Le 4-4-2 est-il ringard ?

En attendant d’appliquer de nouvelles idées, les équipes de D1 développent souvent des animations de jeu archaïques.

« Quand un entraîneur parle trop de tactique, c’est qu’il a quelque chose à cacher « , avance Frédéric Waseige.  » On peut tenter de tout expliquer par des schémas mais, aussi importants soient-ils, tout passe d’abord par les hommes et les espoirs qu’ils placent dans une stratégie. Si la volonté n’y est pas, une équipe n’avance pas.  »

Mais parmi les faits intéressants de ce début de saison, on ne peut pas négliger le réveil du Standard qui est, indiscutablement, passé par un retour à deux attaquants axiaux et à un bon vieux 4-4-2 finalement assez classique. Ancien directeur de l’école des entraîneurs de l’Union belge, ex-scout du Standard, Frans Masson suit la D1 belge pour le compte de Feyenoord. Le 4-4-2 est-il vieillot ou dépassé ?

 » Avant, quand on allait au restaurant, la carte n’était pas toujours très fournie « , dit-il.  » A l’heure actuelle, le choix est plus vaste. C’est la même chose sur un terrain où une équipe peut varier son menu, commencer son match par un 4-4-2 et le terminer sur une note plus prudente, en 4-5-1. Pour moi, le 4-4-2 n’est pas poussiéreux ou dépassé et il ne faut pas en faire une photo figée. Il évolue en fonction des qualités des hommes et de leur dynamisme. Si les deux attaquants axiaux vivent toujours l’un à côté de l’autre, cela n’ira pas. « 

Ariel Jacobs partage ce point de vue :  » Le 4-4-2 garde sa modernité mais lui aussi est désormais à géométrie variable. Le principe de base est la mobilité. Les deux attaquants de pointe doivent se croiser, plonger et agir très vite. Dans ce système, on peut avoir une tour sur laquelle s’appuient son compère et les infiltreurs venus de la deuxième ligne.  »

Jacobs songe entre autres au duo Dieumerci MbokaniIgor de Camargo qui a vécu des heures de gloire à Sclessin :  » Mais que ce soit dans ce cas-là, ou en ce qui concerne d’autres interprétations tactiques, un des deux attaquants doit aussi avoir l’£il dans le rétro et décrocher. S’il ne le fait pas, son équipe perdra la bataille de la ligne, médiane. Or, c’est là qu’elle gagne ou perd la maîtrise des événements. S’il y a un surnombre de l’adversaire, les lignes de ravitaillement sont coupées et il n’y a plus de liaisons avec les attaquants.  »

Masson évoque la globalisation des systèmes :  » Tout est finalement assez proche. Pour moi, on part de trois systèmes : le 5-3-2 (3-5-2 en phase offensive, 4-5-1 en récupération), le 4-4-2 (qui se transforme en 4-5-1, 4-1-3-2, 4-2-3-1, etc.) et le 4-3-3 qui peut donner naissance au 3-4-3, 3-5-2…). Tout bouge tout le temps mais le 4-4-2 reste quand même le système de base le plus souple. Les missions sont claires. Les joueurs de couloirs assument un rôle important : déborder, centrer, se rapprocher des médians axiaux en cas de perte de balle. Le terrain est bien quadrillé et, finalement, le 4-4-2 est le propre des équipes offensives qui osent porter le jeu dans le camp adverse. Et, quand c’est le cas, quatre médians suffisent, même si c’est dangereux en cas de contres. Il y a le refrain des coaches à propos de l’animation du système ! C’est tellement vrai. On voit de tout en D1 belge. Une tendance négative se dégage : les animations sont archaïques. Il ne suffit pas d’aligner son équipe en 4-3-3 pour être offensif. Et c’est là que naît un des paradoxes. Je vois pas mal de 4-3-3 en D1 belge mais ces équipes jouent contre-nature : elles n’osent pas mettre le nez à la fenêtre alors que c’est la finalité du 4-3-3 ! Les ailiers ne rentrent pas dans le jeu et cela ne ressemble à rien. C’est peureux, défensif, peu ambitieux. Par contre, je suis épaté par le football de Trond Sollied : les Buffalos ne renoncent jamais aux grands principes de leur 4-3-3.  »

 » Le 4-4-2 est une arme comme une autre  » (Bernd Thijs)

Joueur au long cours, Bernd Thijs a connu toutes les occupations de terrain. Il a fêté ses débuts en D1 sous le maillot du Standard en 1995. Son coach de l’époque, Robert Waseige, était un adepte du 4-4-2. A Genk, le rouquin bossa derrière des duos d’attaquants. Le voici, à 33 ans, animateur d’un 4-3-3 qui fait la fortune de Gand. Pour lui, le 4-4-2 ne doit pas être jeté aux orties :  » C’est une arme comme une autre et le Standard prouve que cela peut convenir à certains. A Gand, on répète sans cesse ses gammes. Le travail est chouette car tout se fait avec ballon. A force de répéter, tout le monde sait ce qu’il faut faire en toutes circonstances. Nous nous trouvons les yeux fermés mais je suis persuadé qu’on peut atteindre la même qualité d’automatismes en 3-5-2 ou 4-4-2.  »

