LAVER SON LINGE SALE EN PUBLIC

Pourquoi cela gronde-t-il en tribunes ? Pourquoi Luzon et Duchâtelet sont-ils au centre des revendications ? Comment Duchâtelet a-t-il divisé les supporters ? Enquête.

Le scénario n’avait rien de plaisant. Un match européen piège dans un stade que l’on peut qualifier de vide aux normes de Sclessin (8800 spectateurs), suivi d’un déplacement délicat sur les terres de Waasland-Beveren. Pourtant, à l’ombre d’une contestation grandissante, les hommes de Guy Luzon sont allés accrocher deux victoires. Les deux fois, on ne retiendra que la victoire, tant, à plusieurs reprises, la Roche Tarpéienne fut proche du Capitole. Que ce soit contre Rijeka ou à Waasland, les premières mi-temps furent insipides, inodores et incolores avant un léger sursaut lors du deuxième acte. Les deux fois aussi, l’adversaire a davantage marqué par sa faiblesse que par son talent. Mais les deux fois, le Standard est reparti avec sa cage inviolée, élément oh combien important après les raclées du début de saison.  » Il fallait avant toute chose retrouver une organisation défensive « , expliquait Ivan Vukomanovic, l’entraîneur adjoint du Standard. L’avenir nous dira si le Standard y est définitivement parvenu, les trous existant toujours et le positionnement de certains paraissant encore relever parfois de l’approximation.

Ces deux victoires ont toutefois enlevé un peu de pression des épaules de l’entraîneur israélien, dont les gestes ressemblaient à un remerciement après le but de Paul-José Mpoku au Freethiel. Mais elles n’ont certainement pas rassuré complètement un public atteint par un sentiment de ras-le-bol manifeste et conscient des carences et de la pauvreté du jeu actuellement délivré. L’ambiguïté du comportement de Luzon envers l’Europa League a conduit à un boycott massif du premier match de cette compétition, pourtant prisée historiquement par les fans liégeois.  » Il ne fallait pas nous prendre pour des imbéciles, non plus. On ne va pas payer alors qu’on nous a trompé sur la marchandise l’année passée « , nous expliqua un abonné qui n’a pas voulu prendre d’abonnement pour les trois matches européens.  » Comme Roland Duchâtelet est avant tout un businessman, pour manifester notre mécontentement, on veut toucher là où ça lui fait mal : à son portefeuille « , ajoute un autre défenseur du boycott.

Pro et Anti-Duchâtelet

Pour comprendre ce public, il faut remonter aux sources de la contestation. En juin 2013.  » Comme un baroud d’honneur dans sa volonté de se faire aimer, Roland Duchâtelet a donc rendu le pouvoir aux supporters « , écrivions-nous le 3 juillet 2013 suite à la décision du président d’entamer le processus de vente du club après la révolte populaire du mois de juin. Comme nous, les supporters ont cru à un départ, à une victoire dans ce bras de fer qu’ils avaient initié avec l’homme fort du Standard. Force est de constater qu’en un an, Duchâtelet a renversé le rapport de force, remettant ses projets de départ à la prochaine fronde et rétablissant progressivement un dialogue avec la Famille des Rouches, dialogue dont la seule condition consistait au bannissement des leaders de la révolte du mois de juin 2013, Louis Smal que Duchâtelet a toujours considéré comme un espion à la solde de Luciano D’Onofrio, et Didier Stevens.

Servi par des résultats positifs, Duchâtelet a donc su calmer le peuple rouche, selon la devise latine  » divide et impera  » (diviser pour régner). Un an plus tard, et alors que la crise couve du côté de Sclessin, après un début de championnat médiocre, les travées sont divisées entre les pacifiques (que certains qualifient de Pro-Duchâtelet) et les frondeurs (les Anti-Duchâtelet). Le malaise et la méfiance vis-à-vis du président du Standard sont tels que cela tourne parfois à la paranoïa, la plupart de nos interlocuteurs rechignant à dévoiler leurs noms pendant que d’autres refusaient de nous donner leur avis de peur d’aller trop loin !

Contre Rijeka, en Europa League, le stade sonnait creux.  » Avant les deux titres, le public était principalement composé de fanatiques, des gens qui planaient après trois victoires et initiaient une révolution après trois défaites « , explique un ancien membre de la Vieille Garde, mouvement de supporters emblématique.  » On s’enflammait pour une défaite ou une victoire. Il n’y avait pas de juste milieu, certes, mais on parlait d’une même voix. Aujourd’hui, il y a trop de factions différentes.  »

La Famille des Rouches manipulée ?

Il y a d’abord ceux qui estiment qu’on ne peut pas mener une révolution comme celle de juin 2013 tous les ans. Pour eux, une telle manifestation, si elle veut marquer les esprits, ne peut avoir lieu trop souvent. Ces pacifiques privilégient le dialogue avec le président afin que les supporters aient plus de pouvoir et de considération au sein du club. Se joignent à cette faction ceux qui étaient tellement dégoûtés de Lucien D’Onofrio, que tout autre personnage leur semble bon.

