La technique ne compte pas

Combien de temps encore pour voir les deux défenseurs centraux brésiliens du Standard à leur meilleur niveau ?

Avant son match de dimanche contre Courtrai, le Standard avait déjà encaissé 25 buts en 21 rencontres de championnat. La saison précédente, la paire Espinoza/ Bolat ne s’était retournée qu’à 26 reprises en 34 matches. Mieux encore : en 2007-2008, les gardiens liégeois n’avaient concédé que 19 buts. Même si la ligne arrière est loin de constituer la seule explication au mauvais classement (l’absence de StevenDefour, la méforme persistante d’ AxelWitsel, la flemme de DieumerciMbokani sont des motifs d’inquiétude tout aussi valables), elle ne dégage plus la même impression de sérénité.

La preuve en est que Laszlo Bölöni a souvent dû ou voulu la remanier depuis le début de la compétition. Avant l’arrivée de Sébastien Pocognoli, les départs d’ Oguchi Onyewu et même de Dante Bonfim (pourtant à Mönchengladbach depuis plus d’un an déjà) n’avaient pas été compensés. Landry Mulemo, sans cesse houspillé par son coach, a perdu toute confiance en lui ; Ricardo Rocha est arrivé à court de compétition et ses premières prestations ne l’ont pas aidé à conquérir l’estime d’un public habitué à beaucoup mieux de la part des Portugais qui l’avaient précédé ; depuis sa blessure, Mohammed Sarr n’est plus aussi intransigeant ; Eliaquim Mangala s’aperçoit que la saison de la confirmation est souvent plus difficile ; et même Marcos Camozzatto n’est plus aussi inamovible.

Bölöni a même dû lancer au feu deux gamins brésiliens que le Standard avait fait venir en septembre dans l’espoir de pouvoir les laisser mûrir. Dans ces conditions, il ne fallait pas attendre de Victor Ramos et de Felipe Trevizan qu’ils fassent des miracles. D’autant que leur évolution a été marquée par des blessures qui leur ont fait manquer, aussi, la courte préparation du deuxième tour.

 » On ne peut pas nier que l’équipe traverse un moment difficile dans tous les secteurs « , avoue Victor.  » J’admets que c’est une situation très difficile à vivre : nous sommes arrivés dans un club champion et voilà que nous luttons pour disputer les playoffs. « 

Felipe révèle que le foot l’empêche souvent de dormir :  » C’était déjà le cas au Brésil et je pensais qu’un transfert m’aiderait à relativiser les choses mais ça me reprend ici aussi : quand on perd, je ne ferme pas l’£il de la nuit. Et quand on gagne, je suis trop euphorique pour trouver le sommeil. Ceci dit, il ne faut pas confondre problème de défense et problème d’ordre défensif : cela commence par les pertes de balles, bien trop nombreuses. Mais je suis aussi conscient que nous pouvons faire mieux, qu’on attend davantage de nous. « 

Ils apprennent à peine à se connaître

Il faudra sans doute attendre la saison prochaine pour voir la véritable valeur de ces deux garçons que le public connaît mal et que tout sépare, hormis le statut d’espoirs et la nationalité.

 » Nous n’avons jamais joué l’un contre l’autre au Brésil « , raconte Felipe.  » Nos clubs respectifs se sont rencontrés à deux reprises mais une fois j’étais blessé, et la fois suivante Victor ne jouait pas. « 

Felipe (23 ans) est originaire de São Paulo. Il n’avait que dix ans lorsqu’il a perdu son père.  » Il avait 53 ans. Il s’est endormi devant la télévision et ne s’est plus éveillé. Je suis le cadet d’une famille de trois enfants. Ma mère travaille au service vente d’une entreprise textile. Mon frère est administrateur d’entreprise et ma s£ur informaticienne. Ma grand-mère vit également avec nous depuis le décès de mon grand-père. Elle a 87 ans.  » Pendant la trêve, il a épousé Roberta, une opticienne qu’il connaît depuis sept ans déjà et qui est venue le rejoindre à Liège la semaine dernière.

Victor (21 ans) est de Salvador da Bahia, la ville de Dante :  » Mais nous ne nous sommes rencontrés pour la première fois qu’ici, à Liège, aux Caves du Portugal, le rendez-vous obligé de tous ceux qui parlent portugais à Liège. « 

Il faut s’accrocher pour comprendre le portugais de Ramos.  » Même moi, je ne le comprends pas toujours, tellement il parle vite « , admet Felipe… qui s’exprime déjà un peu en français.  » Je n’ai pas pris de cours mais j’apprends au jour le jour, je lis les journaux, j’essaye de tout capter et de tout demander en français. Il y a tout de même pas mal de vocabulaire similaire au nôtre. C’est peut-être ce qui fait que, dès le premier jour, je me suis senti chez moi ici. « 

Victor est encore loin du compte :  » Mon français vaut 0,2 sur 10. Difficile, dans ces conditions, de diriger une défense. A moins qu’elle ne soit 100 % lusophone, comme contre Olympiacos. « 

Arlindo Veloso, le patron des Caves du Portugal, qui reçoit des joueurs brésiliens depuis des années, a aussi adapté son menu : picanha (la meilleure partie de la viande de b£uf), feijão (cassoulet), £ufs frits et pâtes font désormais partie du menu. Et Felipe avoue être une trop bonne fourchette.  » Je dois fort me surveiller.  »

Les parents de Victor sont séparés et son père vit à l’intérieur, où il travaille dans les plantations. Sa mère est assistante sociale. Il a deux frères et deux s£urs et est fiancé à Luciana, une superbe étudiante en droit venue passer quelques jours à ses côtés.

