LAQUAIT n° 1

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Les entraîneurs de gardiens de D1 désignent Bertrand Laquait devant Silvio Proto et Frédéric Herpoel. Philippe Vande Walle explique pourquoi le Français est si dominant.

On ne pourra pas leur reprocher de ne pas savoir de quoi ils parlent ! Pour connaître le meilleur gardien de but (belge ou étranger) de notre première division, nous avons consulté les hommes qui travaillent jour après jour à leurs côtés : les préparateurs de tous les clubs de D1. La demande était très précise :  » Quel est votre Top 5 des gardiens qui évoluent actuellement en Belgique ? »

Deux keepers émergent nettement : Bertrand Laquait (27 ans), le Français de Charleroi, et Silvio Proto (21 ans), le Belge de La Louvière. Ils sont les deux seuls à avoir recueilli des voix dans tous les clubs. Quatre autres derniers remparts ont été régulièrement cités : Frédéric Herpoel (La Gantoise), Vedran Runje (Standard), Daniel Zitka et Tristan Peersman (Anderlecht). Ceux qui les suivent ne doivent parfois qu’au chauvinisme – fort marqué – de leur propre entraîneur spécifique de figurer dans le tableau final…

Philippe Vande Walle, qui est l’un des quatre anciens Diables Rouges à avoir voté ( Christian Piot, Theo Custers et Jacky Munaron se sont aussi exprimés), est celui qui connaît le mieux le lauréat, Bertrand Laquait. Depuis deux mois, il est l’entraîneur spécifique du Sporting de Charleroi.  » En fin de saison dernière, un journal flamand m’avait demandé de coter tous les gardiens du championnat de Belgique « , rappelle-t-il.  » J’avais déjà mis Laquait à la première place, sur la base de deux critères prioritaires : la régularité et la faculté de gagner des points pour son équipe. Mon classement avait fait tiquer en Flandre mais j’étais sûr de ce que j’avançais. A l’époque, Laquait n’était encore populaire que dans le sud du pays. Je constate aujourd’hui que la situation a fort évolué « .

Vande Walle passe le vainqueur au scanner.

Le jeu sur la ligne

 » Je suis toujours fort surpris quand j’entends que tel ou tel gardien est bon sur sa ligne. Je réponds alors : -S’il n’est pas bon sur sa ligne, qu’il change de métier ! Pour jouer en D1, il faut être très, très bon dans son petit rectangle. Evidemment, il y en a qui sont encore plus forts que les autres. Jusqu’en fin de saison dernière, le numéro 1, dans le jeu sur la ligne, était pour moi Dany Verlinden. Aujourd’hui, c’est Bertrand « .

Les sorties

 » C’est l’aspect du métier qui est le plus difficile à travailler. On peut améliorer tout ce qui a un côté technique chez les gardiens. Mais les sorties, la façon de se jeter dans une mêlée, c’est bien plus que de la technique. C’est surtout une question de culot, de courage. Il faut oser. Mais on ne retrouve jamais, à l’entraînement, les conditions de match. Vos coéquipiers ne vous rentreront jamais dedans comme des attaquants adverses. Tout le monde lève inconsciemment le pied à l’entraînement, parce qu’on ne veut pas prendre le risque de se blesser quand il n’y a pas d’enjeu. Il y a aussi, pour le gardien, le risque de passer à travers, de se trouer complètement et d’encaisser. Sur 50 centres expédiés dans une mêlée composée de ses propres coéquipiers, un keeper osera peut-être sortir 50 fois. Mais il se retiendra presque automatiquement en match parce que le côté imprévisible et la hantise d’un choc terrible le paralyseront, le scotcheront sur sa ligne. Le meilleur, dans ce domaine précis, c’est Filip De Wilde. Il n’a peur de rien. Dans un tout autre style, Verlinden était efficace aussi. Il ne sortait pratiquement jamais. On disait qu’il avait peur de s’écarter de son but à cause de sa petite taille. Pour moi, c’était surtout une preuve d’intelligence. Il savait qu’il avait plus de chances d’arrêter le ballon en restant sur sa ligne, grâce à ses réflexes fabuleux. Il avait sans doute raison. Laquait n’est pas mauvais dans les sorties. Il ose se mouiller, prendre ses responsabilités, mais il refuse les risques inutiles. Il les calcule « .

Le jeu au pied

 » Laquait est dans la très bonne moyenne. Il tire bien son épingle du jeu, sans être extraordinaire. C’est un pur droitier mais il sait utiliser ses deux pieds : contrôle du gauche suivi d’un dégagement du droit, ou l’inverse. Nous travaillons beaucoup cet aspect de son jeu. Le meilleur exercice, pour qu’un gardien améliore son jeu au pied, est de l’intégrer dans des démarquages, de le faire jouer au foot. Cela l’oblige à contrôler du pied, de la poitrine ou de la tête, à lever la tête pour bien voir qui bouge autour de lui, et à donner des passes précises. Il sollicite souvent des ballons en retrait, en match : c’est la preuve qu’il n’a pas peur « .

Les dégagements

 » Il dégage à l’espagnole : il se déhanche un peu et fait pivoter le corps pour prendre le ballon légèrement de côté. C’est, en quelque sorte, une volée de biais. Beaucoup de gardiens espagnols utilisent cette technique. Elle n’est pas facile à apprendre, mais une fois qu’on la maîtrise, elle a plusieurs avantages : ça permet de dégager très loin (parce que le pivotement du corps fait l’effet d’un bras de levier) et d’être très précis tout en économisant ses forces. La volée simple se résume à frapper droit devant soi, le plus haut et le plus loin possible. Le drop est une troisième possibilité : on prend le ballon après un mini-rebond.

C’est dans les dégagements à la main que Laquait doit encore pas mal progresser. Nous les travaillons beaucoup. Il a tendance à prendre le ballon un peu trop sur le côté. Il faut qu’il réussisse, à terme, à envoyer des ballons précis, de la main, au-delà de la ligne médiane « .

Le coaching

 » Laquait est un râleur, un gueulard, mais il ne crie pas pour ne rien dire. Ses ordres sont toujours bien ciblés. Ça reste positif, sauf à l’entraînement où il fait parfois un peu trop ressortir son côté gagneur. Ce n’est pas en essayant de se mettre en avant qu’il est devenu un des leaders de l’équipe, mais uniquement par ses prestations sur le terrain. Il a tout du leader naturel. Par tous ses bons matches, il a forcé naturellement la confiance de ses coéquipiers. Dans le vestiaire, il donne rarement son avis mais les cadres de l’équipe viennent le lui demander spontanément. Il sait aussi utiliser les bons mots pour s’exprimer, il ne dit pas n’importe quoi. C’est l’avantage d’être français ! Les Belges lâchent tout ce qu’ils ont sur le c£ur, sans rien peser. Les Français sont plus diplomates « .

Le capitanat

 » Je ne l’imagine pas avec le brassard, tout simplement parce que je ne suis pas pour les gardiens capitaines. Ce poste est déjà tellement compliqué, il implique tellement de stress et de responsabilités qu’il vaut mieux laisser les portiers se concentrer spécifiquement sur leur boulot. Par contre, si Laquait jouait dans le champ et si j’étais son entraîneur, je n’hésiterais pas à en faire mon capitaine parce qu’il a toutes les qualités pour être bon dans ce rôle « .

Le charisme

 » Laquait n’est pas encore un gardien charismatique comme l’étaient Jean-Marie Pfaff et Michel Preud’homme, mais ça commence à venir. Ce respect, il l’acquiert grâce à ses prestations et sa présence, pas via des coups de gueule « .

Le spectacle

 » Ce n’est pas un gardien spectaculaire, mais ce n’est pas non plus ce qu’on lui demande. Il est très loin, sur le plan du show, d’un Luciano ou d’un Vedran Runje. Son truc, c’est plus l’efficacité via la sobriété, comme Frédéric Herpoel. S’ils font peu d’erreurs, c’est aussi parce qu’ils ne cherchent pas à être spectaculaires. Plus on prend de risques, plus on a évidemment de chances de se trouer. Laquait et Herpoel ne font pas souvent le spectacle mais on sait qu’on peut toujours compter sur eux « .

Le mental

 » Laquait a la tête bien fixée sur les épaules. Il ne crie jamais qu’il est le meilleur et se contente de planifier intelligemment sa carrière à court, moyen et long termes. C’est aussi un maniaque du détail, à la limite de la superstition. Il ne laisse rien au hasard, que cela concerne les ballons, son équipement, les points forts des attaquants qu’il va affronter, etc. La formation qu’il a reçue en France ressort au quotidien. Quand il commence à pleuvoir, je ne dois pas lui demander s’il a bien prévu son K-way ou des gants pour ballons mouillés. Il vient à chaque match avec cinq paires de gants et autant de jeux de godasses. S’il n’est pas sûr du matériel qu’il doit utiliser, il fait plein d’essais avant de trancher. Et il veut tout savoir. Lors de chaque match, je note tout : les exercices qu’il fait à l’échauffement, sa tenue, combien de ballons il touche, comment il les prend, le temps qu’il les garde en mains, ses dégagements, son placement sur les actions défensives et offensives du Sporting et de l’équipe adverse, son coaching, sa présence, etc. Je cote tout ce qu’il fait avec des  » +  » et des  » – « . Je ne regarde pour ainsi dire que lui. Pendant la semaine qui suit, nous analysons minutieusement toutes ces données. Laquait est terriblement curieux, il pose sans arrêt des questions. Et ce n’est pas le footballeur qui, dès la fin de l’entraînement, file dare-dare à la douche pour être le plus tôt possible à la maison. Il s’impose souvent des heures supplémentaires « .

La résistance à la pression

 » Aucun souci de ce côté-là. Laquait a bien prouvé en fin de saison dernière, quand le Sporting avait un pied en D2, qu’il la supportait facilement. J’ai connu des gardiens qui étaient plus forts en semaine que le week-end, et l’inverse. Il y a des keepers d’entraînement et des keepers de match. Laquait, lui, est toujours bon. Il ne perdra jamais les pédales dans une rencontre cruciale après avoir brillé pendant toute la semaine « .

Le départ pour un grand club

 » Pour moi, il doit encore patienter une ou deux saisons avant de faire le pas vers une équipe du top, en Belgique ou à l’étranger. Quand je suis arrivé à Charleroi, j’ai dit qu’il avait encore une marge de progression de 30 %. Je confirme. Il a tout intérêt à poursuivre son ascension dans un club comme Charleroi, pour être vraiment à son meilleur niveau au moment où il signera ailleurs. Même s’il y a déjà des indices prouvant qu’il est presque prêt pour briller dans une défense peu sollicitée, comme ce serait le cas dans un grand club. Le récent match de Charleroi contre Beveren l’a montré. Laquait n’a plus eu qu’un ballon difficile après le but encaissé en début de match et il l’a sorti. C’est la preuve qu’il peut rester parfaitement concentré en ayant peu de boulot. Beaucoup de gardiens qui reçoivent peu de ballons se contentent de rester sagement dans leur but, en attendant que l’orage se déclenche. Laquait n’est pas comme ça : il avance, crie, replace, coache toute l’équipe. Même après les matches dans lesquels il n’a pas eu beaucoup de travail, il est aussi fatigué mentalement que physiquement : c’est bon signe « .

Pierre Danvoye

 » Si Laquait jouait dans le champ, j’en ferais MON CAPITAINE  » (Vande Walle)

 » LAQUAIT DÉGAGE À L’ESPAGNOLE : c’est compliqué mais très efficace  » (Vande Walle)

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