LE 11 SEPTEMBRE BRÉSILIEN

Il y a un an, jour pour jour, à Belo Horizonte, le Brésil s’effondrait, victime d’un véritable attentat allemand sur la Coupe du monde. Aujourd’hui, la fumée a disparu mais les dégâts sont toujours apparents. Reconstitution d’une soirée surréaliste.

Wim Vos était l’un des rares journalistes belges présent à l’Estadio Mineirão en ce 8 juillet 2014. Un an plus tard, il n’a pas oublié cette demi-finale de Coupe du monde.  » Ce match Brésil – Allemagne est le plus incroyable auquel j’aie assisté en seize ans de journalisme « , dit-il.  » Personne, ni les supporters, ni les journalistes, n’était capable de comprendre ce qui se passait. Nous ne savions pas quelle attitude adopter. Certains pleuraient, d’autres riaient, d’autres encore regardaient fixement devant eux, comme paralysés. Je pense que je suis quelqu’un de raisonnable mais à 4-0, je n’ai quand même pu masquer mon étonnement.  »

 » Jusque-là, je me disais encore qu’il suffisait d’un but brésilien pour relancer le match mais à 4-0 en 25 minutes, j’ai compris qu’on allait assister à une soirée historique. Les Brésiliens attendaient beaucoup trop de leur équipe, qui n’était pas si forte que cela. De plus, les Allemands pratiquaient le meilleur football que j’aie jamais vu et les attaques se succédaient. Voilà comment on en est arrivé là.  »

 » A la mi-temps, c’était 5-0 et dans la salle de presse, presque personne ne parlait. On voyait que chacun était préoccupé par ce qu’il allait écrire. Mais l’ambiance restait sereine. Pas le moindre signe d’agressivité dans les tribunes, ni après le match en dehors du stade. Les Brésiliens étaient tout simplement paralysés. Comme tout le monde, ils avaient compris qu’ils venaient d’assister à un moment historique. Et tout le monde se mettait à la chasse de gobelets Coca Cola sur lesquels on pouvait trouver la date et le résultat du match.  »

Ce score de 7-1 est le plus élevé jamais atteint au cours d’une demi-finale de Coupe du monde mais aussi la défaite la plus importante de la Seleção, qui n’avait plus perdu de match officiel à domicile depuis 1975. Perdre par trois ou quatre buts d’écart, passe encore. Mais encaisser sept buts ? Pouvait-on encore parler de jour sans ou y avait-il autre chose ?

En 1998, en France, le Brésil s’était incliné 3-0 face à ZinédineZidane et Cie. Après le match, on avait appris que Ronaldo avait été victime d’une crise d’épilepsie à quelques heures du coup d’envoi mais que, sur l’insistance de Nike, sponsor de l’équipe, on l’avait tout de même aligné. Ronaldo avait été aux abonnés absents et le Brésil n’avait pas existé.

Après le match de Belo Horizonte, on n’a pas eu droit à ce genre d’explication. Et un an plus tard, la conclusion est évidente : c’était la mort annoncée du joga bonito brésilien.

Les gaffes de Scolari

Avant même le début de la Coupe du monde, les doutes étaient nombreux, au Brésil. L’équipe n’avait plus joué de match officiel depuis longtemps, l’organisation de l’épreuve et les coûts que celle-ci allait engendrer pour les citoyens avaient suscité une immense polémique dans le pays, la sélection manquait de talents offensifs et le fantôme de la défaite face à l’Uruguay en 1950 planait toujours sur le Maracanã. La pression était donc énorme sur des joueurs qui voulaient offrir à la population un sixième titre mondial.

Tous les espoirs reposaient sur les jeunes épaules de Neymar Jr. Agé de 22 ans à l’époque, l’attaquant fit tout de suite preuve de classe et de personnalité en se montrant décisif malgré le poids des responsabilités. Le Brésil ne jouait pas bien mais ses quatre buts et ses deux assists lui permettaient de sortir des poules et d’éliminer le Chili en huitièmes de finale.

Lors du match suivant, cependant, le destin frappait l’artiste : le défenseur colombien Juan Zuniga lui plantait son genou dans le dos et lui cassait une côte. Le Brésil s’imposait aux tirs au but mais le mal était fait. Au cours des jours suivant ce match, on évoquait à peine la demi-finale face à l’Allemagne. Seule la blessure de Neymar retenait l’attention.

Les premiers signes d’angoisse se faisaient sentir. Pour la première fois en 27 matches, le Brésil allait devoir se passer de sa star pour affronter l’équipe la plus crainte au monde : l’Allemagne. De plus, il était privé de son capitaine, Thiago Silva, qui avait pris sa deuxième carte jaune à cause d’une bête obstruction sur le gardien colombien David Ospina.

