© INGE KINNET

La vie de ma mère

Une semaine que mon père est en voyage, ma mère est seule à la maison et ça l’arrange très bien. « La paix », qu’elle m’assure. « Je regarde ce que je veux à la télé, j’entends pas parler de foot et je m’en porte très bien ». Puis, elle enchaîne: « T’as entendu? Dries va peut-être aller à l’Antwerp ». C’est ça l’effet de trente ans de mariage avec un mec au coeur tendre, au sourire ravageur et au cerveau en forme de ballon de foot. À la maison, on a transformé tous les silences en observations tactiques et toutes les discussions fondamentales en rumeurs de mercato. Et ma mère s’en est même pas vraiment rendu compte.

En voilà un autre de problème avec ce Mondial en hiver: il ne se déroule pas en été.

Elle apprend ça sur la page d’accueil de sa tablette, des notifs sur lesquelles elle clique volontiers. Elle m’envoie des messages au cas où je manquerais des infos. Tout y passe. « T’as vu la nouvelle copine de Courtois? », « Vanaken va être papa, tu sais ça? », « Il a pas sa langue dans sa poche Radja« . Et dernièrement, le mariage de Meunier. Mais y a pas que les ragots qui l’animent. Elle a un regard qui s’encombre de rien. Pas de snobisme, pas d’intérêt, pas d’histoire: que des observations tranchantes, limpides. Je me souviens la première fois où elle a vu jouer Lukaku. Elle a dit: « Celui-là, il est costaud mais il contrôle pas bien ses pieds » et à l’époque elle avait pas tort. D’ailleurs, c’est tout ce qu’il y avait à dire sur Romelu. Pas de oui mais dos au but, oui mais Benteke, oui mais potentiel, oui mais Anderlecht. Non, juste: gros bras, gros tibias.

Alors quand elle me dit que Dries va rentrer en Belgique, j’ai tendance à lui faire confiance. D’autant que depuis le gros coup Radja et l’arrivée de Janssen, d’Overmars et de Van Bommel, les ambitions sont clairement affichées. Et on mise sur des noms. Et comme les Dost, Lang et Schreuder à Bruges, des noms hollandais de préférence. Des noms qui jouaient au Mexique la saison passée, certes, des noms qui ont peloté des culs, c’est vrai, et des noms pas encore confirmés comme entraîneur, peut-être. Mais des noms quand même.

En parlant de grands noms, j’ai entendu parler d’une embrouille entre Platini, Blatter et Infantino. Des mecs qui sentent chacun aussi fort qu’une grève d’éboueurs d’un demi-siècle. Une ordure accuserait un tas de merde de sentir le foin. C’est plus ou moins ce que j’en ai saisi. À baigner dans tant de pouvoir et de magouilles, on se demande s’ils sont juste un peu taquins ou s’ils se croient vraiment blancs ces fumiers.

En somme rien ne change. La bière ligue décapsule une énième version de sa compétition pour être sûr qu’elle soit bien obscure au reste du monde. Tous les clubs ont voté pour la division des points après s’être insurgé de la division des points. Martínez fait des bruits de prouts avec sa main sous son bras et nous fait croire que c’est du football. Kompany embobine une nouvelle direction. Mazzù s’apprête à nouveau à se vautrer dans un grand club. Paris regarde son doigt plutôt que la lune et change d’entraîneur. Le public serre la ceinture pour payer son abonnement, le fair-play financier est toujours porté disparu, ça ventile déjà dans les stades qataris, Lukaku rentre au bercail, blablabli blablabla.

Bref, rien de neuf sous le soleil. Dans la vraie vie, c’est la saison des tournois sixtes, les copains s’enfilent des pains saucisses et se pintent en trébuchant sur une balle plutôt que devant un écran géant. C’est sympa, mais c’est pas pareil. En voilà un autre de problème avec ce putain de Mondial en hiver: c’est qu’il ne se déroule pas en été.

J’appelle mon père pour prendre de ses nouvelles. Il s’ennuie un peu, il n’y a pas grand-chose à la télé. Un silence puis: « Ta mère me manque ». Alors je pense: « C’est pas mal ce Mondial en hiver, finalement. »

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