La surmultipliée

La blessure de Nicolas Frutos a obligé le jeune Brésilien à brûler les étapes.

De son vrai nom, il s’appelle RubinelsonDosSantosDaRocha, mais comme tous les footballeurs brésiliens, il possède un surnom. Le sien est Kanu, en référence à l’attaquant nigérian, ex-Ajax, Inter ou Arsenal. Il fut l’une des révélations de la période de préparation mais en principe, ne devait être que la doublure de NicolasFrutos. La blessure de l’Argentin l’a toutefois propulsé sous les feux de la rampe plus rapidement que prévu.  » Et c’est bien dommage « , regrette ArielJacobs.  » Même si le forfait de l’Argentin lui a conféré un statut de titulaire, j’estime que ce n’est pas une bonne chose pour Kanu : on va attendre très vite – trop vite ? – qu’il supporte tout le poids des responsabilités offensives « .

Mercredi passé, Jacobs n’avait pas trop le choix. Dans ce qui était déjà un match capital pour le Sporting (on a parlé d’un match à dix millions, référence à ce que le club percevrait en cas de qualification pour les poules de la Ligue des Champions), il a dû d’emblée lancer Kanu dans le grand bain. Aligné comme targetman en pointe, entouré par ThomasChatelle et MbarkBoussoufa, le jeune Brésilien a signé un début de match encourageant. Habile ballon au pied malgré sa grande taille, il a joué son rôle de pivot comme on l’attendait de lui.

 » Il est normal que son rendement ait un peu baissé en deuxième mi-temps « , poursuit Jacobs.  » Kanu n’a jamais joué à ce niveau, n’avait jamais été astreint non plus à une telle préparation. Lorsque je suis confronté à une baisse de régime – physique ou mentale – d’un jeune joueur, j’ai deux solutions : soit je le remplace, soit je le maintiens au jeu. Je n’avais pas, sur le banc, un joueur ayant le même profil que Kanu. Il est resté au jeu. MatíasSuarez, qui a remplacé HernanLosada, est un autre type de joueur « .

Indirectement, par son absence, Frutos a démontré toute la place qu’il prenait sur l’échiquier anderlechtois.  » Mais je ne veux pas chercher d’excuses « , clame Jacobs.  » Imputer cet échec face à BATE Borisov au forfait de l’Argentin est un peu réducteur comme explication. Une équipe ne se limite pas à un seul joueur « .

Guillaume Gillet abonde dans le même sens :  » Il ne m’appartient pas de juger la prestation d’un coéquipier. Mais je trouve qu’on ne peut rien reprocher à Kanu : il a conservé le ballon devant, a joué en déviations. C’est ce qu’on lui demandait « .

On a toutefois vu la différence entre un match amical et un match officiel…  » Ce n’est pas à moi qu’il faut le dire « , confirme Jacobs.  » Je le répète depuis plusieurs semaines : un match de préparation, même contre une bonne équipe, n’a rien à voir avec un match à (gros) enjeu, même contre une équipe qui n’évoque pas grand-chose aux yeux du grand public « .

Sa copine est repartie etil s’est accroché

Kanu, pourtant, n’a pas peur des responsabilités. Il n’a pas hésité à accepter le n°10, qui était porté la saison dernière par un certain AhmedHassan.  » J’aime ce numéro, précisément parce qu’il confère des responsabilités à celui qui le porte « , avait-il déclaré à son arrivée.

