LA VRAIE CAPITALE du foot anglais

Saviez-vous que Sir Alex Ferguson, le manager de ManU, a apporté cette année sa contribution au titre de son rival, City ? C’est l’une des révélations de l’historien du football, Gary James, qui nous a servi de guide à Manchester.

La crise, quelle crise ? Le nord-ouest de l’Angleterre a un taux de chômage élevé et on le dit miséreux. Les statistiques officielles le confirment. En 2013, la croissance économique sera négative et, selon les chaînes radio, l’avenir s’annonce encore plus sombre que le présent. Mais le Mancunian moyen ne se laisse pourtant pas impressionner. Les fêtes de fin d’année approchent à grands pas, et l’heure est venue de faire ses emplettes. Un énorme Père Noël gonflable camoufle une bonne part de l’hôtel de ville où Vincent Kompany a fièrement fêté le titre il y a six mois. La cité brille de tous ses feux, avec ses boutiques chic, ses marques onéreuses, ses prix fous. Ce qui n’empêche pas les smartphones et les tablettes de s’écouler comme des petits pains.

Une bombe a éclaté en 1996, en plein coeur commercial de la ville. Plusieurs bâtiments ont alors été détruits. Partout, ce n’étaient que tessons, chaos, plaies. Mais Manchester ne s’est pas apitoyée sur son sort. Elle a considéré le drame comme une chance. Elle a reconstruit et réaménagé le centre. Des bâtiments de verre se sont glissés entre les vieilles maisons en brique datant de l’époque où Manchester était le coeur de la révolution industrielle. Un habitant confie que si on peut considérer 1996 comme un trou noir, la relance qui a suivi a aidé la ville à surmonter la récession actuelle.  » Nous nous portons mieux que d’autres métropoles du nord.  »

Il y a cent ans, les gens d’ici disaient :  » Ce que Manchester fait aujourd’hui, Londres le fera demain.  » Manchester estimait être  » le coeur travailleur de l’Angleterre.  » Ce temps est révolu car trop d’industries ont disparu. De nos jours, Manchester s’est proclamée  » l’usine à idées « . Le football en fait partie. Manchester est la capitale du football. Ce n’est pas un hasard si on y a inauguré le musée national du football, l’été passé. Le week-end prochain, ses deux représentants s’affrontent dans un derby âpre, qui déterminera quelle équipe donnera le ton en Premier League.

Le rouge et le bleu

Nous rencontrons Gary James, biographe du football mancunian et fan de City, à la cafétéria du musée. James :  » Au début des années 80, il y a eu un débat : quelle était la troisième ville d’Angleterre ? Liverpool ou Manchester ? Qui venait après Londres et Birmingham ? En 1998, la nature du débat a changé : quelle était la deuxième ville du pays ? Manchester ou Birmingham ? Maintenant, nous considérons que nous sommes deuxièmes, derrière Londres, et nous ne nous occupons pas d’elle. C’est partout pareil. Barcelone se comporte-t-elle comme si elle était la deuxième ville d’Espagne ? Munich n’est-il pas une sorte de capitale ? Ou Amsterdam, Milan… La BBC a déménagé son département sportif à Salford, dans le grand Manchester. United domine le football depuis des années, il est célèbre dans le monde entier et voilà qu’une deuxième équipe brigue ce statut…  »

James est un enfant des années 60. Il est issu d’une famille banale, partagée sur le plan footballistique. Il y avait des familles qui supportaient unanimement City et d’autres qui ne juraient que par United mais elles constituaient l’exception. La plupart des familles étaient partagés. James :  » Le côté maternel était plutôt rouge tandis que la famille de mon père était bleue. J’ai opté pour City mais en fait, j’avais le choix.  »

Ce choix n’est pas lié à la religion. James :  » Beaucoup de gens ont déjà tenté d’opérer un lien, associant United aux catholiques. Quand on se penche sur l’histoire de United, on découvre une certaine influence catholique, à certaines périodes, mais sans que les offices aient été importants. City est à l’origine l’équipe de la ChurchofEngland, protestante, mais cet aspect a disparu au bout de cinq ans. La première grande équipe de City a été managée par un catholique. Les deux religions cohabitaient en paix. Par contre, il y a une division géographique : le côté ouest de la ville est plutôt en faveur d’United et l’est est acquis à City ; Beaucoup de supporters de City affirment que le centre de la ville est pro City. C’était vrai il y a vingt ans mais la domination de Manchester United en Premier League a changé la donne.  »

Parfois, les deux clubs ont brillé de concert, l’un s’adjugeant la Coupe, l’autre le championnat mais c’est plutôt exceptionnel. En général, quand l’un se porte bien, l’autre est dans le creux de la vague, précise James. Le dernier passage à vide de City, dans les années 90, correspond aux années de gloire d’United. James :  » Ce qui est étrange, c’est que les supporters ont davantage soutenu ce City mal géré que dans les années 80. C’est une logique perverse : plus l’équipe était mauvaise, plus ses supporters lui étaient fidèles, à domicile et en déplacement, semaine après semaine. L’année dernière, le club a repris cette devise : Together. C’était vrai dans une certaine mesure mais pas comme dans ces sombres années 90.  »

Best et Marsh

Le club aurait pu disparaître et pourtant, on perçoit une certaine nostalgie à l’égard de cette époque, quand le football anglais était encore britannique. James opine :  » La Premier League a complètement changé le football. L’argent est devenu très important. Les sous, la télévision… Les supporters de mon âge et les plus âgés sont unanimes : le football n’est plus ce qu’il était. Ma fille de quinze ans m’accompagne et je dois dire qu’elle éprouve la même passion que moi à son âge, malgré tout.  »

 » Rodney Marsh, un demi-fou, a été mon premier héros « , observe James. Mon père répétait : – Ah, ce Rodney Marsh, c’est de l’énergie perdue, de l’égoïsme. Il ne s’intéresse pas au club, il préfère la vie nocturne. Les autres avaient George Best… Je pense la même chose que mon père quand je vois les frasques de Mario Balotelli. Ma fille, elle, trouve qu’il est le meilleur. Cette nostalgie… mon père me parlait souvent de notre gardien Bert Trautmann, qui avait joué la finale de la Coupe malgré une fracture du nez. Il estimait qu’à son époque, le football était fait de courage. J’ai pensé la même chose de mon temps et je suppose que ma fille trouve aussi sa génération meilleure. Conclusion : rien ne change. Le style sans doute, la vitesse, mais pas l’essence du sport : onze joueurs, un ballon et des supporters déchaînés.  »

Dimanche, les deux clubs-phares du football anglais s’affrontent. Qui est le meilleur ?

James :  » Il y a un an environ, Chelsea a battu City 2-1, mettant fin à une série de matches sans défaite. Nous sommes toujours invaincus, n’ayant concédé qu’un nul. Sur papier, nous sommes meilleurs que la saison passée mais c’est bien le seul point positif. United est plus fort que la saison dernière puisqu’il a conservé son équipe en y adjoignant Robin van Persie. City a perdu Nigel De Jong, au grand mécontentement des supporters. Aucun des protagonistes n’a encore atteint le niveau de l’exercice précédent. Le meilleur est à venir. Les joutes européennes qui précèdent le derby y ajoutent du piment. United est qualifié et peut se permettre d’aligner une équipe moins forte. City est bouté de la Ligue des Champions mais peut aspirer à l’Europa League. Les supporters ont faim de succès. Un trophée est un trophée et quand on a dû patienter 35 ans, on ne boude pas son plaisir. Je préférerais que City reconduise son titre, quitte à déléguer une équipe moins costaude à Dortmund, pour être en meilleure forme dimanche… C’est nécessaire sinon United sera avantagé, même si, je l’avoue, je pense qu’il est mieux armé que nous. Attention, cela ne veut pas dire qu’il va gagner mais le score ne sera pas de 6-1 pour City.  »

L’Asie à la rescousse

Fait marquant, alors que les nouveaux propriétaires d’United ont dû faire face à moult protestations, qui ont même conduit à la formation d’une autre équipe, le FC United of Manchester, les investisseurs de City ont été accueillis à bras ouverts. James nous explique pourquoi.

 » En mars 2007, City a effectué une nouvelle traversée du désert. Nous avions le sentiment qu’il avait perdu son fil et ne se redresserait plus jamais. Puis, cet été-là, Thaksin Shinawatra, l’ancien premier ministre thaïlandais, est arrivé. Quand je me rappelle la manière dont il a été accueilli… Pas un mot sur ses convictions politiques, son histoire, l’origine de ses fonds… La majorité pensait : – Nous voilà riches, nous allons remporter le titre. Il a enrôlé Sven Goran Eriksson, qui a immédiatement fait du bon travail, qui a battu United. Tout était positif. En fait, Thaksin a manipulé la presse, il écumait les fêtes… Mais nous avions besoin de cette reprise pour effectuer un pas en avant. Sunderland, Newcastle, City, Villa, Everton, voire même Liverpool, les géants d’antan, avaient perdu leur lustre en Premier League, faute de capitaux, et malgré l’arrivée de nouveaux propriétaires. Comme United le prouvait, il suffisait d’un peu de succès dans ce nouveau football pour générer encore plus d’argent. Les gens ont la mémoire courte mais United a perdu de l’argent à cause de la mise sur pied de la Premier League.  »

