La tête de l’ emploi

Seulement 17 ans, mais le gaillard sait ce qu’il veut : être pro. Et comme il a du talent à revendre, ça marche…

Il y a deux mois, c’était encore :  » Maxime comment ? » Aujourd’hui, on ne chante plus  » Qui c’est celui-là ? » au Canonnier. Tout le monde connaît Maxime Lestienne : à peine 17 ans mais incontournable dans l’équipe de Miroslav Djukic.

Découverte du nouveau gosse du cru.

Mémoires d’un petit Hurlu

Quand il est gosse, Maxime a un héros : Giovanni Seynhaeve, son cousin qui participe à la montée de l’Excel et est encore dans l’équipe lors des premières années dorées en D1.

 » Je suis allé voir mes premiers matches au Canonnier quand j’étais encore trop petit pour occuper tout seul un siège « , rigole-t-il.  » Alors, je restais sur les genoux de mon père. Je ne voyais qu’un joueur : Seynhaeve. Et très vite, je me suis fait une fixette : -Je jouerai un jour sur ce terrain. Je me suis affilié un peu par hasard, à quatre ans. J’étais inscrit à des cours de psychomotricité et un prof a voulu que j’essaye le foot. Il pensait que j’avais quelque chose dans les pieds. Directement, j’ai rejoint le club. Et très vite, j’ai été surclassé : pendant une bonne partie de ma formation, j’ai joué dans la catégorie d’âge supérieure. Toujours avec la même carotte devant le nez : mettre un jour le maillot de l’équipe Première. La cassette de la montée et de la fête qui a suivi en ville, je l’ai regardée des dizaines de fois : ça me donnait encore plus envie de devenir pro ici.  »

Lestienne fait ses premiers pas sur des terrains de qualité médiocre : le Futurosport n’a pas encore été érigé. Une fois qu’il est construit, ce centre rend jaloux la plupart des adversaires.  » Quand nous allions jouer à Anderlecht, il n’y avait que deux pelouses et aucun luxe. Idem dans la plupart des autres clubs. Tout le monde regardait le Futuro avec des yeux envieux. Quand des gamins du Cercle ou de Waregem venaient chez nous, ils n’en revenaient pas. Seul Genk rivalisait avec l’Excel au niveau des installations. « 

Attaquant ou médian ?

 » J’ai presque toujours joué comme médian gauche. Aujourd’hui, je me retrouve régulièrement en attaque. Peut-être parce que Djukic voit moins de concurrence pour moi à ce poste-là. Mais je dois encore y trouver mes marques. Sur le flanc, je peux exploiter mes armes : mon petit gabarit, mon côté imprévisible, ma vivacité sur les premiers mètres, ma pointe de vitesse. Devant, c’est plus compliqué, je souffre quand je me retrouve face à des armoires à glace comme il y en a beaucoup parmi les défenseurs centraux. Je devrai encore prendre pas mal de muscle pour rivaliser dans les gros combats physiques. « 

XXL : son temps de jeu et ses records

Le jour de ses 16 ans, Lestienne a signé un contrat de semi-pro à Mouscron. Une trajectoire à la Jonathan Blondel ou Daan Van Gijseghem, autres purs produits du Futurosport qui se sont révélés en D1 avec l’Excel. Et tout récemment, il a signé comme pro. Sous tutelle :  » Mon compte est bloqué jusqu’à l’âge de 18 ans, seuls mes parents y ont accès. Moi-même, je me trouve un peu jeune pour me gérer financièrement. Ils me donnent… un petit quelque chose de temps en temps.  »

Le jeunot ne semblait pas avoir les bonnes cartes en début de saison. Que pouvait-il espérer, en tant qu’illustre inconnu aux yeux du nouveau coach, face à tous les nouveaux joueurs transférés par le staff à l’accent espagnol ?  » Je n’ai pas beaucoup joué en préparation. Un jour, Djukic m’a appelé et il a été clair : -Tu as plein de talent, mais si tu n’en donnes pas plus à l’entraînement, tu joueras rarement. J’ai capté, j’ai compris que j’étais trop réservé, j’ai réagi et la roue a vite tourné : j’ai joué tous les matches de championnat jusqu’à présent, le plus souvent comme titulaire. Il y a deux mois, je ne m’imaginais pas que je serais aussi loin aujourd’hui. Quand on voit débarquer un, puis deux, puis trois Espagnols… Et puis ça continue… Forcément, on se pose des questions, on se demande si l’invasion va s’arrêter un jour.  »

Côté précocité, Lestienne, c’est du tout bon. Il a joué ses premières minutes en D1 en décembre 2008, contre le Club Bruges : il n’avait pas encore 16 ans et demi.  » J’ai toujours eu deux clubs fétiches : Mouscron et Bruges. Je suis monté contre le Club dans un match presque historique que nous avons survolé : 5-1. Je m’entraînais avec le noyau A depuis moins d’une semaine. Sur mon premier ballon, je dribble deux adversaires et le public se lève : un souvenir pour la vie. « 

Autre record : lors de la septième journée, en septembre dernier à Zulte Waregem, il est devenu le plus jeune buteur de Mouscron en D1. A 17 ans et 92 jours.  » Ah bon ? Vous me l’apprenez… « 

Lille, Lyon, Lens, Portsmouth. Mais aussi Anderlecht. Et Manchester City !

