LA TERRE EST OVALE

Des marrons, des châtaignes et des salades de phalanges. La 8e édition de la Coupe du Monde de rugby a débuté vendredi et s’annonce déjà fruitée.

« Le rugby est maçonnique. Il est pensé pour construire et détruire. Pour bâtir et user. Pour mettre ensemble ces deux problématiques dans l’aventure humaine pour créer du lien et des frères. Et la meilleure façon de créer du lien, c’est de générer du danger.  » Daniel Herrero, figure emblématique du Racing Club de Toulon, plus grand club européen à l’heure actuelle, pose les bases de son sport. De la solidarité, de la violence et du jeu. Des coups de pied, de la puissance et de la tactique. Beaucoup de tactique. Et une bonne paire de pêches. Surtout. En somme, voici les ingrédients qui font le charme du ballon ovale.

Inventé par William Webb Ellis, selon la légende, le rugby serait né dans la ville de… Rugby, dans le comté du Warwickshire au centre de l’Angleterre, au sein de la… Rugby School. Un collège fréquenté par Webb Ellis qui, au cours d’une petite partie de folk football entre amis – sorte de soule locale -, aurait pris le ballon à la main pour l’aplatir derrière la ligne de but.

On est en novembre 1823 et le rugby moderne vient de naître. Celui qui, selon Herrero, encore lui, traduit et soulage un besoin tout naturel :  » La violence, c’est la transgression des lois. Le jeu de rugby, c’est un jeu légiféré. Il est né dans un État de droit, dans l’Angleterre industrielle et il a irradié le monde à partir de l’idée que si on a un certain nombre de lois, on peut jouer le même à Hong-Kong, au fin fond de la Patagonie ou au coeur du Botswana.  »

VOYOUS, GENTLEMEN ET HEINEKEN

 » Le rugby est un sport de voyous, pratiqué par des gentlemen.  » L’adage a fait son chemin mais conserve pignon sur rue. Notamment dans les divisions inférieures des pays rugbystiquement développés ou même au sein de l’élite argentine, qui revendique son amateurisme éducateur et convivial. En gros, on se chauffe, on se plaque, on se rentre dedans, on se bat mais on s’embrasse pour la troisième mi-temps.

En gros, le rugby est une école de la vie. Une leçon ovale qui ne rebondit pas toujours dans le sens souhaité. Mais voilà, en quelque sorte, l’état d’esprit qui régit le sport-roi dans bon nombre de pays de l’hémisphère Sud. Pour sa huitième Coupe du Monde, le rugby est donc revenu au bercail, après 24 ans d’abstention. Jusqu’au 11 octobre, 20 équipes s’affrontent au Pays de Galles et en Angleterre.

Et pour beaucoup, c’est l’événement sportif de l’année. 411 millions d’euros pour l’organiser, 900 millions de chiffre d’affaires pour la World Rugby (anciennement IRB et équivalent de la FIFA pour le monde du ballon ovale) et presque 5 milliards en termes d’impact économique direct et indirect sur l’économie du Royaume-Uni. Des sponsors à la pelle, d’Heineken à Coca, en passant par Emirates, Master Card, Toshiba et Canon.

Plus de 2.400.000 spectateurs attendus pour un taux de remplissage à 95 % dans treize stades différents, du petit Sandy Park à Exeter (12.300 places) au mythique Twickenham (82.000), qui accueillera notamment la finale du 11 octobre, suivie par plus de 150 millions de personnes dans le monde entier. Des chiffres mirobolants pour une compétition phare, qui garde ses favoris habituels.

BLACKS ET BOKS

On était resté sur une victoire discutée des Néo-Zélandais à domicile sur les Français (8-7). Entre des cadres expérimentés – Keven Mealamu, Richie McCaw, Kieran Reed, Jerome Kaino, Dan Carten, Conrad Smith, Ma’a Nonu… – et des jeunes (très) prometteurs – Brodie Retallick, Sam Whitelock, JulianSavea… -, les All Blacks sont une nouvelle fois les favoris numéros un et visent le doublé. Mais s’ils sont les Champions du Monde en titre, ils n’ont jamais remporté le trophée hors de leurs îles.

La preuve, ils ont déjà été chahutés par les Argentins dimanche soir (26-16). Au pays du tango, où l’Ovalie danse surtout au rythme des médecins et des chirurgiens, les incertitudes planaient. Mais les Pumas, sur leur lancée des Four Nations où ils ont battu l’Afrique du Sud, peuvent compter sur leur triumvirat SanchezHernándezImhoff pour aller chercher la deuxième place de la poule C.

Vainqueur quasi-surprise des Four Nations, l’Australie n’est pas pour autant sûre de son fait. La charnière du double lauréat de l’épreuve, à l’instar des Blacks et des Boks, reste notamment à fixer. Nic White, demi de mêlée remplaçant à la base, est venu bousculer la hiérarchie et les plans du coach Michael Cheika. L’ex-entraîneur du Stade Français peut cependant compter sur une mêlée performante et un Matt Giteau en patron derrière.

Les Wallabies restent les favoris déclarés de la poule A, désigné unanimement comme  » le groupe de la mort « , mais auront fort à faire face aux locaux anglais. Du côté du XV de la rose, la victoire face aux Fidji vendredi (35-11), avec un énorme Mike Brown à l’arrière, a rassuré – sans convaincre – une Perfide Albion bien sceptique avant l’ouverture de sa Coupe du Monde.

