Latino tranquilo

Le jeune gardien uruguayen exerce son métier sans se préoccuper du reste. Il dégage de plus en plus d’assurance.

Il est jeune. Et même très jeune, pour un gardien. A 23 ans, beaucoup de ses collègues sont déjà heureux lorsqu’ils peuvent s’asseoir sur le banc et apprendre le métier au contact d’un équipier expérimenté. Lui, il est international et il a déjà participer à une Coupe du Monde dans la peau d’un titulaire. Il a déjà, aussi, porté le maillot de la Juventus dont il a notamment défendu les couleurs lors d’un match de Ligue des Champions. Il était courtisé par Arsenal, mais il a choisi de lier sa destinée au Standard. Il est arrivé à Sclessin en pleine tourmente, vivant la destitution de Robert Waseige après une semaine à peine et assistant aux manifestations de mécontentement des supporters.

Il devait aussi porter le poids d’un prix de transfert annoncé à cinq millions d’euros. Tout cela ne l’a guère perturbé, ou alors il ne l’a pas laissé paraître. Il a continué à travailler et à s’entraîner, sans se soucier des réactions extérieures et sans paraître le moins du monde affecté par la solitude, dans un pays dont il ne maîtrise pas la langue, à 10.000 kilomètres de Montevideo, sa ville natale où sa famille réside toujours. Il accepte facilement les demandes d’interviews des quelques journalistes susceptibles de converser avec lui. Ses réponses sont très professionnelles; diplomatiques pour ne pas dire davantage. Il évite soigneusement d’égratigner ses partenaires ou ses dirigeants.

Il a côtoyé la presse italienne et sud-américaine pendant des années et cela se sent. Avec une telle carte de visite, les supporters du Standard attendaient forcément monts et merveilles de sa part. Ses débuts se sont situés dans une honnête moyenne, sans plus. Depuis quelques semaines, cependant, on remarque qu’il s’est adapté à son nouvel environnement et qu’il a pris confiance. Si l’on excepte une bourde de dimension, et aux très lourdes conséquences pour le club, en Coupe de Belgique à La Louvière, il a réalisé des arrêts déterminants et ses prises de balles sont plus fermes. Dans quelques années, lorsqu’il aura rebondi dans un grand club européen, le Standard se dira peut-être qu’il a réalisé une très bonne affaire…

« La Louvière ne m’a pas empêché de dormir »

Fabian, on vous sent déjà mieux intégré qu’à votre arrivée…

FabianCarini: Oui, c’est normal, je pense. Je suis ici depuis cinq mois, je commence à trouver des points de repère. Au niveau de l’équipe, mais aussi au niveau de l’entourage. Liège est une belle ville, très calme. On peut bien manger, aller au cinéma. Evidemment, ce n’est pas Montevideo. Ma famille est loin. Mais j’ai l’habitude.

Avez-vous déjà pu vous faire des amis?

Quelques-uns, oui. Des Espagnols, des Belges qui peuvent se débrouiller en espagnol ou en anglais. Je suis serein et aussi très heureux d’être ici. Tranquilo.

Vous avez aussi emménagé dans votre nouvelle maison?

Oui, heureusement. Il n’y a aucun problème à ce niveau-là.

Cette sérénité semble se refléter dans vos prestations, qui s’améliorent au fil des semaines…

Si vous le dites. Personnellement, j’essaye toujours de donner le meilleur de moi-même. Je ne demande qu’une chose: que mes dirigeants, mes partenaires et mes supporters soient contents de moi. Parfois cela réussit, parfois pas.

Il était important, pour vous, de faire plus ample connaissance avec vos nouveaux équipiers?

C’est clair. Je devais m’habituer à eux, voir comment ils réagissent sur le terrain dans telle ou telle circonstance, savoir ce qu’ils attendaient de moi. Le processus d’acclimatation s’est effectué normalement.

Les problèmes de communication, que pouviez rencontrer au départ avec des défenseurs qui ne parlent pas votre langue, sont-ils résolus?

Ils n’ont jamais réellement existé. Sur le terrain, on parvient toujours à se comprendre, lorsqu’on le veut bien. Que ce soit en espagnol, en italien, en anglais ou en français. Et, une fois le match terminé, on évite de parler de ce qui a pu se passer.

Ces dernières semaines, vous n’avez commis qu’une seule erreur: en Coupe de Belgique, à La Louvière. Pouvez-vous expliquer ce qui s’est réellement passé?

J’ai raté mon dégagement, tout le monde l’a vu, je pense. Lorsqu’un gardien commet un erreur, il n’y a personne derrière lui pour la réparer. Il faut assumer. Ce que je fais. Lorsqu’un attaquant rate un but tout fait, personne ne lui en veut réellement. Lorsqu’un milieu de terrain perd le ballon, cela ne porte pas toujours à conséquence. Gardien de but, c’est un job à part.

Avez-vous bien dormi, cette nuit-là?

Oui, comme d’habitude. Ce sont des choses qui arrivent. Depuis que j’ai choisi le métier de gardien de but, j’étais préparé à cette éventualité. Aucun gardien n’est à l’abri d’une erreur fatale.

Mais cette erreur-là fut lourde de conséquences pour le club: la Coupe de Belgique, c’était le chemin le plus court vers l’Europe, quasiment le dernier objectif qui restait au Standard…

Je ne l’ai pas fait exprès, vous savez. Cela aurait pu se produire lors d’un match sans enjeu, c’est arrivé lors d’un match de Coupe de Belgique crucial. C’est ainsi, que voulez-vous que j’ajoute? »Il faut continuer à y croire »

Il restait une toute petite chance en championnat. Dominique D’Onofrio avait tablé sur un 6 sur 6 face à St-Trond et à Lokeren. La première mission fut menée à bien, la seconde pas…

C’est ainsi. Nous l’avons emporté à St-Trond et nous étions bien décidés à rééditer la même performance contre Lokeren, mais nous sommes tombés contre une bonne équipe waeslandienne et la chance ne nous a pas souri.

Aujourd’hui, les ambitions européennes du Standard sont donc rangées au placard?

Il est clair que nous sommes distancés au classement, mais aussi longtemps qu’il reste une possibilité mathématique de rejoindre le groupe des européens, il faut continuer à y croire. Si l’on parvient à aligner une série de victoires, cela peut parfois aller très vite. En cas contraire, nous essayerons de terminer le plus haut possible.

Sans objectif concret, la fin de saison ne risque-t-elle pas d’être longue?

Peut-être, mais nous sommes des professionnels et nous devons faire face à nos obligations. Le Standard est un club prestigieux et ses joueurs ne peuvent pas se permettre de laisser aller les choses. Ne serait-ce que par respect vis-à-vis des supporters, qui nous ont toujours apporté leur soutien.

Dominique D’Onofrio a déclaré qu’il se chargerait personnellement de veiller à ce que chacun reste concentré sur son sujet…

Oui, c’est tout à fait normal. En ce qui me concerne, il ne sera pas nécessaire de me rappeler mes obligations.

Aviez-vous espéré davantage de renforts durant le mercato d’hiver?

J’ignore ce que je devais réellement espérer. Je suis nouveau dans le club. Et puis, je ne suis pas dirigeant. Ce n’est pas à moi de décider.

Il y a eu un départ, celui d’Ali Lukunku…

C’était un bon joueur et un bon compagnon. Je lui souhaite bonne chance à Galatasaray. Ole-Martin Aarst marque régulièrement, depuis la reprise. J’espère qu’il continuera.

Ivica Dragutinovic a abandonné le poste d’arrière gauche pour celui de défenseur central. Ce repositionnement a-t-il contribué à stabiliser la défense?

Je le pense, oui. Il est devenu un joueur important pour l’équipe. Il est le capitaine, il parle beaucoup, rassure ses équipiers, peut créer le surnombre dans l’entrejeu par ses montées.

Et l’ambiance dans le vestiaire?

Pas de problème. Chacun effectue son travail en vrai professionnel, puis rentre chez lui, afin de mener sa vie privée. Cela ne me change pas de l’Italie. »Travailler et rester humble »

Vous étiez arrivé en pleine tourmente. Aujourd’hui, le calme semble revenu, y compris parmi les supporters. Est-ce de la satisfaction ou de la résignation?

Lorsque j’ai débarqué, le Standard détenait la lanterne rouge. Tout le monde était un peu nerveux. Un redressement a été opéré, qui s’est traduit par une remontée au classement. Avec l’amélioration des résultats, la sérénité est réapparue. Je crois que les supporters sont satisfaits de nos dernières prestations, mais nous avons entamé la course-poursuite avec un trop lourd handicap. Gagner était une chose. Il fallait aussi espérer que les équipes qui nous précèdent perdent. Elles ne pouvaient pas perdre toutes en même temps.

L’appétit vient en mangeant. Les supporters s’étaient remis à croire à l’Europe…

C’est normal. Plus on gravit d’échelons, plus on a envie d’aller encore plus haut. Mais il arrive un moment où cela casse.

Vous aviez commencé l’année 2003 par deux victoires. La remise du match à Anderlecht a-t-elle brisé votre élan?

Cela fait partie des aléas du football. Il avait neigé, le terrain était gelé, on ne pouvait pas jouer. Personne n’est responsable des caprices du temps. Se lamenter ne sert à rien. Rien ne dit, d’ailleurs, que nous l’aurions emporté au Parc Astrid. C’est surtout la défaite à Bruges qui a brisé notre élan.

Au Stade Jan Breydel, le Standard avait donné l’impression de faire jeu égal avec son adversaire. Puis, en dix minutes, vous avez encaissé trois buts et tout a basculé.

Une courte période de déconcentration nous a été fatale, en effet. Aucune équipe n’est encore parvenue à ramener un point de Bruges. Le Standard n’a pas fait exception à la règle. Face à des joueurs comme les Brugeois, la moindre erreur se paye cash. Et lorsqu’on est mené, c’est très difficile de revenir.

Pour vous qui arrivez du championnat d’Italie, voir une équipe comme Bruges qui caracole en tête du classement avec 17 points d’avance, cela ne doit pas faire très sérieux, non?

Je ne peux pas dire que j’ai été réellement impressionné par la prestation brugeoise, mais si cette équipe a accumulé autant de victoires, c’est qu’elle a fait le nécessaire pour y parvenir. Elle méritera son titre de champion.

Que manque-t-il au Standard pour rivaliser avec Bruges?

Je l’ignore. Cette équipe regorge des moyens, mais pour des raisons que je ne m’explique pas toujours, elle ne parvient pas à les exprimer.

Les supporters attendent un titre depuis 20 ans…

Oui, je le sais. Cela ne se fait pas sur un simple claquement de doigts. Il faut continuer à travailler, faire preuve d’humilité. »Rien n’est facile, même en Belgique »

Quelle impression vous laisse le championnat de Belgique?

Très bonne. A ce jour, je ne peux rien dire de négatif. Tout se déroule comme je l’espérais. Il y a du monde et de l’enthousiasme dans tous les stades où nous nous produisons. Les équipes essayent de jouer au football. Je ne suis pas déçu.

Cela n’a tout de même rien à voir avec ce que vous avez vécu en Italie et en Amérique du Sud?

En Italie, les clubs ont les moyens de s’offrir les meilleurs joueurs du monde. La SerieA est donc, logiquement, plus compétitive. Mais pour le reste, je n’ai aucune raison de me plaindre de ce que je découvre en Belgique. Il y a de très bons joueurs, qui proviennent de tous les horizons, et l’on aurait tort de sous-estimer ce championnat-ci. On y pratique un football différent, je le reconnais. En Italie, la pression est énorme et la tactique revêt une importance primordiale. En Belgique, le jeu est sans doute plus axé sur le physique, mais il n’est pas dénué d’intérêt.

En tant que gardien, votre jeu est-il différent qu’il l’était à la Juventus?

Pas vraiment. J’effectue les mêmes exercices à l’entraînement, j’exécute les mêmes gestes en match. En Italie, je travaillais peut-être un peu plus avec ballon, mais ce que je réalise ici me permettra également de continuer à progresser. Le travail ne m’a jamais rebuté et je n’ai pas modifié mes habitudes en venant en Belgique. Pas mal d’équipes belges pourraient tenir leur rang dans le Calcio, à condition que les joueurs aient confiance en leurs moyens. C’est peut-être cela qui manque.

La presse belge ne cesse de minimiser la valeur du championnat de Belgique. Pas vous.

Les journalistes belges pensent ce qu’ils veulent. Moi, j’essaye de rester humble et de respecter tout le monde.

Etes-vous sincère lorsque vous affirmez que tous les matches du championnat de Belgique sont difficiles?

Tout à fait. Que ce soit en Uruguay, en Italie ou en Belgique, on ne peut jamais sous-estimer un adversaire. Bruges a été éliminé de la Coupe de Belgique à Lommel. Le Standard, à La Louvière. C’est bien la preuve que rien n’est facile.

La notion de respect intervient souvent dans vos propos…

Elle est essentielle en sport. Si l’on ne respecte pas son adversaire, on s’expose à de graves désillusions.

Daniel Devos

« Le Standard a tout, je ne sais pas ce qui manque… »

« Peut-être qu’en Italie je travaillais plus avec ballon »

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