Largesse d’esprit

L’entraîneur fédéral aime vivre et laisser vivre.

La religion

« Nous n’étions pas des assidus de la messe. Nous y sommes allés jusqu’à 13 ou 14 ans. Ma mère était très catholique. Elle fréquentait l’église. Pas pour s’asseoir au premier rang mais parce qu’elle en retirait un soutien personnel et une satisfaction. A l’époque, tout le monde était plus ou moins catholique mais mes parents étaient larges d’esprit, de ce point de vue. Mon frère et moi avons fréquenté une école publique. Je me suis souvent posé des questions sur l’Eglise. Elle a peut-être fait beaucoup de bien mais elle a aussi entraîné beaucoup de misères. Enfant, je ne comprenais pas qu’enterrer quelqu’un à neuf heures coûtait moins cher qu’à midi. J’estime que la foi est une affaire personnelle. éa fait partie de la liberté individuelle de l’être, là où se trouve aussi sa plus grande richesse, non matérielle. C’est pour ça que je ne jouerai jamais les pères la morale.

J’ai aussi travaillé avec des joueurs néerlandais qui ne pouvaient pas jouer le dimanche. Lokeren a toujours bien prospecté la Zélande. Pour moi, jamais le dimanche n’a été un jour de repos »…

La superstition

« Je suis superstitieux. C’est lié à des périodes d’invincibilité. Après-coup, ça a peu de sens mais la superstition stimule parfois dans un sport où bonheur et malheur sont si proches l’un de l’autre. Joueur, je me souviens que j’empruntais toujours le même chemin, en auto, ou que je montais en dernier sur le terrain. Je pense aussi à la réputation de Genk à domicile, avant. Quand le match avait lieu à 20 heurs, nous nous rassemblions à 16 heures mais j’étais là vers midi. Je m’énervais si j’arrivais en retard, pour l’une ou l’autre raison. Il s’agit davantage d’un rituel que de superstition. En fin de compte, il suffit que vous soyez battu quelques fois pour comprendre que vous vous êtes mis martel en tête ».

Le cyclisme

« Il y avait deux sports dans ma jeunesse: le cyclisme et le football. Nous faisions beaucoup de sport dans la rue. Des sports démocratiques car le tennis restait très élitiste. Les saisons étaient aussi mieux démarquées. De mai à août, le football observait une trêve. A ce moment, le cyclisme reprenait ses droits. J’étais surtout passionné de football et je collectionnais les images Panini. Je connaissais donc tous les joueurs de D1 et de D2. J’étais déjà obsédé.

Nous roulions pour le plaisir. J’étais doué: j’avais un excellent sprint. C’était un peu mon truc. Rik Van Steenbergen était mon idole. Je connaissais tout son programme et je savais comment il roulait. Je n’ai fait sa connaissance que dans les dix dernières années de ma carrière de joueur: nous étions à la même table à une fête. Je le respecte beaucoup, pas seulement parce qu’il a été un grand champion mais aussi pour sa largesse d’esprit. Il voulait gagner tout ce qu’il pouvait mais il était content quand les autres gagnaient.

Lokeren avait des critériums légendaires, à l’époque. Récemment, j’étais chez Van Steenbergen et je lui ai rappelé un sprint qu’il a remporté sur la Brouwerijstraat, où ma femme habitait. Il a pu me décrire cette rue aux petits pavés. C’est vous dire à quel point ces hommes sont professionnels. Il s’agissait d’un des nombreux critériums d’il y a 30 ou 40 ans mais il se souvenait encore de la rue en question »!

La politesse

« Je jure beaucoup. Un entraîneur ne peut pas faire autrement et je ne suis d’ailleurs pas un modèle, à aucun point de vue. C’est vrai que quand j’entraînais Lokeren, dans un match contre Anderlecht, j’avais poursuivi un arbitre sur le terrain. Mais il s’était passé beaucoup de choses. On s’était battus et tout. Un jeune entraîneur et sa jeune équipe qui jouent contre Anderlecht peuvent ressentir beaucoup de frustrations. Au repos, c’était 0-3 et le Sporting n’avait pas montré grand-chose. Anderlecht était alors une grande équipe, avec Vercauteren, Lozano, etc. Majorat, l’arbitre, sifflait d’ailleurs son dernier match, je pense. Nous avons joué 100 minutes au lieu de 90, jusqu’à ce que le score soit de 4-3. Je n’ai pas pu réfréner ma frustration ».

La détente

« Maintenant, comme sélectionneur, j’ai un agenda moins chargé mais on doit se ménager ses moments de détente. Certains entraîneurs parviennent à prendre beaucoup de distance, disent-ils. Ne les croyez pas. Pour 95% d’entre eux, c’est difficile. Il faut vivre avec. On a besoin d’une période de récupération mentale. Le mercredi est à mon sens le jour idéal, physiquement comme mentalement. Avant, je jouais aux cartes pour me détendre mais j’ai dû faire une croix là-dessus, tant on a d’obligations en football. Il faut quand même être à la maison de temps en temps.

Par exemple, je ne suis pas du matin. J’adore faire la grasse matinée. Certaines personnes sont très actives dès leur lever. Chapeau: elles peuvent faire beaucoup de choses dans leur journée ».

Le travail

« Les huit ou neuf mois que j’ai passés dans l’entreprise dont mes parents étaient concierges m’ont beaucoup appris. Après mon service militaire, je devais obtenir un poste là. Passer la journée en pleine chaleur dans la poussière d’une usine de filage, ça vous permet de comprendre la vie privilégiée des footballeurs et des entraîneurs. Ces quelques mois ne m’ont certainement pas fait de tort.

Je vais vous donner un autre exemple, pour vous prouver quetout est dans la tête. L’usine Ford de Genk. Un jour, quand j’entraînais Genk, nous avons eu une visite guidée. Très intéressante. Delbroek n’était pas encore professionnel au RC Genk. Le travail auquel il était astreint a impressionné les joueurs et ils ne l’oublieront pas. Delbroek travaillait dans l’équipe de cinq à quatorze heures, à la chaîne et, toutes les x secondes, il devait soulever un foret de plusieurs dizaines de kilos. Ensuite, à quatorze heures trente, il venait s’entraîner. Il était physiquement le plus fort et aussi le plus enthousiaste. Pour lui, c’était une détente, une partie de plaisir, alors que d’autres disaient: -Pff, je dois encore m’entraîner. Dans ces cas-là, on comprend à quel point on est privilégié ».

La fête

« Avant, oui. Et c’était du solide, mais toujours après le match. Au début, les joueurs étaient des amateurs. Quand je me suis retrouvé en équipe fanion de Lokeren, à 16 ans, à huit heures du soir, nous avions déjà mangé et bu tout de ce que nous avions gagné. Nous nous sommes bien amusés. Je crois avoir été sept ou huit fois champion avec Lokeren et nous fêtions ça dignement, croyez-moi! Mais j’ai toujours respecté les règles et je rentrais toujours à l’heure. Les sixties, c’était ma jeunesse et on était libres. Surtout du côté de l’âme ».

Les parents

« Ma mère travaillait dur pour gagner 20 francs de l’heure. Elle était banale. Mon père était plus entreprenant. Il osait prendre des risques commerciaux. C’était un homme actif et bon vivant. Il est mort quand j’avais 14 ans. Il était apprécié. C’était un homme du peuple. On m’a raconté que pendant la guerre, il avait fait beaucoup pour les gens qui étaient dans le besoin. Mon frère aîné l’a mieux connu. Malgré son décès prématuré, je n’ai jamais manqué de rien, au contraire. J’ai eu une jeunesse très agréable. Nous avions un standard de vie privilégié en ce sens que nous avions tout ce dont nous avions besoin. Je suis incapable d’enfoncer un clou dans un mur ».

Les Africains

« Mon admiration pour les Noirs est forte. S’ils n’apportaient rien, elle serait moindre. Mais allez voir un match de Promotion: s’il y a deux Noirs sur le terrain, ils feront toujours quelque chose en plus.

Lokeren a été gratuitement au Qatar et au Koweït. Quel brassage de populations: Africains, Européens de l’Est… En passant devant une mosquée, on voit le derrière de tous les Musulmans qui prient. Les chaussures sont alignées à l’extérieur. Des joueurs de couleur dormaient parfois toute la journée dans le bus, avec les bagages. Un Belge fait encore la différence entre Wallons et Flamands. En face d’un tel mélange, vous vous demandez qui sont les plus malins. Don’t worry, be happy« .

La liberté de pensée

« Je devais avoir 11 ans quand mes parents ont divorcé mais ce n’est pas parce que mon père est parti qu’il n’aimait pas ma mère. Je n’ai pas vécu cette séparation comme si j’étais négligé. Il veillait à m’acheter des nouvelles chaussures, par exemple. C’était une des premières chaussures de football avec des studs en aluminium amovibles. C’était quelque chose. Mes parents m’ont appris à être large d’esprit. Nous n’avons pas été élevés avec des visières. C’est une grande richesse mais ça doit être dans le sang. La pensée sociale libérale, vivre et laisser vivre. Ce n’est pas un hasard si mon frère a fait carrière en politique et que, libéral, il a autant de supporters socialistes et communistes. Il aime les gens. Je suis beaucoup plus égoïste. Heureusement, ma femme a toujours été dans le milieu: son frère était un excellent joueur, fin technicien. Elle sait ce qu’implique le football. Mais c’est vrai: quand on vise le top, on a besoin d’être épaulé par quelqu’un qui est capable d’encaisser pas mal de choses et qui est prêt à faire des sacrifices ».

Le mensonge

« J’ai souvent menti, mais par souci de bien faire. Il y a des choses qui appartiennent à la vie privée. Je n’ai aucun problème à mentir pour la protéger. Qu’est-ce que c’est, mentir?

Tous les jours, on écrit des mensonges sur moi. Le sport est tellement subjectif que je comprends que les gens doivent commenter des tas de choses alors qu’ils n’en savent pas la moitié. Ils ne doivent d’ailleurs pas en savoir grand-chose. Je n’éprouve pas le besoin d’expliquer aux autres ce qui ne les regarde pas. Si je dis: – Je vais vous raconter quelque chose mais ça doit rester entre nous, vous voilà bien avancé. Tout le monde ment ou a menti ».

La jalousie

« Elle m’est inconnue, cela dit sans prétention. Chacun a le droit d’être jaloux mais ne pas l’être est une formidable richesse. On n’a besoin de rien car on est soi-même. A mes yeux, un être jaloux est très malheureux. Pas seulement matériellement: mentalement aussi. La jalousie vient de l’impression d’être malheureux. Je suis matérialiste, j’aime avoir ce qu’il y a de mieux mais je parviens à me ressourcer, à me souvenir d’où je viens. Avant, je disais souvent qu’on pouvait me laisser sur le terrain, que j’y habiterais. C’est une richesse, ma passion, car sinon, on a vite une raison de se sentir malheureux ».

Raoul De Groote

« J’étais jeune dans les années 60 et j’ai été marqué par l’esprit de liberté »

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