FRENCH FLAIR ET CHERRY BLOSSOMS

Côté français, on avait le moral dans les chaussettes. Il est maintenant dans le genou de Yoann Huget, le phénomène bleu qui a perdu ses croisés dans la victoire sur l’Italie (32-10). Le sélectionneur Philippe Saint-André bégaie un plan de jeu souvent fantomatique, parfois articulé autour de joueurs naturalisés tels que Rory Kockott, Scott Spedding ou Vincent Debaty, puissant pilier, Woluwéen de naissance et Schaerbeekois de formation. La France, qui n’a jamais fait pire que les demis, n’a pas franchement la cote chez les bookmakers et cherche encore son fameux et imprévisible  » French flair « .

Si les Bleus se sont rassurés contre une Squadra Azzura toujours aussi vaillante qu’approximative au pied, l’Irlande en a fait de même contre le Canada (50-7). Double championne d’Europe en titre et considérée comme la meilleure nation au Nord, elle jouera la première place du groupe D avec la France.

Quant à l’Afrique du Sud, on ne parle plus de Springboks, mais bien de dinosaures. Victor Matfield (38 ans), Schalk Burger (32 ans), Fourie Du Preez (33 ans), Jean de Villiers (34 ans). Ceux qui semblaient pourtant être une référence en termes de puissance physique ont pris froid contre des Japonais audacieux et morts de faim, dans un match complètement fou (34-32).

C’est la deuxième victoire en Coupe du Monde pour les Cherry Blossoms, recordman du nombre de points encaissés dans l’épreuve (145-17 en 1995 contre les Blacks), qui n’avaient plus gagné depuis 1991 et un succès contre le Zimbabwe. Ils s’imposent ainsi comme un solide outsider, à l’instar des Samoas, l’Écosse et le Pays de Galles.

Pâtissant de la blessure de leur buteur maison Leigh Halfpenny, les Gallois devraient cependant passer à la trappe, tandis que les Fidjiens pourraient jouer les trouble-fête dans la poule A. En tout cas, Nemani Nadolo a d’ores et déjà remporté le titre de sosie officiel de Jonah Lomu.

PLANCHES, FOURCHETTES ET POIREAUX

Des ramponneaux et des plaquages aux chevilles, Thierry Dusautoir n’est pas venu pour beurrer les tartines. Meilleur joueur du monde en 2011 et recordman du nombre de capitanats en équipe de France, le flanker de 34 ans espère enfin arracher le graal à coup de planches, après l’énorme déception néo-zélandaise de la dernière édition. Mais, une fois encore, il devra sûrement user de la fourchette s’il veut apaiser l’appétit des All Blacks de JulianSavea.

Avec 30 essais en 35 sélections depuis 2012, le Jonah Lomu 2.0 sera également l’une des grosses stars de sa première Coupe du Monde. Explosif, surpuissant et habile sur les ballons hauts, il a le même profil qu’Israel Folau, probablement le meilleur arrière du monde à l’heure actuelle. 1,93m pour 103kg de muscles,  » Big Man  » sera l’atout majeur des Wallabies.

Sur sa route, Folau aura à coeur de mettre des joulinettes dans les roues de George Ford. Avec l’ouvreur de Bath, plus jeune joueur à faire ses débuts en Premiership, le XV de la rose semble enfin avoir trouvé sa fine fleur pour succéder à Johnny Wilkinson. Mais, à 22 ans, il devra supporter la pression d’une Coupe du Monde à la maison. Et surveiller ceux qui viennent du Sud : les Gallois de George North.

Après trois commotions cérébrales et cinq mois d’indisponibilité, George de la jungle est devenu le plus jeune joueur à passer le cap des 50 sélections à 23 ans. Ses 109 kilos feront du bien sur les flancs du XV du poireau, où il pourrait croiser Stuart Hogg en cas de qualification. L’arrière écossais des Glasgow Warriors disputera sa première édition pour un XV du Chardon qui a bien besoin d’un peu de piquant.

ANIMAUX, FRUITS ET LÉGUMES

Et si le rugby est un sport de combat, il ne se gagne forcément pas sans un pack de devant conquérant.  » No scrum, no win « , comme dit l’expression. Et à la pointe de la mythique mêlée irlandaise, Jamie Heaslip apportera tout son art de la cueillette au trèfle à trois feuilles, orphelin de Brian O’Driscoll mais toujours emmené par son capitaine de 35 ans, le deuxième ligne Paul O’Connell.

A l’ouverture, Jonathan Sexton a déjà pris ses responsabilités (14 points contre le Canada) pour redonner de l’entrain au fighting spirit maison. Mais s’il y aura bien une confirmation au poste de numéro 10, outre les Carter et  » El Mago  » Hernández, elle pourrait porter le nom de Patrick Lambie : 24 ans, 44 sélections, 122 pions et une vista folle pour un joueur plus que complet. A condition que les Springboks se refassent la cerise. Parce qu’il paraît que le rugby est un sport d’animaux. Mais aussi de fruits et légumes.

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Le rugby est pensé pour détruire et créer du lien. Et la meilleure façon de le faire, c’est de générer du danger.  » DANIEL HERRERO, COACH MYTHIQUE DE TOULON

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire