Le Bayern n’est pas un club paisible

Le coach hollandais sur la voie du succès à Munich comme à l’Ajax, Barcelone et à l’AZ.

Louis van Gaal (58 ans) effectue un quart de tour sur sa chaise et désigne la fenêtre :  » Regardez les arbres. Il n’y a pas de vent.  » Il élève la voix.  » Pas de vent ! Jamais ! Donc, quand il y a dix degrés, on a l’impression qu’il y en a vingt. Et quand il gèle, on ne sent pas le froid ; ce climat est fantastique. Je vois le soleil tous les jours ici. « 

Van Gaal apprécie les quatre saisons. En Espagne, il vivait sur la côte, à Sitges.  » Pourtant, la vie est plus agréable ici.  » A l’occasion de l’Oktoberfest, il a posé en culottes de cuir, bière à la main, mais il n’en a pas bu une goutte. Il a plutôt découvert le Veltliner allemand et autrichien, un vin blanc qui rivalise dans ses goûts avec le Rioja rouge.  » Et il y a cette culture bavaroise, toute de convivialité et de gaieté. Quand on est carnivore comme moi, il n’y a pas mieux que l’Allemagne.  »

L’entraîneur néerlandais a convaincu son entourage, malgré un début difficile. Il s’entend même bien avec les journalistes allemands :  » Je les trouve très polis et bien élevés, comparés à leurs collègues néerlandais ou espagnols. Ils sont même sympathiques. Certains journaux y vont plus fort ou s’attachent à des anecdotes mais globalement, ça va. « 

A quoi vous attendiez-vous, compte tenu de la réputation de la presse de boulevard ici ?

Louis van Gaal : Contrairement à la majorité de mes compatriotes, j’ai toujours bien aimé les Allemands.

Dans les années 90 déjà, vous aviez émis le v£u de travailler pour le Bayern et celui-ci s’est manifesté concrètement à cinq reprises. Etes-vous faits l’un pour l’autre ?

C’est une question de culture, d’organisation et de football. Je peux lui apporter quelque chose.

Est-ce votre dernier poste ?

On verra. Je regrette de devoir le dire, mais la presse est secondaire à mes yeux. Les gens avec lesquels je travaille, soit la direction, le staff et les joueurs, sont prioritaires. Ce sont mes trois piliers. A mes débuts à l’Ajax, les joueurs ne me soutenaient pas. Ils étaient habitués à Leo Beenhakker et découvraient un entraîneur différent, aux idées radicalement opposées. Ils ont dû changer. J’avais un bon staff, une bonne direction mais en décembre, nous avons affronté Osasuna et ce fut dur. Si j’avais perdu ce match, je n’aurais pas remporté la Coupe UEFA et je ne serais pas ici. A Barcelone, la situation était similaire. Quelques anciens figuraient dans la sélection. J’ai nommé Pep Guardiola capitaine à la place de Guillermo Amor et le groupe m’a accueilli avec un certain scepticisme. La direction était de mon côté mais je ne me suis imposé qu’en novembre, voire en décembre. Maintenant, au Bayern, je dois travailler avec Franz Beckenbauer, Karl-Heinz Rummenigge, Uli Hoeness et Christian Nerlinger, tous d’anciens joueurs, des personnalités possédant une opinion sur le football. J’ai dû les mettre d’accord.

Comment ?

J’ai demandé à rencontrer la direction toutes les semaines, pour qu’elle puisse poser un jugement fondé. Ces gens ne sont en effet ni dans le vestiaire ni sur le terrain. J’avais le même rendez-vous à l’Ajax avec Arie van Os, à Barcelone avec Josep Lluis Nuñez, à l’AZ avec Marcel Brands et Toon Gerbrands. J’ai constaté que c’était intéressant. Entretemps, j’ai convaincu la direction du Bayern mais j’ai d’abord rallié les joueurs à ma cause.

Y compris Luca Toni et Franck Ribéry ?

Ne comparez pas des pommes et des poires. Dans un grand club, on est confronté à des exigences professionnelles, valables pour tous. Toni n’y satisfaisait pas, les autres bien. Ribéry, c’est différent : il était sans cesse blessé et il s’est égaré. Depuis, il est guéri et en pleine forme.

Quand Beckenbauer & Co mettent la pression

Markus Hörwick, le porte-parole du Bayern depuis 28 ans, est émerveillé par le fait que vous avez parlé allemand après deux mois seulement.

Je n’ai rien fait d’autre en Espagne… La salle que j’utilise pour les discussions tactiques a servi de salle de réunion à l’Union Européenne, avec tous ses interprètes. Mes prédécesseurs s’en sont servis mais avec moi, dès le premier jour, les étrangers doivent apprendre l’allemand. Je parle aussi plusieurs langues, ce qui me permet d’intervenir quand je remarque qu’un joueur ne comprend pas. Je le vois rapidement, à son expression ou à son exécution sur le terrain. Il m’appartient d’organiser et de coordonner tout ça.

Vous faites la joie de la presse quand vous expliquez que Ribéry a ein kleines Herzchen (un petit c£ur) ou que votre femme et vous dormez en cuillère…

J’ai introduit quelques expressions en Espagne, où on en parle toujours et ce sera aussi le cas ici. Je m’exprime parfois délibérément en néerlandais, y compris face au groupe. Les joueurs sursautent, ne comprenant rien, jusqu’à ce que je traduise mes propos.

Selon vous, la presse n’est pas importante mais vous avez choisi un pays où le quotidien Bild est très influent en football. Tous les notables y ont d’ailleurs leur éditorial !

