La vitesse malade
Triple vainqueur, il sera à Spa ce week-end pour les 24 Heures motos… comme réserve chez Suzuki !
Seule course belge sur piste de niveau mondial, les 24 Heures de Liège motos se dérouleront ce week-end à Francorchamps. La vitesse pure ne se porte pas bien chez nous, le moment est propice de dresser un état des lieux avec Stéphane Mertens qui, à 44 ans, demeure notre porte-drapeau au plus haut niveau.
Vous serez à Francorchamps, mais comme pilote de réserve chez Suzuki. Une situation étonnante pour un numéro 1 mondial !
Stéphane Mertens : Je défends les couleurs du team Zongshen dans le championnat mondial d’endurance où les 24 Heures de Liège ne sont pas reprises. Initialement, je devais donc faire l’impasse sur cette course. Mais elle me tenait trop à c£ur et j’ai répondu favorablement à l’invitation de Dominique Meiland, le team manager de Suzuki, quand il m’a proposé de le rejoindre au titre de réserviste. Je prendrai le guidon si un des pilotes titulaires déclare forfait pour une raison quelconque.
On peut se montrer surpris de l’absence des 24 Heures de Liège au calendrier mondial…
Pour comprendre la situation actuelle, un petit flash-back s’impose. Dans les années 80, les usines japonaises engageaient de gros moyens non seulement dans les trois rendez-vous majeurs en Europe û 24 Heures du Mans et de Liège, et Bol d’Or û mais aussi aux 8 Heures de Suzuka dont le retentissement en Orient était énorme. Puis, les temps sont devenus difficiles, diverses tentatives pour étoffer le calendrier ont échoué et la discipline s’est essoufflée. Les teams français se contentaient des deux courses dans l’Hexagone et effectuaient le déplacement à Francorchamps pour amortir le matériel ou tester de nouvelles solutions avant le Bol. La Fédération Internationale (FIM) a voulu relancer l’endurance et a confié cette tâche au promoteur italien Maurizio Flammini, qui avait déjà travaillé sur le Superbike.
En quoi cette décision explique-t-elle l’absence de nos 24 Heures au championnat ?
Ne me demandez pas les tenants et aboutissants exacts de l’affaire, je ne les connais pas. Je sais juste que les dirigeants des trois grandes courses ne sont pas arrivés à un accord avec Flammini et ont créé le Master of Endurance, parallèle à la compétition mondiale.
Un constructeur chinois
Le travail du promoteur commence-t-il à porter ses fruits ?
Globalement, le bilan est positif même s’il reste encore beaucoup à faire. Le titre se joue sur huit manches organisées dans différents pays et opposant des pilotes venus de tous les horizons. Alors que le Master reste dominé par les Français, la série officielle propose un plateau très international.
Vous en êtes une preuve vivante puisque vous y défendez le pavillon… chinois. Une nouvelle orientation ?
Rassurez-vous, je reste en Belgique ! Mais je fais effectivement partie de l’équipe créée par Zongshen, un fabricant chinois qui produit chaque année plus d’un million de motos. Pour l’heure, sa gamme ne propose aucune machine compétitive en course et des Suzuki sont donc alignées en course.
L’infrastructure de l’équipe est asiatique ?
Non, on y retrouve en majorité des Européens. Côté pilotes, après une tentative malheureuse il y a quelques années, les dirigeants de la marque voudront sans doute relancer un jour leurs compatriotes. Le tout sera de les former convenablement.
La formation, n’est-ce pas précisément ce qui manque aux jeunes motards belges ?
Vaste problème ! La vitesse pure ne se porte pas bien chez nous, il faudrait être sot pour le nier. Sans forfanterie, je demeure l’un des seuls Belges engagés dans une série mondiale, avec Werner Daemen en Supersport 600 et Sébastien Legrelle en BMW Boxer Cup. Michäel Paquay avait toutes les qualités requises pour aller très loin, mais il nous a malheureusement quittés trop tôt… Donc j’ai 44 ans, et je ne vois pas poindre la relève.
On y revient : nos jeunes sont-ils moins bien préparés que leurs homologues français, italiens ou espagnols ?
Il existe en Belgique des coupes monomarques, mais aucune filière n’est mise en place pour prendre en mains un gars doué et l’amener progressivement au plus haut niveau. Je note aussi que la pratique de la compétition moto est interdite aux moins de 15 ans, ce qui n’est pas le cas dans de nombreux pays voisins.
Les circuits utilisés pour les championnats de Belgique sont régulièrement montrés du doigt…
Ce n’est pas à Ostende ou à Gedinne qu’un jeune va apprendre à piloter en course ! Il doit faire ses premières armes à Spa ou à Zolder, sur de vraies pistes de vitesse. Malheureusement, il paraît que les tarifs de location des installations sont très élevés, ce qui contraint les organisateurs à se rabattre sur des sites occasionnels peu appropriés.
Dans les stages de pilotage que vous dirigez, vous n’avez jamais repéré une perle rare parmi vos élèves ?
Non, pas vraiment. Je vois surtout des gars qui pilotent bien et s’appliquent à mieux exploiter leur moto. Mais jamais je n’ai eu un stagiaire dont je me suis dit au premier coup d’£il qu’il pourrait aller très loin.
Nous vivons dans un petit pays et les budgets ont explosé ces dernières années. Cela rend-il la tâche des jeunes encore plus délicate ?
J’ai lu récemment qu’une saison en Grand Prix 250 coûtait 7 millions d’euros, c’est du délire. En 1986, j’avais calculé qu’avec 20 millions de francs, je pouvais disputer un championnat 250 complet au guidon d’une machine d’usine.
Pourtant, certains continuent à y croire, notamment l’un de vos anciens équipiers ?
Vous voulez parler de Michel Siméon, avec lequel j’ai gagné les 24 Heures de Liège 1995. Son fils Xavier a un énorme potentiel. Bien guidé par son père, il a disputé ses premières courses de pocket-bike en Belgique avant de mettre le cap sur l’Italie puis sur l’Espagne pour y rencontrer le gotha de la discipline. Très vite, il a joué les premiers rôles et il affronte désormais d’autres gamins de 13-14 ans dans des compétitions réservées à des motos 125 cc proches de la série. Les luttes y sont très serrées, mais Xavier tire bien son épingle du jeu et il va continuer sa progression. Si un Belge perce ces prochaines années, ce pourrait être lui.
De quoi faire rêver certains motards qui s’aligneront aux 24 Heures de Liège…
Je ne crois pas. La plupart des équipages belges sont composés d’amateurs passionnés qui ne songent plus à une carrière mais ne veulent pas louper l’occasion de tourner sur ce fabuleux tracé. Je suis comme eux, je prends un pied pas possible à Spa.
A 280 km/h, pas de droit à l’erreur !
Cette course est très éprouvante ?
Mentalement, il faut être solide car les vitesses atteintes imposent une concentration maximale. A plus de 280 km/h, il n’y a guère de droit à l’erreur ! Et puis la pluie est souvent au rendez-vous. Physiquement, la nuque souffre beaucoup, et les différences de température entre le jour et la nuit marquent aussi l’organisme.
Précisément, le pilotage nocturne pose-t-il des problèmes particuliers ?
Le circuit est peu éclairé, sauf devant les stands. Il importe donc d’avoir des repères précis et bien visibles dans tous les virages car, même si leur rendement s’est amélioré ces dernières années, les phares de motos sont loin de valoir ceux des voitures. Ils servent à voir, mais surtout à être vus par les concurrents plus lents. Ceux-ci savent qu’ils vont être doublés dès qu’ils distinguent dans leur dos un faisceau qui grossit rapidement.
Eric Faure
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