Le ballon perdu

Dans son livre, l’ex-président de l’U.B. dresse un constat réaliste mais fait la part belle aux anecdotes.

Président de la Ligue Pro de 81 à 87, de l’Union Belge de 87 à 2001, de la Commission médicale de la FIFA, de la Commission du foot en salle de la FIFA et de la Fondation Casa Hogar: il serait étonnant qu’à 56 ans, Michel D’Hooghe s’arrête là. La pleine maturité physique et intellectuelle du docteur en médecine brugeois, sa compétence internationale et le verbe polyglotte et facile, le destinent à une tâche européenne, voire mondiale, au sommet.

Son sens de la diplomatie et un côté artiste peuvent aussi l’y aider. Un soir du Mondial 86, pianiste au bar de l’hôtel Del Rey, à Toluca, il fit chanter et swinguer dirigeants, joueurs et journalistes belges.

Pourquoi D’Hooghe n’a-t-il jamais présidé, et ne présidera-t-il pas le Club Brugeois, le club de sa ville et de son coeur, où il fit ses classes de médecin sportif et de dirigeant? La raison est paternelle: le père D’Hooghe, bien que grand ami d’ André De Clerck, ex-président du Club, était supporter du Cercle. Il lui fit donc promettre de ne jamais devenir président des Blauw en Zwart. Après la nomination de son fils comme président fédéral, il l’accueillit ainsi: « Fils, tu m’as bien eu. Tu m’avais promis de ne jamais devenir président du Club, et te voilà président de tous les clubs ».

« Happel manquait de psychologie »

Comme médecin du Club, Michel D’Hooghe vécut, entre autres, quelques moments mémorables aux côtés d’ Ernst Happel. « La psychologie de l’entraîneur autrichien était de… ne pas en avoir », dit le président démissionnaire de l’U.B. « A son arrivée au club, il se présenta ainsi: Meine Herren, ich bin Ernst Happel. Es ist zehn vor zehn. Training zehn Uhr. » Traduction: Messieurs, je suis Ernst Happel. Il est 10 heures moins 10. Entraînement à 10 heures.

Leur collaboration fut très difficile au départ, et ils ne se parlèrent pas durant plusieurs semaines. Happel avait, en effet, demandé au docteur d’améliorer artificiellement les performances de l’équipe. « Je lui ai répondu que c’était à l’encontre de ma déontologie médicale et que s’il était le chef de son vestiaire, moi je l’étais de mon infirmerie. J’ai raconté l’histoire au président d’honneur André De Clerck. Quand je lui ai proposé ma démission, il m’a rétorqué que le Club vivrait bien plus longtemps avec moi qu’avec l’entraîneur. Happel n’a plus insisté et nous sommes redevenus de bons amis ».

Cinq ans plus tard, dans le jetfoil qui ramenait le Club de sa finale de la Coupe des Champions, à Wembley, l’Autrichien vint s’asseoir à côté du dottores, comme il l’appelait, et lui confia: « Il y a cinq ans, tu avais raison ».

Cela posé, D’Hooghe ne cache pas son admiration pour le travail et les résultats du redoutable Ernst. « Deux mois après la finale du Club à Londres, il menait l’équipe de Hollande à la finale de la Coupe du Monde argentine. Happel était un crack ».

Un autre entraîneur -moins connu- du Club, Jaak DeWit, fait sourire D’Hooghe. « Ses leçons de théorie étaient interminables, et après un 0-8 contre La Valette, le Hollandais n’en finissait pas d’expliquer la tactique du match retour. Soudain, Ulrich Lefèvre quitta le vestiaire. -Où vas-tu?, lui demanda l’entraîneur. -Au match entraîneur, sinon j’arriverai en retard, répliqua le joueur ».

Mis au pied du mur, D’Hooghe sut prendre des décisions irrévocables dans certaines situations brûlantes. Entre autres, comme président de la Commission médicale de la FIFA au Mondial 94, il obtint la disqualification de Diego Maradona dont l’urine avait révélé cinq métabolites d’éphédrine. Autre décision significative, celle en faveur de feu Albert Roosens, traduit devant le tribunal de Bruxelles, après le drame du Heysel 85. Un papier à la main, le secrétaire se présenta dans le bureau de son président, le priant de le transmettre au Comité Exécutif. L’UB viendrait-elle financièrement en aide à l’ex-secrétaire général s’il était condamné avec amende? D’Hooghe décida de ne pas soumettre le billet au CE, et rédigea sur-le-champ une déclaration engageant financièrement la fédération. « Je trouvais déjà assez grave qu’Albert, véritable gentleman, qui n’avait rien à se reprocher, eût à paraître, en notre nom à tous, devant les juges en raison de sa responsabilité civile ».