C’est un défi. Je suis prêt à travailler malgré cette résistance, en m’attendant à ce que nous finissions par tirer tous à la même corde. Je l’ai expliqué à mon groupe : la presse a un autre point de vue. Je tente d’ériger une bulle protectrice autour de mes joueurs, un univers au sein duquel ils peuvent communiquer et montrer aussi leur visage humain. Je suis persuadé que c’est précieux sur le terrain. C’est le Principe Humain Total, comme je l’appelle. Je sais que les gens se font une opinion d’après ce qu’ils lisent mais cela ne doit pas avoir d’impact sur la gestion d’un club ni l’approche humaine.

Tout ça est très idéaliste mais les clubs finissent par sévir quand la pression médiatique et publique devient trop forte non ?

On l’a peut-être suggéré aux Pays-Bas mais ici, cette pression n’a jamais existé. Fin novembre, en pleine période noire, j’ai assisté à l’assemblée générale durant laquelle Beckenbauer a démissionné et Hoeness a pris ses fonctions. Eh bien, les gens étaient enthousiastes.

Le fait que la direction soit composée d’anciens footballeurs fait-il la différence ?

Non, car l’Ajax et Barcelone m’ont davantage soutenu que le Bayern, au cours des trois premiers mois.

En Bavière, vous avez dû user de plus de pouvoir de persuasion ?

Oui, tout le monde y allait de sa déclaration dans la presse. Le phénomène s’est heureusement atténué.

Tout s’est-il déroulé comme vous vous y attendiez ou fut-ce pire ?

J’avais envie d’entraîner le Bayern et j’étais bien préparé. J’ai lu ce que Beckenbauer, Hoeness et Rum-menigge déclaraient aux journalistes et je me suis dit que ce n’était pas marrant pour l’entraîneur. Donc, si je dois comparer mes différentes directions, c’est ici que j’ai connu mes moments les plus difficiles. Ce sont des bêtes de football, qui n’hésitent pas quand elles ont quelque chose à dire.

Est-il possible de créer une bulle avant tant d’ingérences ?

J’essaie mais je ne peux pas dire que le Bayern soit un club paisible.

Le Nigeria à la porte

Que pensez-vous d’une prolongation de contrat ?

Je n’en sais rien. Ce n’est pas un hasard si je souhaitais un contrat de deux ans. J’aurai 60 ans à son terme. Je m’étais juré d’arrêter à 55 ans. Imaginez que je veuille entraîner une sélection nationale : j’aurais intérêt à arrêter cette année afin de pouvoir entamer un nouveau cycle l’été, avec les qualifications pour l’EURO.

J’arrive à un âge où j’aurai peut-être envie de faire d’autres choses, comme de voyager avec Truus, ma femme. Ce projet est passé au second plan suite à mon contrat avec le Bayern…

Pourriez-vous vivre sans football ?

J’agis toujours avec conviction, en tout. Donc, si je tourne la page, ce sera sans mal, mais jamais je ne me distancierai complètement du football. Je peux peut-être être utile à l’UEFA, comme Rinus Michels avant moi. Ce serait intéressant.

Ne plus diriger d’équipe nationale vous rongerait-il ?

J’ai eu cette chance mais nous avons loupé notre qualification. J’aimerais recevoir une seconde chance, ce qui est tout à fait possible.

On peut donc imaginer que vous accepterez si vous recevez une offre l’année prochaine ?

Si l’Argentine, l’Angleterre, l’Allemagne ou l’Espagne se présentent, j’accepte.

Le Nigeria vous a déjà sollicité à trois reprises…

Et il a remis le couvert cette année. J’aurais pu le diriger au Mondial mais cela ne plaisait pas au Bayern, sans oublier Truus. Ma chance viendra. Quand on vous sollicite quatre fois, on revient une cinquième fois.

Penser et vivre ensemble

L’Ajax, Barcelone, les Pays-Bas, le Bayern… C’est un fameux quatuor, en l’espace de 23 ans !

Et l’AZ ! C’est là que j’ai vécu mes meilleurs moments car j’y ai vraiment bien travaillé avec la direction comme avec les joueurs.

Etes-vous surpris que l’AZ ait jugé que son noyau ne pouvait s’épanouir que sous la direction d’un entraîneur de votre trempe ?

Chaque club a besoin d’un entraîneur doté d’une certaine philosophie et de conviction mais je ne pense pas que l’AZ ait pris Koeman simplement parce qu’il était libre.

Vous allez plus loin que vos collègues dans votre approche ?

Je ne sais pas. Je pense qu’Advocaat aussi est proche des joueurs. Je leur parle énormément et j’essaie de comprendre ce qu’ils pensent. Les joueurs réfléchissent et vivent ensemble. Je suis beaucoup plus cool que Koeman ou que Co Adriaanse, de ce point de vue. On ne peut résumer un profil d’entraîneur en un mot : trop de facettes sont liées à la personnalité d’un entraîneur et d’un joueur. Il y a un échange, un sentiment. Je suis souple, ce qu’on ne peut pas dire de beaucoup de gens.

Que voulez-vous dire ?

Je me demande toujours ce que l’autre peut penser, pourquoi il dit quelque chose. Avec la presse, c’est différent puisqu’elle n’admet pas qu’il n’est pas toujours malin de poser des questions d’une certaine façon ou de viser l’homme. C’est pour ça que je suis souvent fâché avec elle….

par yoeri van den busken & thijs van veghel à munich

« Si l’Argentine, l’Angleterre, l’Allemagne ou l’Espagne se présentent, j’accepte… »

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