© BELGAIMAGE

Manuel Neuer: « Le ballon est mon ami, pas mon ennemi »

Manuel Neuer, le gardien du Bayern et de l’Allemagne, est considéré comme le meilleur gardien des dix dernières années. À 33 ans, face à la concurrence et aux critiques, il n’a pas l’intention de lâcher quoi que ce soit. Article d’Alexis Menuge issu de France Football.

Manuel Neuer:
© France Football

Les trois dernières années ont été compliquées, notamment en raison de blessures, mais cette saison, Manuel Neuer n’a toujours pas manqué la moindre minute de jeu dans les cages du Bayern Munich. Le capitaine est de retour. Et il sera bien utile ce week-end, car les Bavarois reçoivent le RB Leipzig, un sérieux concurrent pour le titre. Une bonne occasion de discuter avec l’Allemand de l’art de défendre ses filets.

En quoi le poste de gardien a-t-il évolué ces dernières années ?

MANUEL NEUER : Si je compare à mes débuts chez les pros, il est évident que ce poste a pas mal évolué. Au milieu des années 2000, il n’était pas fréquent que le gardien soit sollicité par ses défenseurs, il ne faisait pas partie intégrante de la construction du jeu. Petit à petit, il a pris de l’envergure pour être progressivement intégré au reste de l’équipe avec la modernisation du poste. Au fil des années, le gardien a été considéré comme le onzième joueur de champ avant de prendre encore plus d’importance. La dernière règle en vigueur, qui permet aux défenseurs lors des renvois aux six mètres de toucher le ballon dans leurs seize mètres afin de rendre le jeu plus rapide, est une bonne initiative. Pour le gardien, c’est une question d’adaptation. Globalement, j’estime que l’évolution de ce poste est très positive.

C’était déjà une énorme performance de me retrouver sur le podium du Ballon d’Or.  » Manuel Neuer

Le gardien ne bénéficie-t-il pas davantage de la lumière médiatique qu’il y a quelques années ?

NEUER : Je le pense, effectivement. Que les attaquants soient souvent favorisés dans ce domaine est logique, car le grand public veut voir des buts, du spectacle, des frappes spectaculaires. C’est ce qui explique pourquoi les attaquants finissent souvent devant les défenseurs ou les gardiens dans les classements individuels, et ce sera toujours le cas.

France Football a récemment attribué le premier Trophée Yachine, qui récompense le meilleur gardien du monde sur l’année écoulée. Qu’en pensez-vous ?

NEUER : C’est une très belle initiative qui permet aux gardiens de bénéficier d’une belle couverture médiatique. Il est important que les joueurs défensifs dans leur globalité soient davantage médiatisés. Par exemple, j’ai trouvé génial que Virgil van Dijk soit nommé pour le prix FIFA et j’espérais que lui ou un autre joueur défensif soit sacré Ballon d’Or 2019. C’est avec beaucoup de plaisir que je repense parfois à cette magnifique soirée organisée en janvier 2015 à Zurich, lorsque j’avais fini troisième dans la course au Ballon d’Or derrière Lionel Messi et Cristiano Ronaldo. En tant que gardien, c’était déjà une énorme performance de me retrouver sur le podium.

 » Je veux encore me perfectionner  »

En quoi la préparation d’un match est-elle différente par rapport à vos débuts il y a une quinzaine d’années ?

NEUER : Aujourd’hui, l’accent est mis sur les séquences vidéo, sur l’analyse détaillée de mes prestations, que ce soit en match ou au cours des séances d’entraînement. Avec le staff technique et mon entraîneur des gardiens ( Toni Tapalovic, ndlr) , on évoque aussi les attaquants que je vais affronter, les schémas tactiques des adversaires ou la manière dont ils exploitent les coups de pied arrêtés. À mes débuts à Schalke 04, il n’y avait pas vraiment de séances vidéo et pas d’analyses aussi pointues. Cela a commencé à changer après la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. Avec aussi beaucoup plus de statistiques.

Manuel Neuer:
Manuel Neuer:  » Certains avaient considéré que j’étais cuit et que je ne reviendrais jamais. « © BELGAIMAGE

Comment expliquez-vous que vous soyez toujours aussi compétitif à 33 ans ?

NEUER : Lorsqu’il était encore actif Oliver Kahn avait dit que le plus dur était de confirmer chaque saison les titres et de répondre aux attentes sur la durée. Personnellement, j’ai dû me battre pendant presque deux ans avec de sérieuses blessures ( deux fractures du pied gauche, ndlr) . J’ai connu des moments très difficiles. Mais je vis pour ce métier, c’est ma passion et elle est toujours aussi forte qu’à mes débuts. Je savoure chaque rencontre, chaque séance d’entraînement, chaque exercice spécifique. Le simple fait de pénétrer sur la pelouse devant 70.000 spectateurs, d’enfiler le maillot dans le vestiaire à cinq minutes du coup d’envoi, ce sont des moments dont j’aurais du mal à me passer. Ce job me procure beaucoup de joie et j’en suis fier. C’est également important de pouvoir travailler en confiance. Tapalovic est avec moi au quotidien depuis mes débuts à Schalke 04 ( en 2006, ndlr) .

