Laisser une trace

Bruno Govers

Le Serbe veut enfin terminer meilleur buteur belge cette saison. Avant de tirer sa révérence ?

Neuf buts en huit matches, c’est l’appréciable total réalisé jusqu’ici par Nenad Jestrovic sous la coupe de Franky Vercauteren. Samedi dernier, à défaut d’une prestation d’anthologie contre Lokeren, le buteur serbe du Parc Astrid aura eu le mérite de plier définitivement la partie en faveur de ses couleurs en convertissant un penalty, son septième cette saison. Soit la moitié de ses 14 réalisations à ce stade de la compétition.

Nenad Jestrovic : Avant la rencontre, dans le couloir d’accès menant au terrain, j’avais demandé à mon grand copain Zvonko Milojevic de quel côté il plongerait si d’aventure j’étais amené à devoir botter un coup de réparation. Il m’a répondu, à la rigolade, que je pouvais choisir puisqu’il n’avait pas de préférence pour un côté. En frappant au milieu du but, contrairement à mes habitudes, je l’ai eu. Mine de rien, ce goal était important. Car avec une avance d’un but seulement à la marque, nous restions à la merci d’un contre de l’adversaire. A moi aussi, il m’a fait du bien. J’avais dû céder le maillot du meilleur buteur au Standardman Sambegou Bangoura : grâce au but qu’il avait inscrit face au Germinal Beerschot, il m’avait à nouveau devancé. Même s’il n’est pas des plus beaux sur le plan esthétique, c’est quand même un maillot auquel un goal-getter ne reste pas insensible. Et je tiens encore à le revêtir cette saison.

Une nouvelle ère a-t-elle débuté pour vous depuis que Franky Vercauteren a repris les rênes ?

Oui. Pour toutes sortes de raisons, Hugo Broos ne m’avait pas prévu dans ses plans de bataille au départ de cette campagne. Le jour même de notre première séance de préparation, il m’avait dit : – Nenad, ne sois pas surpris si tu n’es plus prioritaire en attaque. En guise de retrouvailles, c’était plutôt réussi, n’est-ce pas ? (il grimace) Mais, au moins, je savais à quoi m’en tenir. Ma seule et unique préoccupation, tout au long des matches amicaux d’avant saison, consistait à prouver au coach qu’il se trompait. A plus d’une reprise, je pensais avoir marqué des points. Face à Lyon, notamment, une partie à l’occasion de laquelle j’avais inscrit le seul but. Malgré ma bonne forme, Broos ne tenait visiblement pas à déroger au tandem formé d’Aruna Dindane et Mbo Mpenza en pointe. Pourtant, même un aveugle pouvait se rendre compte que ces deux-là n’étaient pas des plus complémentaires, mais soit. J’ai bien cru en une réhabilitation définitive lors d’Anderlecht-Bruges à la fin des matches aller. La direction, à l’époque, avait été très claire : si l’entraîneur voulait poursuivre sa mission, un succès devant les leaders du championnat était un must. Ce soir-là, j’avais offert la victoire in extremis à mes couleurs, sauvant par là même la tête de Broos. Tout autre mentor aurait été des plus reconnaissants mais, pour tout remerciement, j’ai été prié de retourner sur le banc. Si Franky Vercauteren n’avait pas assuré la relève, j’y serais peut-être toujours.

Tournant au Lierse

Comment expliquer ce court-circuit avec Hugo Broos après quatre années de vie commune : à Mouscron d’abord, puis au Sporting ?

