La toute-puissance des picaillons anglais

Les demi-finales de la Champions League débutent cette semaine, et Barcelone est souvent annoncé grandissime favori. D’abord parce que le panache est enthousiasmant et qu’il est catalan cette saison. Le Barça empile les buts dans son championnat national : 88 en 31 matches, c’est énorme, alors que nos trois Anglais ne tournent qu’alentour de 55 buts sur le même laps de temps. Ensuite parce qu’un trio de buteurs, ça frappe les imaginations. Samuel Eto’o (26), Lionel Messi (20) et Thierry Henry (15) représentent 70 % des buts de leurs couleurs, tandis que les buts anglais sont davantage disséminés.

Qui pourrait d’ailleurs citer, dans leur ordre actuel, les trois meilleurs buteurs de Manchester, puis de Chelsea, puis d’Arsenal ? Le Barça est ainsi le club que de nombreux amateurs neutres souhaiteraient voir remporter la C1, mais cela ne signifie pas que ses chances de la remporter soient objectivement supérieures : le désir (de beauté) n’est pas la réalité (de la compétition) !

Comme on dit, ça se jouera sur un détail. Et de même qu’en cuisine l’oignon fait la sauce, c’est souvent en football l’humeur arbitreuse qui fait le détail… Car pour le reste, intrinsèquement, les effectifs anglais (celui d’Arsenal sans doute moins que ceux de ManU et Chelsea) valent celui du Barça, ce n’est pas pour rien que la Premier League est de loin la plus riche d’Europe, et d’un peu moins loin la plus forte, délégant pour la troisième année consécutive trois de ses clubs-phares en demi-finales de Champions League ! En fait, quand je parle d’effectifs anglais, je devrais remuer onze fois ma langue en bouche avant de m’exprimer : car avec 60 % de ressortissants qui ne sont pas de Sa Majesté, la Premier League est aussi première européenne en matière d’importation de viande à crampons. Et sur 33 joueurs alignés au coup d’envoi des quarts de finale retour, on arrivait à repérer 7 Anglais en tout et pour tout : Theo Walcott et Kieran Gibbs à Arsenal, Ashley Cole et Frank Lampard à Chelsea, Rio Ferdinand, Wayne Rooney et Michael Carrick à Manchester,… ça fait redescendre la moyenne à 21 % ! Ok, je veux bien remonter à 25 % en comptant le divin vieux Gallois de Manchester, vu que Ryan Giggs est aussi un sujet de Queen Elisabeth,… mais c’est quand même peu pour s’extasier sur les performances du football prétendument anglais !

S’émerveiller de l’hégémonie anglaise sur le football de club européen, c’est pouvoir s’émerveiller de la toute-puissance des picaillons ! Collectons les chiffres les plus divers, les sommes sont astronomiques, ce n’est même plus la peine de les citer tant elles dépassent l’entendement : un footballeur de Chelsea gagne chaque année l’équivalent du parachute (revu et moins doré) de notreAxel Miller ! Les clubs anglais squattent la tête des classements au vu des milliards de leurs budgets, de leurs chiffres d’affaires… mais aussi de leurs dettes, ce qui prouve bien que le foot business est malsain jusqu’à la moelle ! Même Arsenal est endetté : benêt que je fus un moment, je m’étais imaginé qu’Arsenal était plus propre vu qu’il possédait moins de noms ronflants, formait plus de jeunes et vendait davantage,… quelle candeur : quoique moins obscène que la dépendance de ManU vis-à-vis des Ricains de la famille Glazer, ou celle de Chelsea vis-à-vis de Roman Abramovitch, la dette des Gunners se chiffre en centaines de millions d’euros !

A propos d’Abramovitch, faut lui reconnaître deux qualités. D’abord, il est raisonnable : ce qu’il a jusqu’ici claqué pour Chelsea ne représentait que 3,3 % de sa fortune d’avant la crise, et ne représente toujours que 9 % de son magot actuel. Ensuite, Roman aime aussi ce passe-temps plus serein, et combien désintéressé, qu’est la contemplation d’£uvres d’art ! L’an dernier, il a d’abord acquis pour son salon un tableau de Lucian Freud (le petit-fils de l’autre) pour 21 millions d’euros : ça s’appelle Benefits Supervisor Sleeping, c’est une gonzesse endormie sur un sofa et je ne vous la montre pas, vous préférez les filles de la page Championne de Sport/ FootMag… Deux jours plus tard, il a banqué pour le Triptyque 1976 de Francis Bacon (rien à voir avec le jambon) pour 55 millions d’euros : en voici la photo, preuve irréfutable qu’Abra n’est pas footeux monomaniaque. Question pognon, ces deux £uvres ne représentent guère que 10 % de ce qu’il a claqué pour Chelsea. Faites vos comptes, ou plutôt les siens.

par bernard jeunejean

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