Thanksin a rendu espoir à City avant d’éveiller la méfiance.  » Possédait-il l’argent promis. Ne risquait-il pas d’être arrêté ? En septembre 2008, le dernier jour de la campagne de transferts a confiné à la folie. Cela a commencé par la rumeur selon laquelle City allait vendre Corluka à Tottenham, contre le gré des supporters. Puis nous avons appris notre reprise par quelqu’un d’Abu Dhabi. Selon les premiers bruits de couloir, nous allions transférer Michael Owen puis la direction a annoncé Berbatov. En fin de compte, ce fut Robinho. Des gens se sont rendus au stade déguisés en cheikhs, en guise de dérision. Je ne sais pas quelle explication on a fourni au Moyen-Orient… le lendemain, Suleiman Al Fahim est venu expliquer la reprise à la télévision. Il a cité une volée de noms. Les gens ont recommencé à se moquer : nous allions acheter Ronaldo pour… le mettre derrière le bar. Les premières 40 heures ont été débridées. En fait, Abu Dhabi ne voulait pas d’un tel scénario : il avait programmé une reprise respectueuse et calme. Les supporters ont rapidement compris que, pour la première fois depuis la création de la PremierLeague, City pouvait briguer un trophée. Année après année, l’équipe a progressé. Cette saison est peut-être la première durant laquelle nous avons le sentiment de ne plus avancer sportivement mais tout peut changer d’ici le mois de mai, si nous remportons le titre, voire la Coupe.  »

Des jeunes du cru

Il est normal que les réactions aient été différentes dans les deux clubs.  » United faisait du bénéfice et celui qui le rachetait était soupçonné de vouloir gagner de l’argent sur le dos du club, ce que les Glazer ont d’ailleurs fait. Pas City. Il faut aussi souligner que les propriétaires d’Abu Dhabi sont différents de leurs collègues de Chelsea : là où Abramovich mise sur le succès immédiat, ils ont une vision à long terme.  »

Revenons à United. Quand Alex Ferguson y est arrivé, en 1986, City avait une meilleure école des jeunes mais l’équipe-fanion engageait trop peu de joueurs chevronnés pour les encadrés, ce qui nuisait au développement des jeunes. Ferguson a investi beaucoup de temps et d’énergie dans la formation des jeunes, il a également survécu à quelques grains. James :  » En 1989, il s’en est fallu de peu et Abramovich l’aurait certainement renvoyé.  » Au coup d’envoi de la Premier League, en 1992, beaucoup de jeunes étaient déjà prêts.  » Scholes et Giggs jouent toujours, après avoir piloté United entre tant d’écueils, l’année dernière. United continue à produire des générations de footballeurs, même si la dernière n’est pas la meilleure. City a analysé la situation. Avec l’intronisation du fair-play financier, le club va suivre la voie du Barça et d’United, pas celle de Chelsea.  »

Il investit donc en hommes plutôt qu’en pierres. City a déjà un nouveau bâtiment pour le business, le complexe d’entraînement va être remplacé. À terme, City veut aligner des joueurs du cru, encadrés par quelques ténors.

James :  » L’avenir est-il bleu ? C’est possible. United va souffrir après le départ d’Alex Ferguson. Il ne sera pas rétrogradé mais il quittera le top six. Nul n’imaginait que Liverpool tomberait aussi bas… United n’est pas à l’abri de ce sort. City entreprend quelque chose que ni United ni Chelsea ni même Arsenal n’ont fait : investir dans le monde entier. Au Moyen-Orient mais aussi à New York, à Chicago… Chaque fois que City effectue une tournée, il laisse des traces. Terrains, maillots… Il espère ainsi gagner du soutien. Quand United effectue une tournée, il en profite pour ouvrir une boutique. Cela coûte aussi cher mais cela ne confère pas la même image. L’approche de City semble fonctionner.  »

Pour conclure, un parallèle avec Chelsea. James trouve intéressante la révolte des supporters contre Rafa Benitez.  » Les supporters de Chelsea ne se retournent pas contre leur président mais contre leur manager, Benitez. Pourtant, c’est Abramovich qui a limogé Di Matteo… Que se passerait-il si cela arrivait à Mancini, l’homme qui nous a offert le titre, ce titre que nous attendions depuis 1967, l’année de ma naissance ? Nous retournerions-nous contre le propriétaire ? Évidemment, personne ne souhaite son départ. Le cheikh veut que City s’autofinance et je suis sérieux quand je dis que dans dix ans, City sera un exemple pour tous les clubs anglais. À ce moment, la formation des jeunes sera au point et le club réalisera des bénéfices. Mais comment les supporters réagiront-ils en voyant les gains partir dans d’autres proches ou si City ne remporte plus de trophée ?  »

PAR PETER T’KINT

 » United va souffrir après le départ de Ferguson. Il ne sera pas rétrogradé mais il quittera le top six.  » (Gary James)

 » Dans dix ans, City sera un exemple pour tous les clubs anglais.  » (Gary James)

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