Franchement, je ne sais pas. Au total, j’ai marqué quelque 70 buts sous ses ordres et, à deux reprises, je lui ai tendu une main salvatrice. La première fois aux Girondins Bordeaux, au moment où l’équipe filait du mauvais coton à l’automne 2002, et la dernière face aux Bleu et Noir. Au lieu de me rendre la pareille, il a eu tendance, au contraire, à m’enfoncer tant et plus. En diverses circonstances, nous n’avons pas été sur la même longueur d’ondes cette saison. Il y a d’abord eu maldonne quand je me suis entraîné avec l’équipe de Serbie & Monténégro alors que je n’avais soi-disant pas reçu son feu vert. Il m’a mis à l’amende aussi pour m’être présenté avec dix minutes de retard dans le vestiaire, alors que j’étais bel et bien à heure et à temps sur le terrain, comme tous les autres. Il me cherchait. J’admets volontiers que je n’ai pas été le seul à me trouver dans l’£il du cyclone. Vincent Kompany, Walter Baseggio, Pär Zetterberg et tous les attaquants ont eu à l’un ou l’autre moments maille à partir avec lui. Même le brave Oleg Iachtchouk s’est révolté, c’est tout dire. Indépendamment de ce qu’il pouvait bien reprocher aux autres, son problème avec moi était tout simplement son incapacité à se glisser dans ma peau, afin de comprendre mes sensations. Ou bien il s’acharnait sur moi sous prétexte que je ne me livrais pas corps et âme à l’entraînement, ou bien il me tançait quand je chatouillais les tibias d’un coéquipier. Ce que je faisais, ce n’était jamais bon. Mais qu’est-ce qui est important, finalement ? Marquer des points aux yeux du coach, à l’entraînement, ou marquer des buts le week-end pour l’équipe ? Poser la question, c’est y répondre.

Avec Franky Vercauteren, il n’y a pas de friture sur la ligne ?

Non sauf j’ai tenu à tout prix à botter un deuxième coup de réparation, au Lierse, après avoir raté le premier. Il voulait absolument que ce soit Zetterberg, ou n’importe quel autre joueur, qui se charge de cet exercice. Mais puisque aucun de mes coéquipiers, à l’évidence, n’était chaud à l’idée de s’acquitter de cette tâche, je ne me suis pas fait prier. Depuis mon arrivée en Belgique, en l’an 2000, c’était la première fois que je loupais, au Lisp, la transformation d’un péno. Je n’allais quand même pas me fourvoyer deux fois d’affilée (il rit). Les faits m’ont donné raison. Avec le recul, en revoyant les images de la scène à la télé et sur vidéo, je mesure quand même que j’ai joué avec le feu. Vercauteren fulminait comme je ne l’avais encore jamais vu auparavant, au moment où je me suis emparé du ballon. Si j’avais échoué dans ma tentative, et si nous étions revenus les mains vides de ce déplacement, peut-être aurais-je perdu tout crédit aux yeux du nouvel homme fort de l’équipe. Heureusement, il n’en a pas été ainsi et, depuis lors, Anderlecht a aligné une série de résultats très probants. Sans compter que j’ai été à la fête aussi, puisque j’ai grimpé sensiblement au classement des buteurs.

Ces deux unités perdues au Lierse, qui s’ajoutent à trois autres galvaudées contre Ostende, une semaine plus tôt, ne risquent-elles pas de peser de tout leur poids lors du décompte final en championnat ?

C’est une manière d’analyser la situation, effectivement. Davantage que les points abandonnés au Lierse, ce sont les trois concédés aux Côtiers qui font mal. Pour moi, ces cinq unités représentent le tribut que nous avons payé à un changement de style, puisque du 4-4-2 nous sommes passés à un 4-3-3 nettement plus en adéquation avec le style de la maison. Cette modification, survenue en pleine saison, entraînera peut-être davantage que la perte de cinq points, si le titre nous échappe. Mais, à long terme, le club en tirera profit. Si le RSCA persévère sur le même canevas, avec Vercauteren à sa tête, un avenir radieux lui est promis. Dans ce système, je me régale en tout cas. C’est un véritable plaisir d’être à l’affût dans les 16 mètres en attendant un service judicieux des flancs. Dans ces conditions, nul ne s’étonnera que j’aie retrouvé mes sensations de buteur. Je ne veux pas jeter la pierre à Broos mais, avec lui, mon terrain d’action ne se limitait pas à la surface de réparation adverse. Il voulait que je participe aussi à l’élaboration des mouvements offensifs et que j’apporte ma pierre à la récupération du cuir. C’est oublier que ma force, c’est le rectangle. Donnez-moi un bon ballon dans ce périmètre et je le mets au fond des filets. Le coach actuel le perçoit mieux. En tant qu’ancien défenseur, Broos voyait surtout le football sous cet angle. Comme ex-médian offensif, son successeur est plus tourné vers l’attaque. C’est tout profit pour moi.