Tant que les résultats suivaient, cette politique prenait le dessus. Mais depuis que cela coince, les Anti-Duchâtelet se font de plus en plus entendre. Les Ultra Infernos mènent le combat à chaque match. Ils ont refusé d’intégrer La Famille des Rouches, l’organe qui représente les supporters auprès de la direction, et veulent à tous prix conserver leur indépendance. Ils ne prennent jamais le pouls des autres clubs de supporters avant de mener une action mais, au final, représentent souvent la tendance générale qui aujourd’hui focalise toutes ses frustrations sur Duchâtelet et Guy Luzon. Même la Famille des Rouches, reconnait que ces revendications se généralisent.  » On ne peut pas nier que la plupart des supporters sont aujourd’hui mécontents « , explique Magali Pignolet, nommée récemment au conseil d’administration du Standard comme représentante de la FDR.

Aujourd’hui, la FDR est au centre de beaucoup de critiques, coupable selon certains de s’être fait manipuler par Duchâtelet. Leur communiqué du mois de juillet, qui prônait la patience et la temporisation, et paru sur le site du Standard, n’a fait que renforcer cette image.  » Je reconnais qu’il était tempéré « , avoue Pignolet,  » et peut-être n’a-t-il pas été fait avec la hargne qu’on nous connaît mais dans notre esprit, nous ne sommes pas Pro-Duchâtelet. Mais on doit bien admettre que c’est lui le boss. C’est donc lui qui donne les autorisations à nos projets. On doit composer avec lui. Pour organiser les déplacements européens, à un moment donné, il faut bien passer par le Standard. Je ne suis pas toujours d’accord avec lui mais il faut arrondir les angles. On ne peut pas toujours avoir des conflits avec le président du Standard ! Cela ne veut pas dire que nous sommes des moutons. Je suis la première à reconnaître que nous avons atteint une limite lors de notre défaite contre Ostende et que je sens la tension monter.  »

Le feu sous la brande

Les joueurs sont quelque peu épargnés par la vindicte populaire. Au contraire de Duchâtelet et de Luzon. Depuis le départ de Jean-François de Sart, il n’y a plus de paratonnerre au-dessus de Luzon et Duchâtelet. Et comme le président ne veut pas parler (même s’il tente de faire passer ses idées en off auprès de certains journalistes triés sur le volet), les supporters ne peuvent s’en référer qu’aux conférences de presse de Luzon ou au site officiel du club, tous deux bien pauvres en émotion. Ce silence permanent donne l’impression aux supporters d’être délaissés, et surtout il désincarne complètement Duchâtelet et Luzon. Or il est toujours plus facile de s’en prendre à des personnes inaccessibles qu’à des personnes que l’on perçoit proches et humaines.

 » Il y a un gros manque de dialogue avec Luzon « , affirme Pignolet.  » La barrière du langage fait beaucoup. Au sein des supporters du Standard, peu de gens parlent anglais et lui ne fait aucun effort pour parler français. Depuis le début, on sent qu’il n’a pas capté l’esprit Standard. Quand, après l’élimination en Ligue des Champions, et même s’il change d’avis quelques jours plus tard, il dit qu’il va tout mettre sur le championnat, il se fout de la gueule des gens qui vont aller voir les matches du jeudi.  »

D’autres raisons se cachent également derrière la désaffection du public pour son coach.  » Il faut bien avouer que depuis l’arrivée de Luzon, il y a eu des résultats mais on n’a rien vu sur le terrain. L’année passée, on est vice-champion en jouant réellement bien pendant un mois ! « , ajoute un abonné. A cela s’ajoute sa proximité avec Duchâtelet mais également avec son agent Dudu Dahan dont le public se méfie de l’influence.

Quant à Duchâtelet, on sait depuis juin 2013 qu’il est en répit auprès des supporters. Ce public populaire n’a jamais digéré le transfert de 20 millions d’euros du Standard à sa société Elex.  » Quand il dit que le déficit d’exploitation de 10 millions d’euros ne l’inquiète pas car il est prêt à prêter de l’argent s’il faut en réinjecter, ça me fait rire. Il prend 20 millions dans les caisses et puis, il dit qu’il va prêter en s’octroyant les intérêts derrière ! Une façon de prendre deux fois l’argent ! « , ajoute cet ancien membre de la Vieille Garde.

En dehors de son discours financier, les travées lui reprochent sa gestion sportive. Pourquoi ne pas avoir préparé plus tôt les départs de William Vainqueur et Michy Batshuayi ? Pourquoi avoir attendu fin août pour muscler le noyau ?

Les deux victoires ont donné du répit au duo contesté mais elles n’ont pas supprimé la contestation. Seul un enchaînement de victoires, ultime preuve d’une politique de recrutement intelligente, pourrait y arriver. Quant à Luzon, une performance sur la scène européenne gommerait à coup sûr une partie des malentendus existant entre lui et le public.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » Quand il dit qu’il va prêter de l’argent s’il le faut, il s’octroie les intérêts derrière !  » Un ancien de la Vieille Garde

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