Larmes oranges

Bruno Govers

Voici pourquoi -pour la première fois depuis 1986-, la Hollande ne participera pas à la phase finale d’une compétition majeure.

Au moment où la Belgique tentera de décrocher, en Croatie, son passe-droit pour la Coupe du Monde 2002, la Hollande livrera, sur ses terres, un match pour du beurre, face à Andorre, dans le cadre de ces mêmes éliminatoires. Pour la première fois depuis 86, l’équipe orange ne participera pas à la phase finale d’une épreuve majeure, fût-elle mondiale ou européenne.

Dans une poule où les principaux adversaires avaient pour noms le Portugal et l’Irlande, Jaap Stam et les siens ont effectivement vu leurs espoirs anéantis suite à leur défaite à Dublin (1 à 0) le 1er septembre passé. Mais comment donc une équipe aussi sémillante, qui réussit notamment l’exploit de battre l’Espagne (1-2) et l’Angleterre (0-2) sur leurs terres, dans un passé récent, n’a-t-elle donc pas pu venir à bout d’une opposition de moindre envergure sur la route du Japon et de la Corée? Quatre témoignages en guise d’explication.

Moins de personnalité et de talent

Ronald Kres (journaliste au mensuel Elf): « Ce n’est pas à Dublin que l’équipe nationale a galvaudé ses chances de disputer la Coupe du Monde 2002. En réalité, la qualification était déjà singulièrement compromise après les deux premiers rendez-vous, chez nous, face à l’Irlande et au Portugal. Dans un groupe qui comprenait, outre ces deux pays et le nôtre, l’Estonie, Andorre et Chypre, chacun savait, dès le départ, que le leadership se jouerait entre le team orange et la formation lusitanienne, avec l’Eire dans le rôle d’outsider. En principe, le onze néerlandais aurait dû être sur le velours après trois matches à peine, puisque nous avions le bonheur d’accueillir nos deux principaux adversaires chez nous et de rendre la réplique aux Chypriotes entre ces deux confrontations. Si, grâce à une victoire par 0-4, ce déplacement répondit pleinement à l’attente, il en alla tout autrement en ce qui concerne nos deux joutes à domicile. La première, face à Roy Keane et les siens, se solda effectivement par 2-2 après que nous fûmes menés, à un moment, par 0-2. Quant à la deuxième, elle fut remportée sur ce score-là par la bande à Luis Figo. Quand on saura qu’au retour, la sélection fut battue en Irlande et qu’elle concéda le partage à Porto (2-2), après avoir eu cause gagnée jusqu’à une minute du terme, un rapide calcul apprendra donc que face aux ténors de la poule, les Pays-Bas ont pris très exactement 2 points sur 12. C’est beaucoup trop peu, bien sûr, pour prétendre à une place parmi les meilleures nations du football.

Cette campagne a mis le doigt sur plusieurs manquements. Elle aura tout d’abord montré que la génération actuelle est incapable de forcer, voire de gérer un résultat. La preuve par son cuisant échec dans la capitale irlandaise et par son incapacité à conserver son avance au Portugal. A défaut d’avoir rang de meilleurs dans les compétitions officielles, nous faisons figure, à présent, de champions du monde des matches amicaux ou des rencontres sans signification. Je n’en veux pour exemple que la victoire des troupes de Louis van Gaal à Wembley, contre l’Angleterre, ou encore les succès conquis devant Andorre et l’Estonie, toutes deux battues sur une marque de forfait.

La Hollande n’est jamais aussi forte et inspirée que quand l’opposant ne la pousse pas dans ses derniers retranchements. Comme il en va avec un sans-grade ou dans une partie sans relief et enjeu. Mais dès l’instant où l’adversaire ne s’en laisse pas du tout conter, nos représentants perdent subitement de leur superbe. Ils ne savent alors pas faire front dans la tourmente et répugnent trop souvent à se faire violence. Sans compter que, par rapport au passé, on dénote à la fois moins de personnalités et de talents. Un garçon comme Mario Melchiot ou un Jerrel Hasselbaink n’auraient jamais goûté à l’honneur d’une cap il y a dix ans, c’est tout dire ».