 » Chez les jeunes, j’ai joué beaucoup de tournois contre des équipes de Lille et c’est ainsi que le LOSC m’a repéré. Il y a deux ans, des personnes de ce club sont venues trouver mon père et proposaient que je rejoigne leur centre de formation. C’était tentant, vu la réputation de ce centre, mais je me sentais trop bien à Mouscron et j’ai refusé de partir. Un argument extra-sportif a aussi joué : mon père était sans boulot à l’époque et on lui a dit à l’Excel que si je restais, il serait engagé comme homme d’entretien au Futurosport. Il y est toujours aujourd’hui. J’ai maintenant un agent : le Danois Mikkel Beck. Il a fait lui-même toutes les démarches pour m’avoir dans son portefeuille : cela m’a flatté car ce type n’est pas n’importe qui, il a fait une sacrée carrière de joueur en France, en Angleterre et en Allemagne notamment. Lyon, Portsmouth et Lens l’ont contacté pour avoir des renseignements sur moi : l’intérêt était réel. J’ai aussi eu un rendez-vous avec des responsables de Manchester City : ils sont venus me voir à Mouscron et voulaient que j’aille visiter leurs installations. J’ai refusé car je venais de signer mon premier contrat ici et je n’avais vraiment pas envie de partir.  »

Autre club sur la balle : Anderlecht. Les Mauves ont approché Lestienne il y a deux ans.  » Ils m’auraient mis dans le noyau -19 mais je ne le sentais pas.  » Rebelote l’année dernière :  » Cette fois-là, ils ont mis le paquet. C’était très tentant, au niveau des chiffres notamment. L’aspect sportif était aussi séduisant : je me serais entraîné avec le groupe pro et j’aurais joué avec la Réserve. J’ai bien réfléchi mais je me suis dit qu’il y avait tellement de footballeurs qui partaient très tôt dans un grand club et se cassaient la gueule… « 

Le nouveau contrat de Lestienne court jusqu’en 2012. S’il le preste jusqu’au bout, cela lui fera 16 ans dans la même boutique.

Ecole buissonnière

 » A 13 ou 14 ans, j’ai pris une grande décision : je ne foutrais plus jamais rien à l’école. En fait, je n’y avais jamais rien foutu… Je n’y ai jamais été heureux. C’était le soir que je respirais, quand je pouvais aller à l’entraînement. Et comme j’étais systématiquement surclassé, je me suis dit que j’avais peut-être une chance de devenir pro un jour. Je n’ai plus pensé qu’à cela. J’ai doublé ma deuxième année en secondaire. Et encore ma quatrième. Aujourd’hui, je suis toujours inscrit mais je ne suis pas fort avancé. Je suis en quatrième professionnelle sanitaire : histoire de pouvoir dire que je fais quand même quelque chose, que je garde une chance d’avoir un petit diplôme. Il y a un bon arrangement entre l’école et l’Excel : je ne dois aller aux cours que les jours où je n’ai pas d’entraînement. Un peu le lundi, un peu le mercredi matin. Le point positif, c’est que c’est une bonne occasion pour retrouver mes potes. En classe, j’écoute mais ça s’arrête là. De toute façon, à 18 ans, je stoppe définitivement. On m’a souvent dit que c’était un jeu dangereux car je n’ai pas de garantie de percer dans le football. Je ne me pose pas toutes ces questions. Mais je sais quand même si je ne réussis pas dans le sport, je serai un peu dans la merde…  »

Scifo, le premier à y croire chez les grands

 » Enzo Scifo m’a fait monter dans le noyau pro et m’a offert mes premières minutes en D1. Son approche était assez différente de celle de Djukic. Si je dois les comparer, une chose me saute aux yeux : Scifo a été un joueur offensif et ses entraînements étaient prioritairement axés vers l’avant, alors que Djukic a été un grand défenseur et connaît tous les rôles défensifs sur le bout des doigts. J’ai l’impression qu’il nous apporte plus défensivement qu’offensivement, alors que c’était l’inverse avec Scifo.  »

Traducción

Au Canonnier, ça tchatche en espagnol de tous les côtés. Futbol, hombre, jugador, equipo, entrenador, mañana : dès qu’on pénètre sur le parking et que l’on croise des joueurs, ce sont des mots qu’on entend. Djukic s’adresse aux joueurs en espagnol, son adjoint traduit en français.

