» LE BAYERN est parti pour 10 ans « 

Auteur du triplé avec le club allemand la saison dernière, Jupp Heynckes (68) a raccroché après avoir atteint l’apogée de sa superbe carrière.

Vous avez été entraîneur pendant plus de trente ans. Quel effet cela fait-il d’être pensionné ? Jupp Heynckes : Si on compte ma carrière de joueur, j’ai passé 50 ans dans le milieu du football. Je suis toujours resté les pieds sur terre, sans chercher les feux de la rampe. Donc, ma retraite ne me pèse pas. A la limite, je suis même soulagé d’être délivré d’une série de contraintes comme les conférences, les séminaires, les fêtes et tout ça. J’ai enfin du temps pour moi, ma famille, mes animaux, ainsi que pour faire du sport.

N’avez-vous pas regretté d’avoir refusé des offres plantureuses au terme de votre contrat au Bayern. On songe au Real, le PSG, Monaco, la Russie, le Qatar ?

Elles ne recelaient aucun intérêt sportif ni économique. Je n’aurais trouvé nulle part ce que j’avais laissé au Bayern. Et il était temps de retrouver une vie normale. J’ai assisté au match de l’Allemagne contre l’Autriche, qui se déroulait à Munich, et je suis la Bundesliga à la télévision mais avec moins d’intérêt qu’avant. Je n’ai jamais rêvé de football et ce n’est pas à mon âge que je vais commencer.

Combien de fois avez-vous imaginé la composition d’équipe du Bayern depuis votre départ à la retraite ?

Jamais. Je suis trop éloigné de l’équipe et je ne connais pas tous les tenants et aboutissants. Bien sûr, je vois ce que je vois. Je connais le langage corporel des joueurs, leurs mimiques… Mais je n’en dirai pas plus.

 » J’ai arrêté au bon moment  »

Après le triomphe en Ligue des Champions, vous avez annulé une réception à Munich. Pourquoi ?

Nous devions disputer la finale de la Coupe d’Allemagne, un trophée que je n’avais encore jamais gagné. Je savais que j’allais avoir du travail pour remotiver l’équipe après toutes ces fêtes. Mais croyez-moi, j’ai savouré ces jours et ces semaines fantastiques.

Ce triplé a-t-il changé votre vie ?

Les marques de sympathie et d’admiration qui ont afflué m’ont touché. Toute l’Allemagne a reconnu mon travail et ma méthode. Je suis authentique et les gens l’ont compris. Où que j’aille, on m’adresse la parole. Tout cela me conforte dans mon idée : j’ai arrêté au bon moment, en plein succès. Les gens ne l’oublient pas car 2013 a été une année historique pour le Bayern. Je suis aussi le premier entraîneur à avoir gagné le triplé, en 50 ans de Bundesliga, tout en développant un beau football.

Que pensez-vous du fait qu’apparemment, tout soit encore mieux sous la férule de votre successeur, Pep Guardiola ?

Les superlatifs sont dans l’air du temps. On se demande qui a été le meilleur footballeur de tous les temps, de Pelé, de Maradona ou de Messi. Ces discussions animent les après-matches et ne me posent pas de problème.

Vous attendiez-vous à cette évolution du Bayern ?

Mon équipe était la meilleure d’Europe et du monde. Une équipe aussi structurée a encore une décennie devant elle car elle déborde de talent tout en étant jeune et en possédant une mentalité exemplaire.

Le Bayern va-t-il dominer le football européen dans les prochaines années ?

Le niveau du noyau est tel qu’on peut remplacer même les joueurs les plus importants sans s’en ressentir. C’est unique en Europe. Cette formation est exceptionnelle. Esprit d’équipe, discipline, caractère… Des joueurs moyens sont parfois source de problèmes dans certains clubs. Nous n’avons jamais connu ça. Franchement, je ne vois pas de meilleure équipe maintenant ni dans un avenir proche.