Ce qui reste, jusqu’à présent, la plus remarquable performance mondiale des Diables, la Coupe du Monde 86 au Mexique, suscite aussi quelques brûlants souvenirs présidentiels. Après des débuts assez médiocres, une défaite face au Mexique et une laborieuse victoire sur l’Irak, les journalistes n’étaient pas tendres pour la délégation belge. Réceptionnant, en cours d’entraînement, un paquet de journaux arrivés de Belgique, le président décida de ne pas les distribuer. « S’ils voient ça, ce sera sûrement la révolution ce soir. J’ai emporté le paquet dans ma chambre et je l’ai caché au-dessus de l’armoire ».

Mais le meilleur devait venir, et entre autres, le match décisif contre l’Espagne pour l’accès aux demi-finales: 1-1, prolongations et tirs au but. Qui allait tirer? De nombreux joueurs, épuisés et peu sûrs d’eux, ont décliné l’honneur. Claesen et Scifo se proposèrent courageusement. Thys est parvenu à convaincre Vervoort et Leo Van der Elst, qui a accepté à condition de tirer le dernier. Sans doute pensait-il que la décision serait déjà tombée à ce moment-là.

« Voyant qu’il manquait un cinquième tireur, Broos offrit lui aussi ses services », ajoute Michel D’Hooghe. « J’ai toujours eu de l’admiration pour ce grand professionnel, mais je savais que les tirs au but n’étaient pas sa spécialité… A 4-4, Thys dit à Leo: -Essaie seulement d’envoyer le ballon entre les piquets. Leo parvint à l’expédier en plein milieu du but, et nous tous en demi-finale ».

Ils n’avaient jamais vu un lit

Parmi les anecdotes qu’il a vécues, Michel D’Hooghe aime raconter celle d’octobre 93, à Belgique-Tchécoslovaquie, décisif pour le Mondial 94. Le Roi Albert II était assis entre le Premier ministre Jean-Luc Dehaene et le président D’Hooghe. Après le repos, les Tchécoslovaques firent monter la pression, et Philippe Albert reçut un carton rouge. Dehaene, bon connaisseur de foot, se leva de son siège, et cria: « Nom de Dieu, Albert, comment est-ce possible? ». Sur quoi le Roi tourna la tête et sourit: « C’est à moi que tu parles Jean-Luc? »

Tous ces souvenirs, Michel D’Hooghe les évoque, avec force détails, dans son récent livre Mais où est donc passé le ballon? Pourquoi ce titre? Parce que l’ex-président s’est rendu compte, tout au long de sa carrière, que les thèmes à aborder dans le foot d’aujourd’hui sont si nombreux (marketing, médias, contrôles anti-dopage, agents de joueurs, règlements des transferts, clauses d’assurance, etc) que le ballon s’y perd parfois. Réaliste constat.

Mais le réalisme du foot belge est, heureusement, aussi dans l’humain. A preuve, la Fondation Casa Hogar, une institution qui aide les enfants « perdus » de Toluca, une ville industrielle à 70 kms de Mexico, où les Diables Rouges résidaient pendant le Mondial 86. Un matin, le président D’Hooghe, le capitaine Jan Ceulemans et Eric Gerets décidèrent d’effectuer une courte promenade. Harcelés par des dizaines de petits malheureux, les trois hommes se questionnèrent: comment leur venir en aide de manière permanente?

« Jan et Eric ont proposé à leurs coéquipiers de céder une petite partie de leur prime, et pour ma part, je devais convaincre la fédération de financer intégralement l’action », se souvient l’ex-président. « Ces deux conditions ont été assez rapidement remplies. Avec l’aide de Ramon Martinez, directeur de l’hôtel Del Rey, fut ainsi créée l’ Accion Casa Hogar-Diablos Rojos. Une maison fut trouvée, où sont hébergés aujourd’hui une trentaine d’enfants, et au fil des ans, trois bibliothèques furent créées. Vingt-six entreprises apportent un soutien financier. Ramon s’est rendu dans une station de métro de Toluca où il a accosté un garçon des rues, un gamin de 8 ans qui vivait dans un monde d’agressivité et de méfiance. Ramon a eu toutes les peines du monde à gagner la confiance du petit garçon, et Benito est devenu le premier gosse à trouver un foyer à la Casa Hogar… Lorsque les premiers enfants sont entrés dans leur chambre, ils n’ont pas grimpé sur le lit: ils se sont glissés en dessous. La plupart d’entre eux n’avaient jamais dormi dans un lit ».

Henry Guldemont

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