« Le ballon SVP! »

Le Guinéen sait comment causer des problèmes à l’adversaire.

Après le match nul contre La Gantoise, Ebou Sillah (21 ans) a rejoint la Gambie. On ne le reverra que le 12 novembre.

Ebou Sillah: Je suis content. Si on m’accorde ma chance pendant nonante minutes, on verra ce que je vaux. Longtemps, je n’ai effectué que des entrées au jeu: vingt minutes, un quart d’heure. Je m’étais blessé à l’entraînement le lundi précédant le match européen à Chypre. Je suis venu m’entraîner seul au Club, tous les jours, même si personne ne pouvait le voir. A mon grand étonnement, j’ai vu que j’étais repris pour le match retour,… lors du dernier entraînement. Pourtant, je n’avais plus joué depuis deux semaines. J’ai marqué puis livré de bons matches contre Genk et le Lierse. J’ai saisi ma chance.

On vous attendait sur le flanc gauche mais vous remplacez en fait Sven Vermant.

C’est ma meilleure position. Je peux y délivrer des passes décisives, j’y dispose de plus d’espaces. Le Club avait besoin de quelqu’un qui demande le ballon, qui peut poser le jeu, changer de rythme, réaliser des actions. C’est ce que me demande l’entraîneur. Comme Ceh était nouveau, il était logique de lui accorder sa chance. J’ai dû attendre mais jamais je n’ai douté de moi. -You gonna play and you can do it. Les trois entraîneurs le répétaient.

Il était temps?

En effet, je suis à Bruges depuis quatre ou cinq ans, sans avoir dépassé le cap des Réserves. Pourtant, j’ai vu des joueurs moins bons que moi en équipe A. Cette saison doit être la mienne, sinon, je pars.

Frêle constitution

Votre constitution frêle n’est pas idéale pour un médian, a priori.

Vous avez tort! Ma vitesse m’est précieuse contre de solides médians défensifs. Quand je me retourne, ils ont besoin de deux mouvements pour me suivre. Ou de deux hommes. Bruges se focalisait trop sur mon apparence. J’ai dû faire mes preuves à Harelbeke. Je suis reconnaissant à Henk Houwaart de la chance qu’il m’a accordé. Il savait ce dont j’étais capable et la Belgique l’a découvert après. J’étais lié par ce contrat et je devais revenir. Mais les deux bons matches que Harelbeke a joués contre Bruges m’ont aidé. Mister Antoine m’a convoqué: -Tu nous a fais du mal. Tu nous appartiens et tu nous prends quatre points avec Harelbeke. Je m’étais spécialement préparé. Quand nous n’avions qu’un entraînement, je m’imposais une seconde séance. Je voulais montrer ce dont j’étais capable.

Dès que le Club tourne moins bien, on évoque son manque de créativité. Que pouvez-vous faire?

En dix minutes, rien. Nous avons besoin de créativité, comme Anderlecht d’ailleurs.

Le football belge vous convient-il?

Donnez-moi le ballon et l’adversaire aura des problèmes car je suis capable de tout. L’identité de mon adversaire importe peu. Quand je sens qu’on veut m’intimider, je laisse le ballon faire le travail, j’évite les duels. Le plaisir est capital pour moi. Je veux divertir les supporters. Finalement, ils paient leur billet assez cher pour ça. On a eu raison de critiquer notre jeu en début de saison. Il était merdique.

Horreur des Réserves

Mais rejouer en Réserves a dû être pénible?

Très. -Why, why, why?, me demandais-je. Je détestais cette équipe B, mais on ne m’a pas pris en défaut. J’ai toujours livré le meilleur de moi-même, à l’entraînement comme dans les matches. Sur le terrain, j’oubliais tout, ma déception, ma colère… J’ai connu des moments pénibles en Belgique, jusqu’à présent. J’ai commencé en Espoirs, Gerets m’a lancé puis j’ai eu un passage à vide, Harelbeke m’a rendu ma chance et j’ai encaissé un nouveau coup à Bruges. Ça aurait pu m’anéantir si je n’étais aussi fort mentalement.