A son arrivée en Belgique, Victor Ramos avait été présenté par un confrère brésilien comme défenseur-sheriff un rien play-boy. Cela le fait sourire… mais il ne dément pas.  » Pourtant, je ne me montrais pas en public… « 

Felipe vole à son secours :  » De toute façon, à Bahia, un blanc peut être le plus pauvre de la ville, on le prendra toujours pour un play-boy… « 

Victor admet tout de même qu’il aime les belles voitures.  » J’ai une Peugeot 207 mais je rêve d’une Ferrari. Au Brésil, j’avais une Ssanyong, avec un moteur Mercedes. Et une Action. « 

Felipe, lui, a une Honda. En Belgique, il roule en Peugeot 307 :  » Je n’ai jamais rêvé d’avoir une Lamborghini, je préfère une grande maison. Une belle voiture, c’est trop voyant. Tout ce que je veux, c’est un véhicule qui ne me donne pas de maux de tête. « 

Quand on leur demande ce qu’ils auraient fait s’ils n’avaient pas été joueurs, Felipe hésite :  » Je n’imagine pas ma vie sans ballon mais j’ai terminé mes secondaires et j’étais même assez bon élève. Vu les parcours brillants de mon frère et de ma s£ur, je n’avais pas le choix. « 

Victor se prend le visage dans les mains :  » Moi l’école, ce n’était pas mon truc. J’ai été exclu du collège à deux reprises. Heureusement que j’ai eu le foot, sans quoi j’aurais dû travailler avec mon père. Et les plantations, ce n’est pas rien. « 

Pas triste d’avoir manqué le Mondial -20

Au foot, il se débrouille plutôt bien et faisait partie de la sélection pour le Mondial U20. S’il n’y est pas allé, c’est à la demande du Standard. Un choix qu’il ne regrette pas, même s’il s’est blessé immédiatement après :  » Cette coupe du monde, c’était une belle opportunité de me mettre en évidence. Peut-être pour cela que le Standard ne m’a pas libéré… Mais le plus important était d’être convoqué. « 

Victor appartient aussi à la fameuse société Traffic, qui signe des accords de partenariat avec de nombreux clubs dans le monde entier, dont Palmeiras :  » J’aurais pu aller à Palmeiras et surtout à Cruzeiro mais cela allait prendre du temps et après dix ans à Vitoria, il était temps que je parte. « 

Quand on lui demande s’il referait le choix de venir en Belgique, il marque un temps d’hésitation :  » Tout est très différent et c’est surtout le froid qui me fait peur. Et les gens sont plus renfermés, c’est chacun pour soi, il est difficile de se faire des amis. Bon, cela fait partie du métier et c’est dans la difficulté qu’on progresse. « 

Felipe, lui, connaissait l’Europe car il avait passé cinq mois en Suisse, à Bâle, en 2005 où il n’a jamais joué :  » J’avais été freiné par la limite de trois étrangers. On m’avait assuré que je recevrais rapidement un passeport italien du fait de mes arrière-grands-parents mais je ne l’ai jamais reçu. Récemment, j’ai repris toutes les démarches en ce sens. Et puis, je viens de Coritiba, qui est un peu l’Europe du Brésil, tant du point de vue de l’éducation que du climat. Je suis surpris de voir qu’à Liège, tout s’éteint à 19 heures… « 

Avant de venir au Standard, il avait été cité au FC Porto :  » Je n’ai jamais reçu d’offre. En 2008, nous avons été champions du Parana et il y a eu beaucoup de spéculations autour de nous. Si j’avais attendu un peu, j’aurais sans doute pu signer dans un plus grand club que le Standard en décembre dernier, mais il était temps pour moi de partir à l’été passé. « 

L’ex-défenseur brésilien André Cruz nous avait dit que Trevizanne craindrait pas le public de Sclessin car il était habitué à celui de Coritiba, beaucoup plus fervent encore.  » C’est vrai. Ici, tout est beaucoup plus tranquille, on peut travailler dans la sérénité. J’ai assisté à Standard-Anderlecht avec Victor. A un certain moment, je lui ai fait la réflexion : si nous perdions un Clasico au Brésil, nous ne pourrions pas quitter le stade avant 8 heures le lendemain matin… « , affirme Felipe.

Beaucoup plus de contacts

Dans la tribune ou sur le terrain, ils constatent en tout cas que le football belge n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’ils ont connu au Brésil. Felipe :  » Ici, on ne mise pas sur la possession de balle, c’est la disponibilité qui compte. Si nous voulons réussir ici, en Espagne ou en Italie, nous devons oublier le Brésil. Nous y évoluions à trois défenseurs centraux et je sortais balle au pied. Ici, j’ai dû apprendre à jouer davantage sur mon placement, à donner plus vite un long ballon. J’ai changé mon style mais je préfère le foot à la brésilienne. Ici, tout le monde applaudit une passe à 40 mètres. Chez nous, ce n’est qu’une alternative quand on est coincé… « 

Victor, lui, estime que le contact physique est beaucoup plus important chez nous qu’au Brésil :  » On ne peut pas laisser d’espace à l’adversaire, on doit toujours être contre lui. J’ai déjà beaucoup progressé à cet égard mais jusqu’ici, j’avais toujours beaucoup joué sur ma technique. « 

Felipe l’interrompt :  » Ici, elle ne compte pas. « 

Les deux joueurs pensent que, pour réussir en Belgique, ils devront améliorer leur jeu de tête.  » En ce qui me concerne, surtout d’un point de vue offensif parce qu’on nous demande de monter sur les phases arrêtées. J’ai cependant déjà marqué autant qu’au Brésil « , avance Felipe.

« A Salvadore da Bahia, tous les blancs sont des play-boys. »

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