Le barbare

Jamais un club allemand n’avait déboursé autant pour un gardien.

Jadis, Oliver Kahn a cassé en deux la porte du vestiaire, fou de rage après un bête but du KFC Uerdingen. Il a également secoué son ancien coéquipier, Andreas Herzog, soupçonnant l’Autrichien de manquer d’engagement. Oliver Kahn est-il barbare ou professionnel jusqu’au fanatisme?

« Il vit le football comme nul autre », explique Ottmar Hitzfeld, l’entraîneur du Bayern, pour justifier les excès de son gardien. A l’entraînement aussi, il se livre souvent comme si un trophée ou des points étaient en jeu. Giovane Elber en a fait l’expérience. « Pour Oliver, il n’y a aucune différence entre un match et un entraînement ».

Il en a toujours été ainsi. C’est grâce à un cadeau qu’en 1976, le petit Oliver Kahn, alors âgé de six ans, glisse dans le but des Diablotins du Karlsruher SC. Le présent est une tenue de la collection du célèbre gardien Sepp Maier, qui était alors le numéro un incontesté en Allemagne. La compétition commence: Kahn veut suivre les traces de sa nouvelle idole. Il est confronté à une rude concurrence, dans le club du Bade-Würtemberg. Son père Rolf, lui-même ancien professionnel du KSC, est l’entraîneur de son fils en Juniors mais il n’hésite pas à le laisser sur le banc. « Il est bon d’apprendre jeune à serrer les dents, sinon, on n’arrive à rien », commente maintenant Oliver.

Cette mentalité conduit le jeune homme aux abords du noyau professionnel. Winfried Schäfer, qui était alors l’entraîneur principal de Karslruhe, joint le blond gardien à sa sélection dès ses dix-huit ans, avec le statut d’amateur. Pendant deux saisons, Kahn doit se contenter de quelques entrées au jeu. Il reçoit sa vraie chance le 10 novembre 1990. A domicile contre le VfL Bochum, qui mène 0-2, Schäfer remplace Alexander Famula, dans un mauvais jour, par Kahn. Le KSC s’impose finalement 3-2, notamment grâce à un sauvetage fantastique de Kahn. Plus aucun autre gardien ne défendra les filets de Kaiserslautern jusqu’au transfert de Kahn au Bayern Munich, l’été 1994.

Le gardien, qui pèse 87 kilos pour 1,88 mètre, s’est également frayé un chemin en équipe nationale. Il est numéro trois, derrière Bodo Illgner et Andreas Köpke. Son transfert en Bavière constitue un record. Le Bayern débourse près de cent millions. Jamais encore on n’a payé une telle somme en Bundesliga pour un gardien. Ni nulle part ailleurs. Pourtant, Kahn ne connaît pas vraiment un début de rêve à Munich. Au bout de cinq mois, il se déchire un ligament croisé, dans un match face au Bayer Leverkusen.

Kahn se rappelle l’accident : « Une fois le diagnostic établi, le choc psychologique s’est atténué. Je savais que ça ne pouvait qu’aller mieux ». Cinq mois plus tard, le portier était de retour sur le terrain. Sa rage de vaincre a été récompensée par une place dans l’équipe d’Allemagne.

Le voilà le numéro un incontesté du Bayern Munich depuis des années et de la Mannschaft, depuis la retraite d’Andreas Köpke au terme de la Coupe du Monde 1998. Nul ne met en cause les qualités sportives de Kahn, dans sa patrie. Pour la plupart des journaux, il est même le meilleur gardien du monde. Les supporters du Bayern l’adorent pour le fanatisme et la maestria avec lesquels il dirige la défense du Bayern, les supporters adverses le haïssent pour la même raison. Ces derniers ponctuent ses moindres gestes de cris de singes et jettent des bananes dans son rectangle. Nul ne doit craindre que Kahn réagisse à ces tristes pratiques. « Oliver est un garçon intelligent », déclare celui qui l’a découvert, Winfried Schäfer. « Il est très émotionnel mais c’est justement un atout ».

Le panzer dans lequel Kahn se glisse pendant les matches est le symbole de son assurance. Sa stature est imposante, sa manière de coacher son équipe suscite crainte et respect. Kahn, qu’entraîne son ancienne idole, Sepp Maier, témoigne d’une énorme confiance en lui en-dehors des stades également.

Avant la demi-finale de la Ligue des Champions contre le Real Madrid, l’Allemand a donné le ton: « Nous avons vaincu tous les grands clubs d’Europe. Pourquoi devrions-nous craindre le Real Madrid? Je sais que les joueurs du Real éprouvent beaucoup de respect pour nous. Ils auraient préféré affronter Manchester ».

Matamore ou sûr de ses moyens? L’issue des deux duels fait plutôt pencher en faveur du deuxième terme. Le Bayern a remporté son premier match, à Madrid, 0-1, avec un Kahn extrêmement brillant. Et dans son propre Olympiastadion, avec l’aide d’un Kahn toujours aussi affûté, il a battu le tenant du titre européen 2-1. Du coup, le Bayern tenait la revanche sur les deux clubs qui, ces deux dernières années, l’avaient empêché de remporter la Ligue des Champions. La saison dernière, le Real avait été le plus fort en demi-finales, et en 1999, au terme d’une finale mémorable, le Bayern avait laissé filer dans les arrêts de jeu une victoire qui lui paraissait acquise, contre Manchester. « Cette défaite est la plus brutale de toute ma carrière », se remémore Kahn. « Mais un sportif doit tirer les leçons de chaque revers. Heureusement, je sais que chaque grand triomphe est précédé d’un cinglant revers ».

Oliver Kahn a vécu son plus grand triomphe le mercredi 23 mai 2001 au stade Giuseppe Meazza de Milan. Ce soir-là, le Bayern Munich a vaincu Valence, en finale de la Ligue des Champions, au terme d’une série de penalties durant laquelle il a une nouvelle fois vu Kahn jouer le rôle principal. Il a détourné trois penalties, dont le dernier, celui de Pellegrino, qui allait faire pencher la victoire dans un camp ou dans l’autre.

Thijs Slegers

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