Je savoure chaque entraînement, chaque exercice.  » Manuel Neuer

Vos erreurs sont rares, mais si jamais vous commettez un faux pas, l’analysez-vous aussitôt avec lui ?

NEUER : Que nous échangions ou pas, je sais dans les secondes qui suivent le but quelle faute j’ai pu commettre et comment j’aurais dû intervenir. Cette lucidité me permet d’être objectif quant à mes performances sur le terrain. Nous nous réunissons juste après le coup de sifflet final dans le vestiaire, ou parfois même dès la mi-temps, et nous analysons quelques actions importantes. Notre force, c’est d’être honnête l’un envers l’autre.

Peut-on encore progresser à 33 ans ?

NEUER : Il y a toujours des détails à peaufiner. À chaque entraînement, je vois mon comportement lors de l’analyse vidéo et je sais, par exemple, que je peux encore mieux me placer par rapport au ballon dans mes dégagements. Je veux encore me perfectionner. J’enregistre les données de mes prestations dans ma tête et je m’engage à faire mieux lors de la séance suivante.

Avez-vous modifié certains aspects au niveau de la récupération, de votre hygiène de vie ?

NEUER : Quelques détails, mais c’est normal. C’est lié à la maturité que l’on acquiert au fil du temps. Si je ne dors pas assez ou que je me nourris mal, je vais tôt ou tard en subir le contrecoup et le risque de blessure sera alors plus important. Si on fait preuve de discipline et qu’on prend son métier au sérieux, les chances de réussir sont plus grandes que pour une personne qui s’en fiche.

 » Je veux à tout prix arrêter les ballons inarrêtables  »

Êtes-vous ressorti plus fort de vos deux longues périodes d’indisponibilité, d’avril à juillet 2017, puis de septembre 2017 à juin 2018 ?

NEUER : Certains observateurs avaient considéré que j’étais cuit et que je ne reviendrais jamais. Mais je ressens une grande passion pour ce sport et un enthousiasme débordant. C’est le plus important. Mon objectif n’est pas de me rendre chaque matin à l’entraînement et de me contenter de mon niveau sans être vraiment ambitieux. Je veux progresser chaque jour. À 33 ans, je veux à tout prix arrêter les ballons inarrêtables. C’est mon objectif au quotidien.

Avez-vous perdu un peu en vivacité à la suite de cette longue convalescence ?

NEUER : J’ai effectué toutes sortes de tests qui ont été très concluants, puisque jamais je n’avais encore été aussi affûté.

Cette absence était la plus longue de votre carrière. N’êtes-vous pas tombé dans la déprime ou n’avez-vous pas songé à tout plaquer ?

NEUER : Non, car j’avais un grand objectif : être rétabli pour la Coupe du monde 2018. C’est un défi qui m’a motivé. J’ai tout mis en oeuvre et j’y suis parvenu.

N’avez-vous pas pris un risque en prenant part à ce Mondial en ayant peu de matches dans les jambes ?

NEUER : Je n’ai reçu aucune garantie de jouer de la part du staff technique. J’ai cherché à tirer le meilleur des nombreuses séances d’entraînement au cours de la préparation et des quelques matches amicaux. J’ai atteint mon objectif en étant compétitif en Russie. Personnellement, j’estime avoir disputé une Coupe du monde correcte malgré notre élimination dès la phase de poules ( la Nationalmannschaft a terminé dernière de son groupe, derrière la Suède, le Mexique et la Corée du Sud, ndlr) . Mais finalement, nous avons tous coulé ensemble. C’était une aventure décevante et déprimante.

Sans votre longue absence, croyez-vous que votre statut d’indéboulonnable numéro 1 aurait été remis en cause, comme le font certains médias allemands depuis plusieurs semaines ?

NEUER : Si un joueur est absent plusieurs mois, d’autres vont faire tout leur possible pour saisir leur chance et gagner leur place. C’est tout à fait normal. Un joueur n’y peut rien s’il est blessé, mais, s’il est indisponible de longs mois, c’est considéré comme quelque chose de négatif et les gros titres insistent sur le côté :  » Va-t-il revenir ?  » Son image en pâtit inévitablement. Je peux comprendre.

 » J’aime toujours participer au jeu  »

Comment faites-vous pour maintenir un degré de concentration important lors de certains matches de Bundesliga au cours desquels vous n’avez rien à faire tellement votre équipe domine son adversaire ?

NEUER : Il faut avant tout être au top physiquement et endurant. Il arrive souvent que mon premier arrêt n’intervienne qu’à quelques minutes de la fin de la rencontre. Il faut toujours être prêt, de la première à la dernière minute et j’y parviens plutôt bien.