 » Mon passage à Bilbao a enrichi ma vie  »

La Bundesliga va-t-elle devenir ennuyeuse ?

Pour le moment, ça en prend le chemin. Le Bayern a tout simplement une autre dimension. Son personnel est fantastique.

Un coach qui a gagné la Ligue des Champions à deux reprises, comme vous, est-il un grand entraîneur ?

Ce n’est pas le seul étalon. Beaucoup de critères entrent en ligne de compte. Par exemple, Mircea Lucescu, le coach du Shakhtar Donetsk, est un grand entraîneur. Il allie succès et qualité de jeu. Un bon entraîneur dirige, unit et structure une équipe, le style de jeu. Il possède une certaine compétence sociale.

Quel est le plus grand ?

Il y en a beaucoup mais je citerai mon ancien mentor, Hennes Weisweiler.

Vous avez travaillé pour l’élite absolue mais aussi des clubs plus moyens. Êtes-vous heureux de vos choix, a posteriori ?

Après mon premier passage au Bayern, il y a eu l’Athletic Bilbao, un grand club, très spécial. Mon passage là a enrichi ma vie. J’ai rencontré des gens formidables à Ténériffe aussi. Quand je retourne à Bilbao, je retrouve des joueurs que j’ai connus il y a vingt ans. Ces contacts sont bien plus importants qu’un énième titre. Je me suis bien amusé à Ténériffe aussi. Les contacts que j’entretenais avec les joueurs et le personnel de ces deux clubs étaient vraiment chaleureux, fantastiques. Weisweiler était ami avec le sélectionneur du Japon, Hiroshi Ninomiya. Cinq joueurs sont venus passer une semaine à Mönchengladbach. Je les ai invités à boire une bière chez moi. En 1990-1991, je me suis rendu au Japon avec le Bayern. Je les ai revus. L’un d’eux avait fait 300 kilomètres pour me rencontrer, tant il avait été impressionné par notre convivialité. Donc, je ne regrette pas de ne pas m’être cantonné aux tout grands clubs car je me suis développé partout, humainement et sportivement, tout en faisant la connaissance de gens formidables.

Était-il plus facile pour un jeune entraîneur de travailler à ‘Gladbach ou était-ce mieux, plus tard, au Bayern ou au Real ?

Jeune entraîneur, je m’y serais brûlé. Les jeunes commettent des erreurs. Il valait donc mieux entamer ma carrière à ‘Gladbach.

 » Une chose est cruciale pour un coach : l’authenticité  »

Quelles erreurs avez-vous commises à vos débuts ?

J’ai exigé de mes joueurs ce que j’avais moi-même personnifié durant ma carrière active : la même ambition, le même engagement, extrême. Or, chaque être est différent.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune entraîneur ?

De nos jours, les coaches doivent être complets mais une chose est cruciale : l’authenticité. Il faut se montrer tel qu’on est et ne jamais tenir deux langages. Il faut être ouvert, honnête et direct vis-à-vis des joueurs et ne jamais s’exprimer en termes négatifs sur un footballeur en leur présence. Il faut être convaincant. Un entraîneur doit personnifier la force. Je n’ai jamais été en proie au doute, jamais. Les joueurs préfèrent un style direct, même s’il est dur. Par la suite, beaucoup d’entre eux m’ont avoué qu’ils avaient parfois été furieux d’avoir été traités sans ménagement.

Non. Les contrecoups m’ont toujours endurci. Le club tout entier a réagi avec une force inouïe. Je n’avais jamais vu ça. Dès le premier tour de la saison suivante, j’ai répété que nous avions une grande équipe et que nous développions le meilleur football de l’histoire du Bayern, malgré des joueurs tels que Franz Beckenbauer, Gerd Müller, Uli Hoeness, Paul Breitner ou Sepp Maier. Je l’ai senti et j’ai transmis cette impression aux joueurs. Bastian Schweinsteiger vient de me rappeler :  » Monsieur Heynckes, pendant le stage hivernal au Qatar, vous avez réuni l’équipe pour dire que vous aviez le sentiment que nous pouvions réaliser de grandes choses cette saison si nous continuions à nous comporter en équipe, animés de la même solidarité. Vous avez aussi dit que si nous réussissions, certains d’entre nous seraient élus Footballeur de l’Année en Allemagne, en Europe et dans le monde.  »

 » La stabilité est un facteur-clé dans le football  »

Êtes-vous toujours en contact avec des joueurs du Bayern ?

