La tour noire

Pierre Bilic

Les incroyables aventures de la nouvelle sensation défensive de D1.

Ses débuts en D1 contre Genk il y a dix jours ne passèrent pas inaperçus : la pieuvre de Mons emballa le puissant Cédric Roussel dans ses tentacules. Daré Nibombe, 23 ans, n’accorda pas un centimètre de liberté à son adversaire d’un soir. Il y avait tellement longtemps que ce Togolais de 196 centimètres – la même taille que Michael Jordan – attendait l’occasion de célébrer son entrée dans l’élite…

 » Mons et Marc Grosjean m’ont ouvert la porte de la D1. « , dit-il.  » Je ne l’oublierai jamais. Je veux être à la hauteur de cette confiance. Je suis un défenseur, évidemment, mais, s’il le faut, je peux évoluer dans la ligne médiane. Mon apport peut être plus net sur le plan offensif. J’écoute, je travaille, je suis heureux. Avant mes débuts, à Genk, tous mes équipiers m’ont soutenu, donné des conseils. Ainsi, Chemcedine El Araichi m’avait dit que Roussel n’aimait pas qu’on le touche durant un match. Je l’ai testé d’entrée de jeu et cela se confirma : quand on le ceinture, le buteur de Genk se déconcentre « .

Le chemin menant de l’Afrique à Mons ne fut pas simple pour ce gars sympa. Il sait pourtant que sa bonne étoile ne l’a pas quitté. Combien d’autres à sa place n’ont-ils pas été pillés par des passeurs, abandonnés dans un aéroport, jetés dans un rafiot pourri ou une barquette faisant naufrage quelque part au large de l’Europe ?

Daré Nibombe est né à Bassar dans le nord du Togo (un pays de 56.765 km carrés pour 3.400.000 habitants) mais a grandi dans la capitale, Lomé. Cinquième fils d’une famille de sept enfants, il décroche un diplôme d’infirmier. Le football l’intéresse aussi et, via Modèle Lomé et ASKO, deux clubs de D1 togolaise, Daré Nibombe se faufile jusqu’en équipe nationale. Il y joue à 23 reprises.

Sa vie était en danger

En 2001, le Togolais joue à Liberty d’Accra, au Ghana. C’est sa première expérience professionnelle. Puis, deux ans plus tard, les choses se gâtent :  » L’équipe nationale du Togo a été battue 3-0 au Kenya lors d’un match des éliminatoires de la CAN 2004. J’ai demandé qu’on nous paye le solde de nos primes : ce fut le début de mes ennuis « .

Il ne veut pas en dire plus mais a été suivi, raconte-t-il, par des sbires proches de l’équipe nationale, menacé et inquiété. Sa vie était en danger. Daré Nibombe prend alors la décision de quitter sa famille, son pays, ses amis. Il retourne à Accra et des amis le mettent en contact avec une filière, des passeurs qui, contre une fortune, fournissent des faux papiers, un visa et un billet d’avion. Le temps presse car la menace se précise à son égard. Plus question de rentrer au Togo.

 » Ce projet d’évasion d’Afrique m’a coûté toutes mes économies. « , explique-t-il.  » Je devais faire confiance les yeux fermés à ceux qui s’occupaient de moi. Pas d’autre choix possible. Ce n’est que la veille du départ que j’ai appris où l’avion allait me mener : en Belgique « .

Début 2003, le géant noir débarque à Bruxelles-National. Le passeur est discrètement présent près de lui. Il surveille la suite des opérations. Daré Nibombe passe le contrôle des passeports sans encombre. La mission du passeur se termine, il s’efface à jamais, ni vu ni connu. Le footballeur prend un train, se retrouve à la gare du Nord. Seul à Bruxelles. Perdu. En rue, Daré Nibombe demande à des Africains où se trouve l’Office des Etrangers. Il s’y rend, raconte son histoire et est dirigé vers le centre d’accueil de Morlanwelz.

Daré Nibombe est désormais réfugié politique. Un retour au Togo ne sera pas possible avant un changement de régime. Il y a laissé sa femme, Natissatou, et leur bébé, Félicitée, en espérant les faire venir un jour en Belgique. Elle est musulmane, Daré est chrétien et cela ne leur pose aucun problème. Il ne tarde pas à se faire des amis à Morlanwelz. Fabien, un moniteur du centre d’accueil, remarque ses qualités de footballeur. Il en parle à Charleroi. Daré Nibombe y passe des tests durant un mois mais les Zèbres cherchent un buteur. Il s’entraîne alors au RFC Ecausinnes, en P3, et se lie d’amitié avec un des joueurs, Ludovic Van Hessche. Leurs différences culturelles les enrichissent mutuellement. Ludovic sait que Daré n’est pas fait pour une petite équipe de série provinciale, même si Ecaussinnes a 80 ans et fut le premier club de Johan Walem. Le week-end, Ludovic est, bénévolement, préposé au marquoir de l’équipe Première de La Louvière et parle de son copain à Zoltan Kovac qui s’occupe des Espoirs du club.

Ses idoles : Van Buyten et Vieira

Le ciel se dégage pour le réfugié togolais :  » Je me suis entraîné durant une partie de la saison passée avec les Espoirs de La Louvière. C’était un premier pas important. Il me semblait que j’allais rester chez les Loups, même si je n’y ai jamais joué en Première. Après la finale de la Coupe de Belgique, on n’annonça que la RAAL ne pouvait pas m’offrir de contrat « . Une catastrophe pour le Togolais qui avait privilégié cette éventualité à des pistes menant à Westerlo, à St-Trond et à… Mons. Il contacta à nouveau le manager PierrotAllatta, qui cita une deuxième fois son nom chez les Dragons.

Marc Grosjean l’emmena en stage en Hollande. Ce fut une expérience positive et Daré Nibombe signa un contrat de trois ans à l’Albert. Ses idoles se nomment Daniel VanBuyten et Patrick Vieira :  » Eux aussi sont partis de loin et leur taille était presque considérée comme un handicap. Ils ont prouvé que c’est un atout à condition de soigner aussi la vivacité et l’enchaînement des gestes. Roussel me convient mieux que Zoundi ou Zezeto mais je travaille mon jeu court « .

Daré habite près de la Grand-Place de Mons, n’a pas encore de permis de conduire et de voiture, évite les restos, fait la cuisine dans son appart afin de bien contrôler un budget forcément limité. Daré entretient des contacts avec ses compatriotes togolais : Zanzan Mohama Atte-Oudeyi de Lokeren et Adekanmi Olufade de Charleroi. Mais Mons passe avant tout :  » Je mesure parfaitement que j’ai eu beaucoup de chance, presque trop. Alors, si je l’ai méritée, je dois la garder et c’est le travail qui me permettra de le faire « .

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