Pas de don de soi

Johnny Bosman (ex-international, actif à AZ’67): « Je ne pense pas que, dans sa globalité, l’effectif actuel se situe en-decà du niveau de ses devanciers, même si certaines individualités comme Johan Cruyff, Robby Rensenbrink ou Johan Neeskens dans les années septante, voire le trio Marco Van Basten, Frank Rijkaard et Ruud Gullit au cours des eighties avaient sans aucun doute une dimension supérieure. La Hollande a toujours des vedettes, à savoir des joueurs qui se distinguent du commun des mortels, mais plus vraiment des champions, autrement dit des éléments hors catégorie qui se subliment au moment opportun. Comme ceux qui ont remporté l’EURO 88 notamment, la seule compétition majeure jamais enlevée par notre pays…

Pourquoi ce triomphe-là fut-il possible et fait-il figure d’exception? Pour moi, davantage que la valeur intrinsèque des joueurs, c’est avant toute chose le contexte qui est susceptible d’apporter un élément de réponse. D’ Edwin Van der Sar à Boudewijn Zenden en passant par les Jaap Stam, Edgar Davids, Patrick Kluivert et autres Frank de Boer, tous les internationaux néerlandais militent invariablement au sein de clubs huppés qui disputent le plus souvent la fameuse Ligue des Champions. Par rapport aux générations précédentes qui ont encore connu le système à élimination directe en Coupe d’Europe, ces gars-là sont donc beaucoup plus sollicités. Et quand ils sont amenés à devoir livrer un match avec l’équipe nationale entre deux joutes européennes, j’ai l’impression qu’ils lèvent quelque peu le pied machinalement. A cet échelon-là, la différence est fréquemment criarde par rapport au comportement de l’opposition. Et je n’en veux pour preuve que l’un ou l’autre exemple vécus lors des qualifications cette année. A Dublin, Roy Keane s’est sublimé davantage qu’à l’ordinaire, et il n’en était pas allé autrement au match aller déjà quand ses partenaires et lui avaient contraint la Hollande au partage à l’Arena d’Amsterdam. Cette attitude en dit long, évidemment, sur sa détermination et sa motivation. Le capitaine de Manchester United sait très bien que s’il ne paie pas généreusement de sa personne dans le cadre d’une équipe irlandaise fort moyenne, celle-ci n’a aucune chance face au onze orange. Dans un même ordre d’idées, des garçons comme Luis Figo, Rui Costa ou Conceiçao se sont chaque fois démenés corps et âme, eux aussi, afin d’augmenter tant et plus les chances de leur nation face à la nôtre. Chez nous, je n’ai jamais relevé le même don de soi et la même envie de se sublimer.

En équipe nationale, la tendance est de compter sur les autres plutôt que de transgresser ses propres limites. Cela nous a finalement coûté cher face à deux formations animées précisément d’une foi qui soulève les montagnes. Sans compter que l’entraîneur aurait dû témoigner de plus de pertinence, aussi, dans le choix de sa stratégie et des hommes. Car il n’y a plus que la Hollande, aujourd’hui, qui reste fidèle au même système, où qu’elle se produise. Cette prétention nous aura joué un vilain tour, elle aussi ».

Garder la tradition

Jan Mulder (ex-international, journaliste et chroniqueur): « Il est symptomatique de constater que tout le monde ne s’acharne toujours sur la manière de jouer de la sélection, et des formations néerlandaises en général, qu’en cas de défaite ou d’élimination mais jamais en temps de victoire. A ce moment-là, tout le monde est fier, chez nous, d’une fantastique victoire sur l’Argentine, comme à la Coupe du Monde 1998, ou d’une raclée plus mémorable encore, à l’image de celle infligée par le onze national à la Yougoslavie lors de l’EURO 2000. Il suffit toutefois d’une éviction aux penaltys, quelques jours plus tard à peine, face à l’Italie, pour que l’on remette à nouveau tout en question. Les gens ont la mémoire courte dans mon pays. De tous temps, la Hollande s’est révélée incapable de la moindre constance dans ses résultats. Les exemples sont légion de coups d’éclat sans lendemain. En réalité, nous avons toujours été des rois sans couronne. Même à la grande époque de Johan Cruyff, il n’en allait pas autrement. Même si beaucoup s’accordent à dire que la Hollande était la plus belle équipe au monde, au beau milieu des années septante, force est de reconnaître que malgré la présence en ses rangs d’un Arie Haan, d’un Ruud Krol ou encore des frères Van de Kerkhof, cette génération a dû se contenter, en tout et pour tout, de deux places de finaliste à la Coupe du Monde, point final. Et je ris de bon coeur quand j’entends dire que leurs successeurs, lisez ceux de 1988, ont été plus performants.

Désolé, mais le football dispensé par les frères Koeman et leurs acolytes était tout aussi versatile que celui de leurs prédécesseurs. La Hollande a disputé un seul match de bonne facture à l’EURO 88: en demi-finale, contre l’Allemagne. Pour le reste, il n’y avait pas de quoi en tirer la moindre gloriole. Même l’apothéose ne rimait à rien. Si Marco Van Basten n’avait pas inscrit, à cette occasion, un but d’anthologie, plus personne ne s’en souviendrait d’ailleurs, de nos jours. C’est assez dire si, en dépit de cette victoire-là, rien n’a changé de manière fondamentale dans le football néerlandais au cours de ce dernier quart de siècle. Et je me demande dans quelle mesure, d’ailleurs, nous sommes prêts, en la matière, à un changement.

Il a suffi, par exemple, que l’entraîneur de l’Ajax, Co Adriaanse, plaide pour plus de réalisme cette saison, en faisant fi pour la première fois depuis des lustres d’un schéma de jeu avec trois attaquants pour que chacun s’acharne subitement sur lui pour crime de lèse-football. Or, le club d’Amsterdam n’a jamais été aussi bien classé qu’actuellement. Ici aussi, je parie qu’après un moindre résultat et sous la pression de l’entourage, les choses reprendront leur cours comme avant. On ne bafoue pas la tradition, même si elle est synonyme, parfois, de déconvenue. C’est pourquoi je serai le dernier à montrer Louis van Gaal du doigt ».

van Gaal critiqué

Aad De Mos (ex-coach de l’Ajax et du PSV, directeur technique du FC Malines): « Dès son entrée en fonction, après l’EURO 2000, Louis van Gaal avait lui-même placé la barre très haut en affirmant que sous sa férule, la Hollande serait championne du monde en 2002. Non seulement, l’ancien entraîneur du FC Barcelone peut donc faire son deuil de cet objectif mais, ce qui est beaucoup plus grave, d’une participation à cette épreuve, tout court. Ce qui, dans un groupe où la concurrence avait pour nom le Portugal et, dans une moindre mesure déjà, l’Irlande, doit être considéré comme un très lourd échec. Même si les joueurs sont responsables au premier degré, dans la mesure où l’orientation d’une rencontre dépend d’eux, je suis d’avis que le coach national a joué un rôle non négligeable non plus dans la faillite de cette mission. Au plan tactique, par exemple, il a manqué singulièrement de lucidité à divers moments-clé de cette campagne. Comme à l’occasion de la rencontre Portugal-Pays-Bas. A 0-2, il aurait dû se contenter sagement de gérer le résultat à Porto. En lieu et place, Louis van Gaal a voulu en mettre plein la vue aux Lusitaniens en remplaçant deux attaquants – Boudewijn Zenden et Jerrel Hasselbaink– par deux autres – Roy Makaay et Pierre Van Hooijdonk– afin d’alourdir la marque. En lieu et place, le Portugal résorba complètement son retard par l’entremise de Pauleta et de Luis Figo. A Dublin, ce fut pire encore. Menée à la marque suite à un but de Jason McAteer, la Hollande se devait absolument de renverser complètement la vapeur pour préserver ses chances de qualification pour la Coupe du Monde. Et que fit le coach fédéral à ce moment? Il ôta du jeu ses deux ailiers, Boudewijn Zenden et Marc Overmars au profit de deux attaquants axiaux: Jerrel Hasselbaink et Pierre Van Hooijdonck, qui s’ajoutèrent dans cette zone à PatrickKluivert et Ruud Van Nistelrooy. Résultat des courses: tous ces joueurs se marchèrent sur les pieds aux abords de la surface de réparation des Irlandais, alors que les flancs étaient justement désertés.

Face à une opposition réduite à dix unités suite à l’exclusion de Gary Kelly après une bonne heure de jeu, il aurait précisément fallu privilégier les incursions par les couloirs afin de servir à bon escient les deux hommes de pointe. Louis van Gaal s’est fourvoyé sur ce point et la Hollande en paie les conséquences à présent. Il lui appartient, ainsi qu’à la fédération, de tirer les leçons de cet échec désormais. L’une d’entre elles, à mes yeux, c’est que l’intéressé n’a pas pris les options qui s’imposaient au bon moment. Je crois que l’homme a tort de tout cumuler, puisqu’il est à la fois le directeur technique, le coach national et le responsable d’absolument toutes nos formations représentatives. Sans compter qu’il s’est également attelé, depuis son arrivée en fonction, à l’élaboration d’un Masterplan chez les jeunes. Ces multiples tâches expliquent peut-être ses erreurs au plan gestionnel. Je pense qu’il aurait tout à gagner en se concentrant sur une seule tâche. Et le pays aussi. La France n’a eu qu’à se féliciter jusqu’ici du fonctionnement d’ Aimé Jacquet comme directeur technique et de Roger Lemerre comme sélectionneur. Il faudrait peut-être qu’en Hollande aussi, on s’inspire de cet exemple ».

Bruno Govers

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