Tout le monde se demandait comment Felipe Scolari, qui n’a pas la réputation d’être un grand tacticien, allait résoudre cette équation. La plupart des consultants lui suggéraient de renforcer l’entrejeu en alignant Gustavo, Paulinho et Fernandinho dans l’axe. Pas des footballeurs racés mais des joueurs disciplinés et enthousiastes capables de dérégler la machine allemande.

Devant, Oscar, Fred et Hulk n’avaient qu’à tirer leur plan. Une autre option consistait à conserver l’équipe de base en remplaçant Neymar par Willian, moins fort face au but mais doté d’un bon sens tactique et expérimenté puisqu’il jouait en Europe.

Mais Scolari, voulant miser sur l’effet de surprise, faisait plutôt appel à Bernard, un petit ailier qui n’avait pratiquement pas joué jusque-là. Son atout : il était né à Belo Horizonte et serait donc soutenu par tout l’Estádio Mineirão. Scolari voulait bluffer les Allemands en mettant la pression. Les joueurs allaient toutefois reconnaître par la suite qu’ils n’avaient que très peu travaillé cela à l’entraînement.

Scolari avait réservé une autre surprise : il n’avait pas confié le brassard de capitaine à son gardien, l’expérimenté Julio Cesar, mais bien au défenseur David Luiz, profondément croyant et très combatif mais loin d’être indiscutable. Pas très stable sur le plan émotif, non plus, il pleurait souvent en entendant l’hymne national. Au fil du match, ces décisions du sélectionneur s’avéraient fatales.

Chronique d’une mort annoncée

8 juillet 2014, Belo Horizonte, 16 h 55 heure locale. L’hymne national brésilien retentit. David Luiz et Julio César exhibent un maillot de Neymar. Le public, les joueurs et le staff hurlent d’émotion.

Paulo Conde, journaliste à la Folha de São Paulo, le plus grand journal brésilien, trouve ça ridicule.  » Un an plus tôt, lors de la Coupe des Confédérations, l’hymne national était un avantage mais ici, c’était un handicap « , dit-il.  » Les joueurs se sentaient responsables du bonheur de 200 millions de Brésiliens, cela les paralysait.

Leurs larmes et la façon dont ils chantaient trahissaient leur stress. Scolari avait certes fait appel à sa psychologue de confiance, Regina Brandão, mais elle n’avait manifestement pas pu faire passer son message. L’équipe n’abordait pas ce match dans un bon état d’esprit.  »

17 heures, l’Allemagne donne le coup d’envoi. Le Brésil montre d’emblée ses intentions offensives et tente de presser haut. Après deux minutes, il se crée une première opportunité mais le tir croisé de Marcelo passe à côté. Quatre minutes plus tard, Sami Khedira se crée une occasion énorme mais sa superbe volée heurte Miroslav Klose. Le duel s’annonce ouvert.

Onzième minute : corner pour l’Allemagne. Tony Kroos expédie le ballon au point de penalty et Thomas Müller se présente seul devant le but. La phase a été répétée à l’entraînement mais David Luiz est totalement absent au marquage.

 » Après ce but, l’équipe s’est complètement effondrée et tous ses points faibles ont été mis à nu « , dit Paulo Conde.  » Nous ne disposions pas d’atouts offensifs comme Romario, Bebeto, Rivaldo, Ronaldo ou Ronaldinho, qui pouvaient renverser la vapeur en un éclair lorsque nous étions menés.  »

23e minute : une belle combinaison au coeur de la défense brésilienne permet à Klose de se retrouver seul devant le but et conclure en deux temps (0-2). C’est le seizième but en Coupe du monde de l’Allemand, qui bat ainsi le record de Ronaldo au Brésil. Tout un symbole. Ensuite, tout s’enchaîne.

24e minute : nouvelle action sur le flanc droit, où Philipp Lahm et Mesut Özil se jouent complètement du duo Bernard-Marcelo. Kroos reprend d’une volée du pied gauche et inscrit son premier but du tournoi (0-3).

26e minute : Fernandinho perd bêtement le ballon à 30 mètres de son but. Kroos part en une-deux avec Khedira et fait 0-4. Le rêve brésilien s’écroule pour de bon et, dans les tribunes, les premières larmes coulent.

29e minute : Mats Hummels sort de sa défense. Il sert Özil qui isole Khedira (0-5). David Luiz est complètement hors du coup. Les Brésiliens sont trop courts dans tous les secteurs du jeu.

Fuite en avant et page noire

Mi-temps : certaines personnes quittent déjà le stade. Elles craignent l’émeute mais il n’en sera rien.  » Le hooliganisme et le fanatisme, c’est seulement lors des matches de club « , dit Conde.  » Il ne faut pas oublier non plus que les tickets pour la demi-finale étaient relativement chers et que l’assistance était donc plutôt composée de bobos et de citoyens aisés. Jamais nous n’avons craint que cela dégénère.  »

Scolari renforce son entrejeu en faisant entrer Ramires et Paulinho à la place de Hulk et Fernandinho. Il reconnaît ainsi implicitement son mauvais choix tactique. Les Allemands, eux, n’effectuent qu’un changement : Per Mertesacker remplace Hummels, blessé. Mais le match ne change pas, l’Allemagne continue à se jouer du Brésil.

A la 51e minute, Manuel Neuer effectue certes encore un brillant arrêt devant Oscar et, une minute plus tard, il intervient sur un envoi de Paulinho. La Seleção n’y croit plus : dès qu’elle s’approche du but adverse, elle trouve un géant entre les perches.

69e minute : Lahm centre à ras-de-terre et André Schürrle, qui vient d’entrer au jeu, fait 0-6. Les supporters brésiliens huent leur propre équipe.

79e minute : Schürrle s’infiltre sur la gauche et bat, de son « mauvais » pied, un César abasourdi (0-7). Même les fans brésiliens applaudissent les Allemands, transformant ainsi leur désarroi en admiration et en humour.

90e minute : Oscar sauve l’honneur en ponctuant une action individuelle. Neuer et ses défenseurs sont furieux, ce qui dit tout de la mentalité affichée par les Allemands. Ceux-ci se sont pourtant montrés sympas après le 0-5 car ils n’ont pas appuyé sur l’accélérateur et ils n’ont pas célébré leurs buts de façon trop expansive.

 » Au repos, nous avons décidé de rester sérieux et disciplinés. Il était important de respecter l’adversaire et de ne pas commencer à faire n’importe quoi « , explique Hummels.

Lors de la conférence d’après-match, Scolari opte pour la fuite en avant en présentant sa démission. Au sein des rédactions, on prépare des éditions spéciales dont les titres à la Une sont  » Tragédie  » ou  » Humiliation « . Un journal opte même pour une page noire sans le moindre mot.

Le 8 juillet 2014 est le 11 septembre brésilien, le symbole de la chute d’une nation qui ne vit que pour le football. Au lendemain de ce match historique, pratiquement tous les drapeaux et les maillots ont disparu des rues. Il ne reste que la honte. Et les questions.

 » Le plus grand drame de cette demi-finale, c’est qu’on n’a pas tiré les leçons de la défaite « , dit Paulo Conde un an plus tard.  » Le football brésilien a touché le fond, cela aurait pu servir de catalyseur à une nouvelle ère et à une renaissance mais les mêmes problèmes refont surface et ça, c’est terriblement décevant.

Les raisons de l’échec sont plus profondes que les erreurs tactiques de Scolari. La fédération est mal gérée, il n’y a pas de vision, pas d’entraîneurs de haut niveau, la confiance entre les joueurs et les fans est rompue. Aujourd’hui, l’équipe nationale génère même une certaine indifférence.  »

Rio 2016

 » Après la Coupe du monde, nous espérions tous l’arrivée d’un coach étranger qui fasse souffler un vent nouveau. Les Brésiliens sont arrogants lorsqu’ils parlent de football, nous croyons toujours que nous proposons le plus beau jeu du monde mais ce n’est plus le cas depuis longtemps.

Le football a changé de façon spectaculaire au cours des dix dernières années. Il ne suffit plus de mettre un ou deux adversaires sous l’éteignoir et de compter sur quelques individualités. Les grandes équipes actuelles sont des machines. Avec Dunga aussi, le Brésil produit un football horrible et dépassé. Rien n’a changé.  »

Pour lui, il est urgent de faire le ménage. Le Brésil mise à présent tout sur les Jeux olympiques 2016, où Neymar sera capitaine et doit conduire à la Seleção à un premier titre olympique.  » J’espère que, dans un an, vous ne me poserez pas les mêmes questions et que je ne devrai pas vous répondre la même chose « , sourit Paulo Conde.

PAR MATTHIAS STOCKMANS

 » Cette gifle aurait pu servir de catalyseur à une nouvelle ère mais les mêmes problèmes refont surface et ça, c’est terriblement décevant.  » Paulo Conde, journaliste sportif brésilien

Ce 1-7 est le score le plus élevé jamais atteint au cours d’une demi-finale de Coupe du monde et aussi le revers le plus cinglant enduré par la Seleção.

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