Sortir par la grande porte

A deux reprises, vous avez été deuxième au classement des buteurs en Belgique. La troisième fois sera-t-elle la bonne ?

En réalité, il y a déjà eu une troisième fois puisque j’ai terminé à la place de dauphin également à l’OFK Belgrade. Je n’ai pas envie de devenir le Raymond Poulidor du football, c’est pourquoi, à dire vrai, j’espère terminer ce coup-ci sur la plus haute marche du podium. Même si je n’en fais pas une fixation. Il n’empêche, ce serait dommage de ne pas en arriver là. Si je divise mes minutes de présence sur le terrain par le nombre de buts que j’ai signés jusqu’à présent en Belgique, j’arrive à une moyenne d’un goal par match. Vu ces données chiffrées, il serait regrettable de ne pas enlever la palme. Jestrogoal doit laisser une trace dans le football belge. Et seul un titre de meilleur réalisateur en est garant dans les statistiques. Au train où vont les choses, ce sera cette année ou peut-être jamais. Car je ne sais trop si Anderlecht désire me garder.

S’il est exact que votre tête est mise à prix pour 1,7 million d’euros, vous vous recaserez sans peine. Au PSG ?

Les rumeurs vont bon train pour le moment. Mais sont-elles fondées ? J’ai entendu que le Sporting demandait 10 millions d’euros pour Christian Wilhelmsson. Un Wilhelmsson, ça vaut réellement six Jestrovic d’après vous (il rit) ? A ce tarif-là, c’est vrai, je trouverai sans nul doute chaussure à mon pied. Si tant est que je parte, du moins. Moi-même, je ne cache pas que je suis heureux ici. C’est grâce au Sporting que je suis devenu international, je ne l’oublierai jamais. D’un autre côté, j’ai presque 29 ans. Si je veux réaliser un dernier transfert juteux, c’est le moment ou jamais.

Vous avez été souvent blessé lors de vos années anderlechtoises. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir toujours une dette envers ce club ?

J’ai loupé 15 mois ces dernières années à cause de problèmes au tibia, au genou et au bras. Je n’y suis pour rien, c’est la fatalité qui l’a voulu. Chaque fois, je suis revenu alors que certains n’osaient pas miser un euro sur mon rétablissement complet. Comme Aimé Anthuenis, qui m’a même cru à un moment donné perdu pour le football. Si je suis là aujourd’hui, je le dois essentiellement à ma volonté et à ma foi. Et à chaque période où j’ai été pleinement opérationnel, je pense avoir fait tout ce que l’on attendait de moi : empiler des goals. Aussi, j’estime que le club et moi, nous sommes quittes.

Vous n’avez pas l’impression, parfois, d’avoir davantage la cote auprès du public qu’auprès de la direction ?

Disons qu’elle ne fait rien pour me pousser vers la porte de sortie, mais rien non plus pour me retenir. Si les dirigeants veulent monnayer mon talent, je ne les en empêcherai pas. Mais une chose est sûre : si je sors d’ici cette saison, je veux que ce soit par la toute grande porte.

Avec un maillot de meilleur buteur sur le dos ?

Exactement.

Bruno Govers

 » Broos me CHERCHAIT. Et je n’étais pas le seul  »

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