Frédéric Waseige rebondit :  » Trop de coaches changent souvent de philosophie. Quand on passe sans cesse d’un système de jeu à autre, c’est qu’on n’en a pas. C’est la soupe, personne n’y retrouve ses jeunes. Par contre, quand le cap est bien fixé, il n’y a pas de soucis d’automatismes. Il ne faut pas du tout négliger la pression des médias. Certains coaches y sont sensibles, c’est évident. « 

Est-ce le cas au Standard où la presse a exigé durant des semaines que les Rouches alignent un deuxième attaquant ?  » Il y a ce que vous voyez mais il y a aussi ce que vous ne savez pas et que je sais « , rétorqua un jour José Riga.  » Et il a raison : je suis persuadé que Riga, que je connais bien, avait ce 4-4-2 en tête mais ses armes n’étaient pas prêtes « , explique Masson.  » Le chantier était immense : nouvelle philosophie, une équipe à bâtir, un entrejeu new-look. C’est considérable et si Cyriac avait été opérationnel plus vite, je suis persuadé que Mémé Tchité n’aurait jamais vécu seul en pointe. Il fallait du temps pour la mise en place des nouvelles données. S’il en va ainsi pour Tchité-Cyriac, on peut en dire de même pour Jelle VanDamme et William Vainqueur qui ne se connaissaient pas. A deux, ils allient la technique et la puissance : c’est idéal au c£ur du 4-4-2 avec de la vitesse sur les ailes. Riga a été vite en besogne, je trouve, et le chemin parcouru a apporté d’autres leçons. Oui, le 4-4-2 est une des clés de la réussite de Riga mais s’il en était resté à un 4-4-2 pur et dur, il aurait eu des problèmes. Je m’explique : à Poltava, le Standard a forgé la différence en 4-4-2 mais a préservé son succès en 4-5-1. Au départ d’un 4-4-2, on peut être inventif et Riga l’est. Maintenant, je suis persuadé que les équipes du top de la D1 belge doivent présenter au moins deux attaquants dans le camp adverse, c’est ça qui compte.  »

C’est évidemment l’avis de Milan Jovanovic :  » J’aime autant le 4-4-2 que le 4-3-3, par exemple, si le but est de produire du jeu, d’attaquer. En D1, on a assez avec un médian défensif. J’ai un rôle assez libre, je peux perforer ou créer des brèches pour les autres. En partant du côté, je rentre dans le jeu et je suis quasiment un numéro 10. Le 4-4-2 offre une vaste palette de possibilités mais ce n’est pas toujours synonyme de beau jeu. Les clubs moyens de la Premier League ont leur version du 4-4-2 et le spectacle qu’ils proposent ne répond pas nécessairement aux attentes. Et quand on les compare à ce que propose Arsenal, par exemple, cela ne tient pas la route.  »

 » Dans tous les systèmes, c’est le talent qui est primordial  » (Milan Jovanovic)

Frédéric Waseige embraye :  » En D2 anglaise, toutes les équipes sont structurées en 4-4-2. Elles vont au combat et le duo d’attaquants est immuable : une tour et une fusée, dans le style Jan KöllerTomasz Radzinski. Pour les Anglais, c’est le rêve et leur 4-4-2 colle avec le kick and rush, le football spectaculaire. Norwich est arrivé en Premier League avec cet acquis et cela a marché. Les grands clubs coachés par des étrangers ont apporté la différence, la variété et c’est pour cela que le championnat anglais est ce qu’on fait de mieux au monde. Si la Premier League en était resteé au 4-4-2 généralisé, cette compétition n’aurait pas atteint le niveau actuel. Sans le 4-4-2 non plus et cela veut bien dire ce que cela veut dire : avant le système, il y a les hommes, leur talent, leur forme, leurs soucis, leur mental. Au Cercle Bruges, Bob Peeters a obligé Rudy à décrocher durant 90 minutes contre Anderlecht en lui expliquant qu’il aurait une ouverture, il a marqué durant le temps additionnel. La tête et les jambes, c’est décisif dans tous les systèmes.  »

Jova insiste sur la qualité des hommes :  » Dans tous les systèmes, c’est le talent qui est quand même primordial. Anderlecht a assez de talent pour jouer avec deux ou trois attaquants en D1. En ce qui concerne l’Europe, là, il faut être plus prudent, plus malin. Anderlecht l’est, le Standard aussi. « 

Georges Heylens parcourt les Pays-Bas et l’Allemagne en tant que scout de Lille. Et, contrairement à nos autres interlocuteurs, il condamne le 4-4-2 :  » C’est fini, le football a changé. Le 4-4-2 est simple mais trop prévisible. Je suis épaté par ce qui se passe en Allemagne. Le 4-1-3-2 est généralisé et offensif, c’est splendide. Jouer avec un 4-4-2 face à des 4-1-3-2, c’est du suicide parce que dans cette dernière occupation, en possession du ballon, on est toujours à cinq attaquants contre quatre défenseurs ! En Belgique, le Standard, Lokeren, Louvain, Courtrai et le Beerschot jouent souvent en 4-4-2 : c’est dépassé. Le 4-4-2 fait partie de la préhistoire du football, je n’y crois plus.  »

PAR PIERRE BILIC

 » Le 4-4-2 garde sa modernité mais lui aussi est désormais à géométrie variable  » (Ariel Jacobs)

 » A Poltava, le Standard a forgé la différence en 4-4-2 et l’a préservée en 4-5-1  » (Frans Masson)

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