J’ai téléphoné à Bastian quand il a été opéré. L’équipe nationale n’a de chances de remporter le Mondial qu’avec un Schweinsteiger en pleine possession de ses moyens. Bastian est une figure centrale de l’entrejeu, au même titre que Philipp Lahm en tant que capitaine et défenseur. Évidemment, l’ensemble de l’équipe doit fonctionner de manière optimale.

Dans quelle mesure les exigences de votre métier ont-elles évolué en trois décennies ?

Le football a complètement changé. Les entraîneurs plus âgés doivent donc s’adapter à leur époque. Il faut se vouer corps et âme à son métier si on veut devenir un grand entraîneur.

Revenons-nous aux entraîneurs-professeurs, après les coaches-animateurs ?

Peut-être mais un coach doit maîtriser les deux registres, puisque le public s’intéresse beaucoup aux aspects extra-sportifs. Mais l’essentiel est l’impact qu’on a en interne : on n’arrive à rien si on n’est pas accepté par les joueurs. Or, ceux-ci comprennent vite si leur entraîneur s’y connaît ou non.

Combien gagnait un entraîneur il y a trente ans ?

La première année, j’ai gagné l’équivalent de 4.000 euros bruts.

Selon vous, les entraîneurs de Bundesliga sont-ils correctement payés ?

Ce genre de discussion ne mène à rien.

Les entraîneurs actuels ne paient-ils pas trop souvent les pots cassés des erreurs des dirigeants ?

Le succès dépend d’un faisceau de personnes : direction, manager, entraîneur. Leur entente et la qualité de leurs rapports sont cruciales. En outre, la continuité est un facteur important. Un entraîneur qui reste plusieurs années en poste est plus efficace, une équipe qui n’est pas constamment bouleversée fonctionne mieux. La stabilité est un mot-clé.

Ne pensez-vous pas que vous auriez pu entraîner davantage de grands clubs ?

Non, je suis très satisfait de mes deux carrières. J’ai connu des hauts et des bas, j’ai enlevé des trophées et j’en ai perdu. J’ai toujours puisé ma motivation dans mes pires échecs.

 » Je n’oublierai jamais la façon dont les joueurs ont pris congé de moi  »

Quel titre a été le plus beau ou le plus important ?

Le premier championnat comme joueur et comme entraîneur. La Ligue des Champions 1998 avec le Real, après une attente de 32 ans et bien sûr, le triplé avec le Bayern.

Vos adieux n’auraient pu être plus réussis.

Ce qui m’a le plus impressionné, c’est la fusion entre l’équipe et le reste du club. Ce respect, cette sympathie… Je n’oublie pas non plus la manière dont certains joueurs ont pris congé de moi.

Rêviez-vous de devenir entraîneur ?

Non, je voulais être architecte. Entraîner n’est pas un métier de rêve. Gamin, je voulais devenir footballeur professionnel puis je suis devenu entraîneur parce que je ne pouvais rien faire d’autre.

Un retour sur le banc est-il encore possible ?

Non. Je n’aurais pas réagi avec une telle émotion lors de mon dernier match de Bundesliga, à ‘Gladbach, si je n’avais pris ma décision.

Un titre d’Entraîneur FIFA de l’Année serait-il important à vos yeux ?

Ça l’aurait été davantage dans le passé. Il n’empêche que ce serait une distinction peu commune.

PAR KARLHEINZ WILD, ESM

 » Je n’ai jamais rêvé de faire carrière en football. En vérité, je voulais être architecte.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire