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Lance 2.0: plus fort que jamais

Il y a dix ans, le Giro constituait la première grande course de Lance Armstrong (47 ans) après son come-back. C’était aussi le début de la fin de celui qu’on considère comme le plus grand dopé de tous temps. Après sa confession en 2013 et quelques années difficiles, l’Américain a su rebondir. La preuve en 5 points.

Lance, le père de famille heureux

 » Je ne regarde plus que devant moi. Depuis janvier 2013, je fais un apprentissage. J’aime ça et je vais continuer à le faire. Fini de me lamenter sur ce que j’ai perdu. Ça ne m’intéresse plus. Tout ce qui compte, c’est ma famille.  »

Ces déclarations sont celles de Lance Armstrong, l’an dernier, dans Outside Magazine. Un virage radical pour le Texan car, par le passé, tout tournait autour de lui. C’était un coureur maniaque, rien ne lui échappait. Aujourd’hui, toutes ses décisions et ses occupations tournent autour de sa famille. Celle-ci se compose d’ Anna Hansen (38 ans) – qu’il a rencontrée en 2008 et à qui il est officiellement fiancé depuis 2017, de ses cinq enfants – Luke (19 ans), les jumelles Grace et Isabelle (17 ans), Max (9 ans) et Olivia (8 ans) – et de son ex-femme Kristin, la mère de ses trois aînés, dont il est séparé depuis 2003.

Si l’Américain a souvent exprimé ses regrets vis-à-vis de ses adversaires, il a moins de remords par rapport au dopage, qu’il estimait institutionnalisé.

C’est ce qu’Armstrong appelle sa nouvelle  » équipe « , une équipe qui s’est rapprochée au cours des dernières années, telle une big happy family, qui n’a d’ailleurs pas toujours été heureuse. L’Américain a en effet dû expliquer à ses enfants comment il est devenu le plus grand banni du monde du sport. Ils ont notamment dû passer par de longues séances de thérapie familiale chez le psychologue.

Voici peu, au cours d’une conférence au Hanszen College, un étudiant lui a demandé comment il voulait qu’on se souvienne de lui dans cinquante ans. Il a répondu qu’il voulait qu’on dise qu’il était  » un bon père.  » Pas un ex-vainqueur du Tour de France ou un grand champion.

 » Quand votre fils ( Luke, ndlr) fait des études et joue au football américain à la (célèbre) Rice University, c’est bon signe. Ça veut dire que je ne suis pas un total dipshit ( un sale con, ndlr) « , ajoutait Lance, le père de famille heureux.

Lance, le dopé repenti

Début 2018, Armstrong visitait la prison de San Quentin, en Californie.  » Une expérience énorme « , disait-il après avoir parlé avec des détenus qui suivaient un programme de réhabilitation afin de reprendre un rôle dans la société. Le paria du cyclisme se sentait on ne peut plus concerné.  » Comme moi, bien que je n’aie tué personne ( il a été suspendu à vie, ndlr), certains de ces détenus avaient été condamnés à perpétuité. Mais j’ai réussi à me retrouver.  »

Quelques mois plus tard, en avril 2018, c’était le début de la renaissance : il négociait une transaction de cinq millions de dollars (plus les frais de justice) avec le département américain de la justice. Ce montant ne représentait qu’une petite partie des 97 millions de dollars exigés mais, selon le clan Armstrong, le deal était équitable. Il avait été conclu sur base de jugements qui démentaient la thèse selon laquelle l’entreprise étatique US Postal, l’ex-sponsor de son équipe, aurait subi de lourds préjudices en raison de l’affaire de dopage. Soulagé, Armstrong postait sur Twitter une grosse flèche noire avec un mot : FORWARD ( voir plus bas).

Lance 2.0: plus fort que jamais
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Pourtant, Armstrong n’est pas encore totalement réconcilié avec son passé nébuleux. Il a, certes, déjà exprimé plusieurs fois ses regrets vis-à-vis des adversaires qu’il a malmenés et a tenté – pas toujours avec succès – d’arrondir les angles. Par contre, il fait preuve de moins de remords vis-à-vis du dopage car il estime que c’était un phénomène qui avait cours à son époque.

 » Si je pouvais faire un bond dans le passé et rouler dans un peloton qui n’utilise que du pain et de l’eau, je gagnerais aussi sept fois le Tour de France « , disait-il en septembre à USA Today, insistant sur le fait que, dopage ou pas, il était encore très fier des sacrifices effectués et de la préparation de Spartiate qu’il s’infligeait.

L’Américain est prêt à endosser ses responsabilités mais il refuse de porter seul le chapeau alors que d’autres dopés, comme Richard Virenque, sont désormais consultants et qu’on ne leur a pas retiré leurs victoires. Même aux États-Unis, nombreux sont ceux qui ne lui ont pas encore pardonné son passé et ça le chagrine.

 » Alex Rodriguez ( une star du base-ball suspendue pour dopage aux hormones de croissance et aux stéroïdes l’an dernier, ndlr) a été pardonné. Il n’a pourtant pas versé un demi-milliard de dollars et n’a pas tenté de sauver des vies avec une fondation contre le cancer ( Livestrong, ndlr) « , dit-il.  » N’est-ce pas ironique ?…  »

Armstrong sait parfaitement que ses aveux dans l’émission télévisée d’ Oprah Winfrey en 2013 ne l’ont pas aidé à redorer son blason car il s’est montré trop froid, trop superficiel, trop peu convaincant. C’est pourquoi il collabore désormais avec la chaîne ESPN à la réalisation d’un 30 for 30, une célèbre série documentaire au cours de laquelle il racontera son histoire.

 » La seule chose que je puisse faire, c’est être moi-même, transparent et honnête, même si c’est dur « , dit-il. Armstrong sait pourtant que, malgré sa confession et sa lutte contre le cancer (sans Livestrong, qui a coupé les ponts avec lui) beaucoup de gens continueront à le considérer comme le diable. The Boss ne laissera jamais personne indifférent : on l’aime ou on le déteste.

Lance, le sportif

Même si, à 47 ans, le cheveu se fait grisonnant, Armstrong reste un sportif dans l’âme. Moins compétiteur, moins agressif et moins obsédé, certes. Il ne s’inflige plus une vie d’ascète.  » J’aime toujours m’entraîner mais je ne mange plus comme un lapin et je ne me pèse plus chaque jour, je n’ai plus besoin de ça « , disait-il l’an dernier dans Austin Fit Magazine.

Mais chassez le naturel, il revient au galop.  » Je suis une high energy person, j’ai besoin de me fixer des objectifs. Ma journée n’est pas complète si je ne souffre pas un peu. C’est comme un reset. Quoi qu’il m’arrive – sur le plan émotionnel ou de la santé – après un exercice, je sais que je suis prêt à me battre.  »

Souffrir, Armstrong l’a fait début novembre 2018, lorsqu’il a participé à la La Ruta de los Conquistadores, au Costa Rica. Une épreuve de VTT de trois jours dans la jungle, terriblement exigeante.  » J’ai souffert cinq fois plus que jamais « , dit-il après avoir composé avec des problèmes d’estomac et de déshydratation à cause de la chaleur mais avoir tout de même franchi la ligne d’arrivée.  » Je deviens vieux « , ajoutait-il, confronté à la réalité.

En raison des conditions hivernales à Aspen, où il habite, il est ensuite passé à la course à pied ( voir encadré). Avec un nouvel objectif : l’Austin Marathon, en février 2019. Inscrit en qualité de charity chaser, il est parti 22 minutes après le reste du peloton. À chaque fois qu’il rattrapait un participant, il engendrait un dollar pour une bonne oeuvre. Dans un temps respectable de 3h02’13 (son record personnel est de 2h46’43 » au marathon de New York 2007), le Texan a dépassé 2593 des 2652 partants.

La maison de Lance Armstrong au Texas.
La maison de Lance Armstrong au Texas.© GETTYa

Un crowdfunding a également été lancé afin de permettre à toute personne le souhaitant de verser de l’argent à une des 28 bonnes oeuvres qu’il soutient. Armstrong a posté ces 42 km ainsi que tous ses entraînements à vélo et en course à pied sur la célèbre plate-forme d’entraînement Strava. Il est devenu un des  » amateurs  » les plus suivis : 115.000 followers, c’est 24.000 de plus que Greg Van Avermaet, autre fan de Strava. Fin avril, l’Américain a annoncé qu’il allait quitter Strava pour Map My Ride, propriété d’ Under Armour, une entreprise cotée en bourse et surtout connue pour ses vêtements de sport.

Lance Armstrong a confessé s'être dopé à la célèbre présentatrice américaine Oprah Winfrey en 2013.
Lance Armstrong a confessé s’être dopé à la célèbre présentatrice américaine Oprah Winfrey en 2013.© GETTYa

Un accord commercial car, bien qu’il soit suspendu à vie et ne puisse prendre part à des épreuves de sport officielles (il peut participer à des événements locaux ne donnant pas lieu à une qualification pour un championnat), il reste un sportif amateur qui génère des revenus. Et le businessman qui sommeille en lui l’a parfaitement compris.