L’été dernier, on a évoqué un transfert à Utrecht, comme monnaie d’échange dans l’arrivée de Stefaan Tanghe. Le football néerlandais vous aurait mieux convenu. Cet intérêt était-il réel?

Je n’en sais rien. Moi, je voulais jouer, c’est tout. Deux de mes meilleurs amis jouent aux Pays-Bas: Sonko à Roda et Ceesay à Willem II. Ils ont insisté pour que j’émigre: de beaux terrains, de beaux stades, un style de jeu agréable pour un attaquant… Mais Bruges m’a offert ma chance et j’y suis lié jusqu’en 2005. Peu m’importe, tant que je joue.

Nous venons de passer à l’heure d’hiver. Vous rappelez-vous du dernier changement d’heure?

( Il rit) Et comment! Le dimanche matin, avant Bruges-Genk, j’étais chez moi, tranquille, quand le Club a téléphoné: -Où es-tu, il est dix heures trente. Il m’a fallu le temps de réaliser. Au lieu de jouer, je me suis retrouvé sur le banc. J’ai cru que j’étais fini.

Un contrat en danois!

Vous avez joué au Danemark.

En effet, à quinze ans, j’ai effectué un test à Twente, en Espoirs. J’ai disputé quatre matches et j’aurais pu signer un contrat mais j’étai trop jeune pour obtenir un permis de séjour. Ma mère n’avait pas envie de déménager aux Pays-Bas. De retour en Gambie, nous avons rencontré les responsables d’une équipe danoise qui disputait un match amical contre notre équipe nationale. Le président m’a demandé si je voulais devenir professionnel en Europe. Je lui ai parlé de mon aventure néerlandaise. Il m’a dit: -C’est bien mais ne signe rien, nous sommes mieux. Je les ai accompagnés au Danemark, j’ai joué et on m’a proposé un contrat à signer sur le champ. Il était rédigé en danois. J’ai dit: -Me prenez-vous pour un fou? Pensez-vous que tous les joueurs africains ont tellement envie de jouer en Europe qu’ils sont prêts à signer un contrat dont ils ne comprennent pas un traître mot? Nous sommes retournés en Gambie. Le contrat a été traduit en anglais. Il s’est avéré sans valeur. Ils ont fait pression sur un ami qui avait l’opportunité de jouer là, à la condition qu’il me persuade. Cet ami a longtemps insisté mais je suis resté intransigeant. Puis je suis venu faire des tests en Belgique. Je pouvais venir voir et repartir si ça ne me plaisait pas.

On raconte que pour combattre le froid, vous aviez revêtu un équipement du Cercle.

C’est vrai. Mais j’étais malade. J’ai passé une semaine au lit. Le Cercle voulait à tout prix que je joue. Après cinq minutes, j’ai été pris de vertiges. Négatif. J’en ris quand je vois le Cercle s’entraîner maintenant. Et puis j’ai été à Blankenberghe.

Un club de Première Provinciale.

Je ne connaissais pas le niveau du club. Ce n’était pas du football. Ils auraient pu me casser une jambe. Je dois avoir dribblé six ou sept joueurs avant de marquer, dans ce match. Le Club s’intéressait à moi et j’ai signé. J’aurais pu rejoindre Harelbeke mais c’était trop loin de Jabbeke et j’étais trop jeune pour conduire.

D’où vient votre abattage?

C’est inné. Je suis le seul garçon de la famille. Ma mère m’envoyait toujours au magasin. Il était aussi loin de la maison que Bruges de Jabbeke. Elle me donnait de l’argent pour le bus mais je l’épargnais et j’y allais en courant. Le dimanche matin, pour jouer, je devais payer. C’est comme ça, chez nous: les joueurs rassemblent de l’argent et il va au vainqueur du match. J’ai même couru un marathon, une fois, et j’ai signé de bons chronos sur différentes distances. J’ai battu notre champion national sur 5.000 mètres. Mais je préférais le football, même si on me trouvait trop frêle. A l’école, j’étais capitaine de l’équipe de football, d’athlétisme et de basket!

Peter T’Kint

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