 » Au début, c’était un peu chiant « , reconnaît Maxime Lestienne.  » Mais on s’habitue. Djukic s’exprime aussi beaucoup avec des grands gestes, ses dessins au tableau sont très clairs et il commence même à prononcer quelques mots de français. « 

Interdit de croire au maintien ?

Maxime en est certain : Mouscron ne sera pas un oiseau pour le chat.  » D’accord, nous avons déjà perdu beaucoup de matches, mais nous avons montré plein de belles choses. Il ne faut pas s’impatienter, les victoires viendront bien à temps et je ne nous vois pas lutter longtemps pour le maintien. « 

Aller gagner à Genk, faire souffrir Anderlecht et prendre un point contre Bruges, mais s’incliner contre des sans-grade, c’est difficile à comprendre. Mais c’est le lot de l’Excel.  » Des équipes comme Westerlo et le Cercle ne jouent pas pour marquer mais d’abord pour ne pas encaisser. Elles ferment tout à double tour et ce sont de sales matches pour nous. Il y a aussi un problème de concentration et de motivation : à partir du moment où tu te dis que tu es sans problème aussi fort que l’adversaire, tu en gardes sous la pédale. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas jouer à 100 %. Nous avons su le faire contre les grands et on a vu les résultats. « 

Espagnols au rancart

Lestienne fait un constat :  » L’équipe actuelle est fort proche de celle de la saison dernière alors qu’on aurait pu s’attendre à un Excel à forte coloration espagnole.  » Premier constat d’échec pour les joueurs amenés par le nouveau staff ?  » Ils ont des qualités. Mais ils n’ont pas tous 30 ans non plus, donc il faut leur laisser du temps. Je pense que leur plus gros souci est psychologique. Chez eux, il y a le soleil et on vit au rythme du Real et de Barcelone. Maintenant, ils sont à Mouscron et il fait vachement moins beau. Ils ne connaissent personne à part quelques coéquipiers de la même origine, ils ne parlent pas la langue. Je les vois continuellement au téléphone et sur internet : pas besoin d’un dessin, ça veut dire qu’il leur manque quelque chose pour être heureux. « 

Nouveau-Monde

Lestienne est né à Courtrai mais il n’a connu qu’une ville : Mouscron. Il y a grandi dans un quartier populaire qui n’a pas bonne presse : le Nouveau-Monde, entre l’hôtel de Ville et la frontière française. On y trouvait autrefois essentiellement des ouvriers du secteur textile. Aujourd’hui, les logements sociaux y font plus que partie du décor. Les incidents également. Incendies de véhicules, terreur organisée, ras-le-bol des riverains : le Nouveau-Monde, c’est aussi tout cela. Et c’est un sujet de conversation fréquent à Mouscron.

 » J’ai plein de souvenirs là-bas, dont des souvenirs de foot « , dit Maxime.  » J’ai joué avec mes potes derrière l’église pendant des centaines d’heures. « 

Nuits chez les flics

Le Nouveau-Monde accouche de jeunes turbulents. Récemment, des petites frappes de ce quartier se sont fritées avec des gamins de Tournai.  » J’avais des potes dans l’histoire « , avoue Lestienne.  » Pour certains, ça s’est mal terminé. Il y en a qui ont valsé en taule. Moi aussi, j’ai fait pas mal de petites conneries quand j’étais plus jeune. Je n’ai jamais braqué, volé ou violé, mais j’ai quand même eu beaucoup de petites emmerdes. Des bagarres et tout ça. J’ai passé quelques nuits au poste. Mais j’étais comme ça : il ne fallait pas me faire chier. Je ne me suis jamais laissé faire. Quand il y avait des embrouilles entre quartiers, je montrais que j’étais là. Entre-temps, je me suis bien calmé. Quand tes parents te privent encore et encore de sorties, d’ordinateur et de téléphone, tu finis par comprendre ! « 

Equipes nationales

Lestienne est international depuis la catégorie -15. Aujourd’hui, il fait partie du groupe des -18. Il serait étonnant qu’il ne soit pas appelé prochainement en Espoirs. Chez les -18, il est pratiquement le seul titulaire de D1.  » Il y a aussi Thomas Kaminski, le deuxième gardien du Germinal Beerschot. Et Florent Cuvelier, qui a été formé à Mouscron et vient de signer un contrat pro à Portsmouth.  »

Ce Cuvelier, la presse anglaise le compare à Steven Gerrard !  » En -18, je joue aussi avec Paul-José Mpoku, qui est sur le point d’intégrer le noyau A de Tottenham.  »

par pierre danvoye – photos: reporters/guerdin

« Quand tu vois débarquer les Espagnols, tu te demandes si l’invasion va s’arrêter. »

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