Lance, le (nouveau) millionnaire

 » Ça a sauvé ma famille « , admettait Armstrong fin 2018 dans une interview accordée à CNBC. Il parlait des 100.000 dollars investis dans le fonds de capitaux à risque Lowercase Capital de Chris Sacca. Sans même s’en apercevoir, The Boss entrait ainsi dans le capital d’Uber Technologies Inc, le service de taxi alternatif qui, à l’époque, ne pesait que 3,7 millions de dollars. Un pari en plein dans le mille.

 » Trop beau pour être vrai  » et  » une assurance-vie  » pour sa famille, disait-il. Après ses aveux de dopage, il avait dû verser de fortes indemnités compensatoires, payer les frais juridiques et avait perdu de nombreux sponsors. Il avait ainsi vu une partie de sa fortune (100 millions de dollars, selon lui) partir en fumée.

Après cette interview, les réseaux sociaux ont fait un calcul sommaire. Sur base de son cours lors de l’introduction en bourse et de sa valeur actuelle (entre 100 et 120 milliards de dollars), Uber aurait été valorisée de 80 à 90 milliards de dollars. Arsmtrong posséderait ainsi des actions pour deux à trois milliards. Selon la chaîne spécialisée et bien informée Bloomberg, il ne s’agirait pourtant  » que  » de 30 millions, revus à 20 millions après frais et taxes. Ce qui représente tout de même vingt fois son investissement de départ.

Entre-temps, avec l’aide de Lionel Conacher, un investisseur expérimenté, Armstrong a également lancé sa propre société de capitaux : NEXT VENTURES. Son objectif est de  » maximiser les possibilités de croissance dans des domaines en pleine expansion comme l’alimentation sportive, le fitness et le bien être.  » Début janvier, il a déjà annoncé un premier investissement dans PowerDot, qui a développé un stimulateur musculaire favorisant la récupération après l’effort.

Thérapies familiales à l’appui, Armstrong a dû expliquer à ses enfants comment il est devenu le plus grand banni du monde du sport.

Armstrong est également toujours propriétaire de Mellow Johnny’s, un grand magasin de cycles à Austin (Texas) dont le nom fait référence au maillot jaune.  » Tout le monde fait le lien entre Mellow Johnny’s et moi « , disait Armstrong l’an dernier dans Austin Fit.  » L’attrait, c’est la combinaison entre le magasin de cycles et le café Juan Pelota ( Juan est proche de one en anglais et pelota signifie balle en espagnol, référence au cancer des testicules dont Armstrong a souffert, ndlr), ce qui en fait le coolest bike shop au monde.  »

Anna Hansen, la fiancée de Lance Armstrong, avec leur fils Max.
Anna Hansen, la fiancée de Lance Armstrong, avec leur fils Max.© GETTYa

Le merchandising de Mellow Johnny’s, surtout, fonctionne de nouveau à merveille alors qu’après ses aveux de dopage, les ventes avaient chuté en flèche. Les finances du Boss se portent à nouveau très bien.

Lance, la star du podcast

Il y a trois ans, début 2016, l’Américain lançait une autre entreprise liée au sport : WED? (prononcez We Do) Sport Company. Son objectif :  » Créer une communauté de personnes qui aiment le sport d’endurance.  » Notamment en mettant lui-même sur pied des événements, comme les randonnées cyclo ou VTT Aspen 50 et Texas 100.

C’est ainsi qu’en juin 2016, Armstrong a lancé le podcast The Forward. Des personnalités issues de tous les domaines – politique, musique, show business, sport… – y traitent de divers sujets, sauf de cyclisme. L’émission se veut conviviale et philosophique avec, pour fil rouge, la nouvelle identité des invités qui, comme lui, ont regardé de l’avant ( Forward) après un coup dur.

Avant le Tour 2017, le septuple vainqueur déchu a lancé un nouveau podcast : Stages, au cours duquel il donnait son avis d’ancien coureur après chaque étape dans un dialogue avec le présentateur radio JB Hager. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il a atteint les cinq millions de téléchargement. Même des coureurs qui prenaient part au Tour avouaient écouter chaque jour.

En 2018, Stages a changé de nom pour devenir THEMOVE et le nombre d’émissions est passé à cinquante par an avec, outre le Tour, des analyses de l’Ironman de Hawaï, des classiques printanières et du Giro.

Invité par le richissime sioniste Roni Flamer, Armstrong s’est même rendu en Israël pour couvrir la Grande Partenza de Jérusalem. Sans accréditation car, pour RSC (l’organisateur du Giro), ASO (l’organisateur du Tour) et l’Union Cycliste Internationale, il ne fait plus partie du monde du cyclisme.  » À nos yeux, il n’existe plus « , disait le communiqué officiel.

Les auditeurs de ses podcasts ne seront pas d’accord. Ils sont de plus en plus nombreux et on retrouve même parmi eux des gens qui le détestaient et qui maintenant, l’adorent. Cette année encore, ils ont été beaucoup à écouter ses analyses des classiques printanières et à suivre un livestream retransmis par cinq cameras sur la page Facebook de WED.

Cette année, ils ont aussi droit à un deuxième consultant, George Hincapie, ex-équipier d’Armstrong qui fait figure de nice guy, le type qui tempère les analyses toujours tranchées et parfois tranchantes d’Armstrong.  » On ne fait pas semblant. Cette alchimie existe vraiment, c’est le reflet de notre amitié « , insiste Armstrong.

Lors du dernier Tour de France, Armstrong a également souvent appelé Johan Bruyneel, son ex-directeur sportif (également suspendu à vie), dont il est toujours très proche. Lors du Giro, qu’il suit depuis sa maison de Madrid (et ce sera aussi le cas lors de la Vuelta), il est même le consultant fixe de THEMOVE, à nouveau présenté par JB Hager. Lors du Tour, Armstrong et Hincapie prendront le relais mais Bruyneel sera invité.

Le succès des podcasts a attiré des sponsors, dont High Brew Coffee, Helix, Onnit et Patron Tequila, l’investisseur le plus important – c’est pourquoi Armstrong choisit chaque jour le Patron of the Day. Une ligne de merchandising WED? a également vu le jour. Depuis l’an dernier, en échange de soixante dollars, vous pouvez recevoir un season pass qui vous permet de suivre tous les directs, d’envoyer des questions à Armstrong et ses invités et d’avoir accès à des récits ou à des articles de merchandising exclusifs.

Lors du dernier Tour de France, le sponsoring, le merchandising et les abonnements auraient rapporté pas moins d’un million de dollars. Plus que les événements sportifs, ces podcasts sont devenus le véritable pilier de WED?. Même si, selon Armstrong, l’important n’est pas de générer beaucoup d’argent :  » Nous ne voulons pas devenir Google. Nous sommes heureux, nous nous amusons.  »

Cela fait surtout partie d’une stratégie qui permet au tricheur repenti de reprendre le contrôle de l’histoire du Nouveau Lance. Comme il le fait lors de conférences aux États-Unis (il a fait une tentative en Belgique lors du Tour des Flandres 2018 mais elle a été annulée en dernière minute). L’Américain contrôle ainsi le contenu de son message. Sans tabou et sans retenue, cependant.

 » Je ne veux plus rendre de comptes à personne « , dit-il. Et c’est bien cela qui l’intéresse. Dorénavant, il ne fait plus que ce dont il a envie, sans contrainte familiale, juridique ou financière.  » Si quelque chose ne me touche pas au coeur, je ne le fais pas « , dit-il.

Lance 2.0 : plus heureux, plus libre et plus fort que jamais. Au grand dam de ceux qui l’envient.

Lance 2.0: plus fort que jamais
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Amateur d’art

Pendant des années, Lance Armstrong a vécu entre sa ville d’Austin, au Texas, et Aspen, dans l’état du Colorado. Aujourd’hui, il vit à temps plein dans la station de sports d’hiver des Rocky Mountains, dans le quartier chic du West End, où il a acheté une villa de style classique (9 millions d’euros) il y a dix ans : 560 mètres carrés, cinq suites, une cave à vin impressionnante, un jacuzzi, une family room avec billard et un grand garage rempli de matériel de ski et de 25 à 30 vélos pour toute la famille. Il a fait décorer sa villa par le célèbre architecte Roy W. Materanek et y a amené sa belle collection d’art contemporain avec, entre autres des oeuvres de l’artiste britannique Banksy. Lorsqu’il était coureur, déjà, Armstrong aimait l’art. Aujourd’hui, c’est devenu son  » obsession secrète.  »

Lance Armstrong lors de sa victoire au Tour en 1999.
Lance Armstrong lors de sa victoire au Tour en 1999.© GETTY

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