

Le 16 novembre 1961, Goyvaerts pose sa candidature au Barça.  » Le professionalisme n’étant pas toléré en Belgique et sachant que Monsieur Laszlo Kubala est à la recherche des jeunes joueurs, je m’empresse de vous présenter mes services (…) Ma place préférée est celle d’intérieur gauche (…) « 

Le club catalan l’invite à une semaine d’entraînement. Il fait forte impression sur le coach.  » Des footballeurs aussi talentueux peuvent devenir des stars.  » Le Barça lui propose un contrat, auquel le Club s’oppose pendant des mois. Renée Vandermeersch :  » Je reconnais bien Fernand dans tout ce cirque. Il avait un rêve et il a trouvé la force de le réaliser, malgré toutes ces oppositions. Pour Fernand, rien n’était impossible, dans la vie. « Le 14 août 1962, après une tournée en Amérique du Sud, Barcelone est disposé à verser 75.000 euros et le Club finit par accepter.

Ancien Diable Rouge

Âgé de 23 ans, Goyvaerts conquiert les coeurs des socios contre l’AEK Athènes, dans un match amical, mais un problème se pose : la Fédération espagnole autorise les clubs à aligner seulement deux étrangers et Barcelone en a sept. La direction décide donc d’aligner Goyvaerts, le moins cher, dans les joutes amicales, en guise d’attraction. Constant Vanden Stock ne le sélectionne pas pour un match contre… l’Espagne. Le compteur international de Goyvaerts s’arrête à huit. Renée Vandermeersch :  » À cette époque, partir à l’étranger était considéré comme une trahison.  »

Il devient enfin titulaire au Barça dans le courant de sa troisième saison, sous les ordres du nouvel entraîneur, Vicente Sasot. Il est élu meilleur joueur étranger du championnat après quinze joutes. Le Real l’attire dans la capitale, à la satisfaction générale : Barcelone touche 100.000 euros, le Club Bruges 25.000 euros, soit l’équivalent du salaire annuel du joueur, qui n’a encore que 26 ans. La préparation commence très mal. Après une semaine, Goyvaerts se blesse au genou et le médecin du club lui enlève les… amygdales. Il doit patienter jusqu’en décembre pour subir une ablation du ménisque. Après une longue revalidation, Goyvaerts est dans la tribune quand le Real enlève la C1, à Bruxelles.

Fernando effectue ses débuts en septembre 1966 mais une succession de blessures musculaires l’empêche de présenter un bon bulletin au terme de la deuxième saison : il n’a joué que trois matches officiels. Il part avec femme et enfants – Nuria et Silva – à Elche CF, dont l’entraîneur, Alfredo Di Stéfano, lui confie un rôle libre dans l’entrejeu.  » Goyvaerts est le moteur et le cerveau d’Elche « , estime la presse espagnole. Le légendaire entraîneur Helenio Herrera le reprend dans l’équipe mondiale, aux côtés d’Eusebio, Peter Bonetti, Sandro Mazzola et Gianni Rivera. Il inscrit le troisième but. Le petit club de Valence lutte toute la saison pour son maintien et Goyvaerts, ambitieux, rompt son contrat à la fin de l’année. Las, il a misé sur le mauvais cheval et il se retrouve sans club au début de l’été 1968.

Le premier manager

Une rencontre inopinée sur la plage d’Alicante lui vaut un transfert en France. Pancho Gonzales découvre Goyvaerts pendant un match de football sur la plage. L’entraîneur argentin de l’OGC Nice veut enlever le titre, avec l’attaquant, maintenant âgé de 29 ans, et les internationaux français Marcel Aubour, Charly Loubet et Claude Quittet. Nice est rétrogradé… Goyvaerts a la possibilité de rejoindre Majorque mais il se laisse convaincre de rester sur la Côte d’Azur. Au terme d’une brillante saison, il retrouve l’élite hexagonale.

Après trois saisons, Goyvaerts revient à Bruges, en 1971. UrbainBraems, avec lequel il a joué au Club, signe un parcours impressionnant avec le… Cercle : en l’espace de quatre saisons, ce club passe de D3 en D1. L’arrivée de Han Grijzenhout sonne l’heure de son départ. L’attaquant de 34 ans rejoint Lokeren, sans succès. Il prend congé du football en 1979 et fonde Govan Sports avec sa deuxième femme. Renée Vandermeersch :  » Fernand a plaidé la nécessité d’instaurer une licence pour les managers auprès de l’UEFA. Il l’a obtenue en 1996. Il a été le tout premier au monde. Fernand était bon sur le plan commercial et professionnel mais il n’a jamais cherché à faire fortune. Il a toujours suivi sa voie, sans accepter de compromis pour gonfler son compte en banque. « 

PAR CHRIS TETAERT

Au Real, Goyvaerts se blesse au genou et le médecin du club lui enlève les…amygdales. Renée Vandermeersch

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