Vous sortez souvent loin de vos seize mètres. C’est votre marque de fabrique ?

NEUER : Disons que j’aime toujours participer au jeu, anticiper les contres adverses, ce qui nécessite d’être focalisé sur la rencontre et d’avoir le bon timing dans mes sorties pour arriver sur le ballon avant l’attaquant adverse.

Les ballons sont-ils plus difficiles à capter aujourd’hui, sachant qu’ils ont parfois des trajectoires déconcertantes sur les frappes lointaines ?

NEUER : Je vois le ballon comme mon ami, pas comme mon ennemi. Si je devais penser de façon négative au ballon, je ne pourrais pas être aussi performant. Mais on s’entraîne avec tous les ballons possibles pour minimiser le risque qu’une trajectoire puisse me surprendre.

Que ce soit en club ou en sélection d’Allemagne, les défenseurs se renouvellent au fil des ans. N’est-ce pas compliqué de s’adapter, encore et toujours, à de nouveaux coéquipiers ?

NEUER : C’est un joli défi, comme cette saison avec les arrivées au Bayern de Benjamin Pavard et de Lucas Hernández. Avec Benji, j’échange en allemand et en anglais. Lucas est assidu pour apprendre l’allemand, mais il a encore besoin de temps. C’est un processus qui réclame de la patience. Nous peaufinons nos automatismes à l’entraînement et il nous faut échanger souvent avec des mots clés faciles à assimiler. Ça fonctionne plutôt bien.

 » Je ne ressens aucune pression quant à mon avenir  »

Comment vivez-vous la concurrence de plus en plus forte à votre poste au sein de la Nationalmannschaft ?

NEUER : La concurrence a toujours existé, ce n’est pas un phénomène nouveau. Lorsque je suis arrivé en sélection, j’étais la doublure de René Adler. Ce dernier s’est blessé pour de longs mois et j’ai su saisir ma chance pour être titulaire lors de la Coupe du monde 2010, en Afrique du Sud. Depuis, j’ai toujours su défendre mon statut de numéro 1. Dans son histoire, l’Allemagne a toujours été un pays qui possédait de grands gardiens avec une redoutable concurrence. Comme pour nos joueurs offensifs…

Travaillez-vous les penalties autrement qu’au début de votre carrière ?

NEUER : Je les travaillais déjà il y a une bonne dizaine d’années, mais là aussi, le recours à la vidéo nous permet d’être mieux préparés, d’en savoir davantage sur les tireurs adverses, d’aller plus en profondeur dans le détail.

Vos qualités techniques prouvent que vous auriez pu devenir joueur de champ. Quel aurait été votre poste favori ?

NEUER : Je me serais bien vu jouer devant la défense, dans l’axe. Avec ma taille ( 1,93 m, ndlr) , j’aurais aussi pu prétendre à une place en défense centrale, voire en attaque, mais surtout pas sur les ailes.

Avez-vous un plan de carrière avant de raccrocher les crampons ?

NEUER : Mon contrat au Bayern Munich court jusqu’en juin 2021. D’ici là, je veux donner mon maximum pour atteindre nos objectifs et enrichir mon palmarès. Je ne ressens aucune pression quant à mon avenir. Je suis zen. Je veux simplement continuer à évoluer au plus haut niveau le plus longtemps possible, tant que mon corps suivra. Tant que j’aurai le sentiment qu’on a besoin de moi, je continuerai.

Article d’Alexis Menuge issu de France Football

Fiche Manuel Neuer

Date et lieu de naissance 27 mars 1986, Gelsenkirchen (Ger)

Taille et poids 1m93, 92 kg

Carrière 2006-2011: Schalke 04 (Ger) Depuis 2011: Bayern Munich (Ger) Équipe nationale : 91 caps

Palmarès 7 Bundesligas (2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019)

5 Coupes d’Allemagne (2011, 2013, 2014, 2016, 2019)

4 Supercoupes d’Allemagne (2012, 2016, 2017, 2018)

1 Champions League (2013)

1 Supercoupe d’Europe (2013)

1 Coupe du monde des clubs (2013)

1 EURO espoirs (2009)

1 Coupe du monde (2014)

 » J’étais subjugué par le perfectionnisme de Guardiola  »

Entre 2013 et 2016, Pep Guardiola était votre entraîneur. Quelle influence a-t-il eu sur votre évolution ?

MANUEL NEUER : Nous avions régulièrement de longs échanges sur la tactique et la façon de sentir le jeu. C’était extrêmement enrichissant. Par rapport à sa philosophie basée sur la possession, mon rôle en tant que gardien était important, car j’étais le premier relanceur de l’équipe, celui qui amorçait les actions. Il était particulièrement exigeant et il n’y avait pas d’autre choix que d’être attentionné. J’étais parfois subjugué par son côté perfectionniste.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire