« LE 1-7 DÉFINITIVEMENT OUBLIÉ ? VOUS ÊTES FOU ? « 

Un troc séculaire, un Hollandais Volant qui s’écrase au sol, les larmes d’une lutteuse japonaise, une photo légendaire d’Usain Bolt et la (mini-)vengeance de la Seleção. Troisième partie de notre aventure au coeur des Jeux.

« N’en parle pas à Jolien, hein « , avait dit le Docteur Ruud Van Thienen au mécanicien Ken Ilegems. Il espérait que dans l’euphorie de sa médaille de bronze, D’hoore aurait oublié ce qu’ils avaient convenu. Mais lors de la fête de l’équipe de cyclisme sur piste, D’hoore lui a rappelé : en cas de médaille, le doc’ avait promis de lui donner la trentaine de pins collectés au cours des Jeux. D’un côté, il le faisait avec plaisir mais de l’autre, c’était un fameux sacrifice car il avait mis du temps à les obtenir. Il n’était pas le seul : nous avons vu des dizaines d’athlètes, officiels, spectateurs et volontaires échanger des pins fabriqués par les pays participants ou les organisateurs. En l’absence de Pokemon Go, toujours pas disponible au Brésil, c’était un peu le 43e sport olympique… même si le pins le plus recherché était celui avec un Pokemon.

SHIATSU CONTRE LE STRESS

Tout aussi irrésistible pour les athlètes après la compétition : le McDonald’s de la zone mixte. Plus les Jeux avancent, plus la file s’allonge. C’est d’ailleurs le seul vrai  » restaurant  » de la chaîne de fast-food sur l’ensemble des sites olympiques. Il y a bien des stands mais ceux-ci vendent uniquement de la crème glacée, une tradition au Brésil à laquelle McDonald’s voulait s’en tenir, à la colère des nombreux journalistes américains (et pas seulement eux) qui en ont marre des buffets médiocres proposés par les hôtels des médias.

Au fil des jours, les valises sous les yeux des collègues grandissent également. Certains s’endorment même sur leur ordinateur en pleine journée tandis que l’un d’entre eux fait une heure de bus supplémentaire parce qu’il a raté son arrêt. La salle de shiatsu du centre des médias, où les journalistes peuvent se faire masser pour chasser le stress et soulager leur nuque, a également de plus en plus de succès.

Les stades, par contre, restent en bonne partie inoccupés. Pas seulement dans les petits sports comme le taekwondo puisque, même lors de la finale du basket entre les stars de NBA américaines et l’Espagne, seuls 75 % des sièges ont trouvé acquéreur. A la piscine olympique et au stade d’athlétisme aussi, le taux d’occupation est désespérément bas, même lors des finales de Michael Phelps et Usain Bolt.

C’était dû au fait que les lots de tickets réservés pour les étrangers n’ont pas été vendus en raison des informations négatives circulant avant les Jeux ou parce qu’ils sont obligatoirement vendus par packages, ce qui les rend beaucoup trop chers. C’est la raison pour laquelle nous avons vu très peu de supporters belges, hormis des membres de la famille d’athlètes qui ont dépensé une petite fortune pour venir encourager leur fils ou leur fille. Pour une semaine à Rio, les parents de Louis Croenen ont ainsi engagé  » le prix d’une petite véranda « , n’obtenant qu’un ticket avec vue sur un pilier. Heureusement, comme de nombreux sièges sont vides, ils ont pu s’asseoir ailleurs.

Les Jeux n’excitent pas, non plus, le public brésilien, effrayé par les prix élevés (surtout par rapport à leur salaire), des horaires illogiques et, surtout, le trafic congestionné. Et ils en veulent chaque jour un peu plus aux personnes accréditées, notamment les journalistes, de pouvoir emprunter les Olympic lanes. Nos excuses, chers amis brésiliens…

GRAND DANS LA DÉFAITE

Les seules compétitions auxquelles ils sont relativement présents en masse sont celles où des Brésiliens ont des chances de médaille, comme lors des finales aux agrès en gymnastique, avec Francisco Barreto à la barre fixe. Les journalistes néerlandais et moi, nous ne sommes là que pour un homme : Epke Zonderland, le Hollandais Volant qui avait enchanté Londres d’une prestation éblouissante mais qui, mardi dernier, après une préparation perturbée par les blessures et les chutes – il était encore tombé à l’échauffement – était beaucoup moins en confiance.

La veste de training posée sur ses épaules à l’instar d’une cape, on aurait dit qu’il essayait de se convaincre qu’il pouvait à nouveau voler. Fly Epke, Fly pouvait-on lire sur une banderole dans le clan orange.  » Cette épreuve doit constituer, avec le 200 m. de Daphne Schippers, le point culminant des Jeux pour les Pays-Bas « , nous disait un confrère de la NOS.

Mais dès le deuxième exercice, le Frison s’écrase le visage au sol et reste étendu les mains écartées, comme s’il voulait s’enfoncer dans le tapis. Le public se tait, le speaker aussi, le commentateur néerlandais Hans van Zetten se prend la tête et quelques journalistes hollandais pleurent. Zonderland, lui, ne bronche pas : il reprend son exercice. Très bien, cette fois, avec la finesse et la grâce qui le caractérisent.

Malgré la chute, il est très sûr de lui. Grand dans la perfection à Londres, il est grand dans la défaite cette fois. Après l’épreuve, il félicite sincèrement les médaillés. Il a perdu une deuxième médaille d’or mais il a forcé le respect et conquis (encore un peu plus) le coeur des fans.

Des fans, Kaori Icho en compte des millions au Japon, où elle est une véritable star. Invaincue de 2003 à janvier 2016, elle a été dix fois championne du monde et trois fois championne olympique. A Rio, elle peut entrer dans la légende en devenant la première femme à décrocher une quatrième médaille d’or consécutive. Comme je ne veux pas manquer ce moment historique et bien que je n’y connaisse rien en lutte, je m’installe dans la tribune de la Carioca Arena 2 qui doit avoir la rougeole car on n’y voit que des points rouges (sur des drapeaux blancs).

Les fans japonais se font presque hara kiri lorsque la Russe, qui n’a fait que tirer sur le froufrou d’Icho, prend l’avance et semble devoir créer l’exploit. Mais à quelques secondes de la fin, ne me demandez pas comment, Icho inscrit deux points décisifs (3-2). Ses compatriotes sont hystériques : les fans pleurent, les photographes s’accumulent comme des touristes japonais devant la statue du Manneken Pis tandis qu’Icho se rend dans la tribune pour aller chercher un portrait de sa grand-mère, décédée l’année dernière, et le serrer contre sa poitrine musclée.  » J’ai senti sa présence pendant le combat, c’est elle qui m’a donné les deux derniers points « , dit Icho en pleurant. Le genre d’histoire qui confère de la magie aux Jeux olympiques.

BOLT, C’EST QUI ?

Chaque soir, c’est la fête à la Holland House qui jouxte le plan d’aviron de Rodrigo de Freitas, à moins de deux kilomètres de mon studio de Copacabana. Je peux donc facilement m’y rendre avec mon vélo de location… orange. Ce mardi soir, les Red Lions ont éliminé les hockeyeurs néerlandais en demi-finale tandis que JolienD’hoore a décroché la médaille de bronze. C’est donc la tête haute que je pénètre dans l’enceinte, même si un groupe de supporters de hockey me remet tout de suite à ma place :  » Au cours des 100 dernières heures, nous avons décroché sept médailles d’or : c’est plus que la Belgique depuis 1996.  » Que voulez-vous que je réponde ?

Le contraste avec le luxueux Club Monte Libano, où les Néerlandais vont danser tous les soirs, est saisissant. Nous sommes dans le quartier du stade olympique. Les favelas sont à cinq kilomètres de là mais on se croirait dans un quartier glauque américain rempli de graffitis. Comme on est proche de l’entrée du centre des médias, 114 militaires lourdement armés – je les ai comptés – protègent les journalistes. Les habitants semblent pourtant inoffensifs. Chaque soir, on entend de la samba en provenance d’un café dont les murs sont ornés de photos des stars du foot brésilien.  » L’athlétisme ? Usain Bolt ? C’est qui ? Jamais entendu parler « , disent les clients en buvant et en dansant.

Après la finale du 4 X 100 mètres, j’ai rendez-vous dans la zone mixte avec Ricky Simms, le manager irlandais de la star jamaïcaine.  » Là, j’aurai beaucoup de temps. Je dois tout de même attendre qu’Usain ait terminé de donner des interviews « , nous a-t-il dit. Suite à un coup de téléphone urgent, nous avons pu lui parler 4 minutes et 12 secondes. Deux questions, deux réponses : que fera Bolt après sa carrière ?  » Il aimerait jouer à Manchester United (il rit) mais je crois qu’il va plutôt devenir ambassadeur de l’athlétisme et de ses sponsors, éventuellement consultant. Il est très à l’aise devant les caméras.  »

Comment décrirait-il l’homme qui se cache derrière la star ?  » Qu’il soit face à deux ou à cent mille personnes, Usain se comporte toujours de la même façon. S’il se promène dans la rue et qu’il voit un groupe d’enfants, il s’arrête et distribue des autographes. Je pourrais me targuer du fait que c’est un showman accessible et sympathique mais il est comme cela. Il tente d’être irréprochable, respectueux et généreux, des valeurs que ses parents lui ont inculquées. Il est parfois même trop gentil et il n’imagine même pas à quel point il est célèbre.  »

MIL GOLS

Ce n’est pourtant pas difficile quand on voit combien la salle de presse fait le plein lorsqu’il vient s’exprimer après une nouvelle médaille d’or, même s’il est une heure du matin comme ce soir-là.  » Quand j’aurai pris ma retraite, le public va me manquer mais pas ceci : je l’ai déjà fait 500 fois « , rigole le Jamaïcain qui était entré dans la salle en dansant.

Après la conférence de presse, il rend un photographe heureux en lui donnant un autographe : Cameron Spencer de Getty Images a pris la photo (devenue légendaire) de Bolt se retournant avec le sourire à l’issue des demi-finales du 100 mètres.  » Il est fantastique à photographier parce qu’avec lui, on peut toujours s’attendre à quelque chose d’inattendu « , dit Spencer.

 » C’est pourquoi je me suis posté à la ligne des 70 mètres plutôt qu’à l’arrivée. Avec Usain, il faut parfois prendre des risques et on en est récompensé. Lorsque j’ai déclenché, j’ai bien vu qu’il souriait mais ce n’est qu’après avoir envoyé mes photos à la rédaction et lorsqu’elle s’est retrouvée sur les réseaux sociaux dix minutes plus tard que j’ai compris qu’elle était aussi belle.  »

Si les noms de Bolt et Phelps disent à peine quelque chose aux Brésiliens, leur coeur se met à battre au moment de la finale du tournoi de football. Le Brésil y rencontre l’Allemagne, le pays qui lui a infligé la pire déroute de son histoire en demi-finale de la dernière Coupe du monde (1-7).

Avant cette finale, les Brésiliens sont malgré tout très enthousiastes. Pendant tout le trajet en métro et à pied jusqu’aux portes du Maracaña, des milliers de supporters crient : « Mil gols ! Mil gols ! Só Pelé ! Só Pelé ! Maradona cheirador !  » Traduction libre : « Mille buts ! Mille buts ! Seulement Pelé ! Seulement Pelé ! Maradona n’est qu’un sniffeur !  »

O REI NEYMAR

Dans le stade, j’ai l’impression que mon vaccin contre la fièvre jaune n’a servi à rien : cette fois, les 80.000 sièges sont occupés – les stewards, pourtant si rigoureux jusque-là, autorisent même les spectateurs à s’asseoir sur les marches – et pratiquement tous les journalistes accrédités pour les Jeux semblent être présents.

A la 27e, Neymar expédie de façon magistrale un coup franc en pleine lucarne. Pour la première fois depuis le début des Jeux, les supporters brésiliens font sauter le mur du son. Par la suite encore, ils continuent à nous casser les oreilles avec leurs chants et leurs « oooh » à chaque fois qu’un joueur local, particulièrement Neymar, réussit une prouesse.

Après la pause, le temple du football se transforme en bibliothèque lorsque Max Meyer égalise. Mais vingt secondes plus tard, on entend de nouveau Brazil ! Brazil. Les démons de 1950 (défaite face à l’Uruguay en finale de la Coupe du monde) et 2014 semblent pourtant planer au-dessus du Maracãna car le deuxième but ne tombe pas au cours des prolongations non plus. Lors des tirs au but, un mélange d’espoir et d’angoisse parcourt le stade jusqu’à ce que l’Allemand Nils Petersen manque son penalty et que Neymar transforme le sien, devenant le sauveur de la sélection.

La joie qui s’ensuit est indescriptible et ne peut s’apprécier qu’en photo. Je comprends plus que jamais combien le sport peut mobiliser les foules. Même des journalistes américains rompus aux Jeux disent qu’ils n’ont jamais vu une meilleure ambiance et entendu autant de bruit au cours d’un match.

Une question me brûle les lèvres : cette victoire efface-t-elle le scandale de 2014 ? Je la pose à Gian Amato, journaliste de O Globo, le plus grand quotidien brésilien.  » Vous êtes fou ? Cette victoire est fantastique car elle comble une lacune à notre palmarès mais, malgré la joie de mes compatriotes, elle ne pourra jamais faire oublier le 1-7. Comme les vieux se rappellent de la défaite en finale en 1950, la génération actuelle portera encore dans cinquante ans la cicatrice de cette punition. La seule façon de la faire disparaître serait de remporter une sixième Coupe du monde en battant l’Allemagne en finale. Et 8-1 si possible !  »

PAR JONAS CRETEUR À RIO – PHOTOS REUTERS

 » Au cours des 100 dernières heures, nous avons décroché sept médailles d’or : c’est plus que la Belgique depuis 1996.  »

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