Originaire de Recife, à la pointe septentrionale du Brésil (l’une des régions les plus pauvres du pays), Kanu a quitté sa famille à 13 ans pour tenter sa chance à Sao Paulo. Un itinéraire courant pour beaucoup de jeunes sud-américains démunis, à la recherche de l’Eldorado. Il est parti à l’aventure, en parcourant le trajet en bus (il y a tout de même 3.000 kilomètres entre Recife et Sao Paulo) et en dormant parfois à la belle étoile, dans des abribus ou sous un pont. Il a d’abord frappé à la porte de Palmeiras, où il a passé un test, mais c’est finalement la Juventude qui l’a recruté. WernerDeraeve, l’un des scouts d’Anderlecht, l’avait remarqué une première fois il y a deux ans, lors d’un match de jeunes comptant pour la Copa Sao Paulo. Il a recroisé sa route, un peu par hasard, en janvier de cette année, lorsqu’il est retourné au Brésil pour assister à des matches du championnat paulista (le championnat de l’Etat de Sao Paulo, qui occupe les clubs de janvier à avril). Entre-temps, un manager avait proposé Kanu au FC Groningen, club de Division d’Honneur des Pays-Bas où il a passé un test infructueux. Ces derniers mois, il évoluait en prêt à Barueri, un club du même Etat de Sao Paulo qui, au moment de son départ pour la Belgique, occupait la deuxième place du Brasileiro, Série B (le championnat du Brésil de D2). Anderlecht l’a engagé pour une saison avec option, et a payé un peu moins d’un million d’euros, dit-on.

 » Comme pour Matías Suarez, il fallait l’engager maintenant, sinon il serait devenu impayable pour nous « , affirme GérardWitters, le responsable administratif d’Anderlecht, qui s’occupe des dossiers sud-américains.  » Au Brésil, les prix de transfert grimpent encore plus vite qu’en Argentine « .

Une Brésilienne établie en Belgique, LouisaDeMelo, accompagne Kanu dans quasiment tous ses déplacements. Elle lui sert de guide et de traductrice. Le résultat ne s’est pas fait attendre : Kanu s’est très vite intégré. Anderlecht semble avoir retenu la leçon de certains échecs du passé : HermanVanHolsbeeck est fier d’annoncer qu’aujourd’hui, le Sporting utilise une dizaine de personnes pour l’encadrement des jeunes joueurs.  » Jadis, c’est un aspect que l’on avait peut-être un peu négligé « , reconnaît-il.  » Cela ne vaut d’ailleurs pas uniquement pour les étrangers : certains jeunes joueurs belges, qui intègrent l’effectif du Sporting avec toute la pression que cela implique, ont parfois aussi besoin de quelques conseils « .

 » J’avais déjà travaillé avec d’autres joueurs brésiliens d’Anderlecht autrefois « , précise Louisa De Melo,  » mais ils n’avaient pas une aussi bonne mentalité que Kanu. Il est très spontané, et prêt à tout. Il est déterminé, car il sait ce qu’il veut. C’est un passionné, il veut à tout prix réussir. Son obsession reste toujours d’inscrire des buts. Pour lui, c’est le summum. Pour donner un exemple : il était venu en Belgique avec sa copine, mais après trois semaines, on s’est rendu compte que sa présence risquait de créer davantage de problèmes que d’avantages. Sa copine voulait rentrer au Brésil. J’ai discuté de la situation avec Kanu. Je lui ai dit : – Sielle alemaldupays, ilvautmieuxqu’elleretourne chez elle, carsonvague àl’âme aurait des répercussions néfastes sur toi. Or, tu as besoin de toute ton énergie pour te concentrer sur le football ! Kanu s’est rangé à mon opinion. Il a vu partir sa copine, la mort dans l’âme, mais il s’est accroché. Il sait qu’une chance unique de réussir en Europe s’offre à lui et il ne veut pas la laisser passer. C’est un passionné, il n’a pas peur d’affronter l’inconnu. Entre-temps, il s’est lié d’amitié avec mon fils et ma fille. Il nous considère comme sa deuxième famille. Il n’a encore que 19 ans, il est logique qu’il manque encore de maturité, mais il a le c£ur sur la main. Il est très sociable, se soucie des autres et est toujours prêt à rendre service. Pour donner un exemple : alors que nous étions sortis pour dîner au restaurant, il m’a tenu la main pour traverser la rue. Je lui ai répondu : – C’estbon, jepeuxmedébrouiller ! Mais il ne l’a pas lâchée : – Sinon, vousalleztomber ! m’a-t-il répondu ( ellerit) « .

Le staff et les joueurs sous le charme

Au Parc Astrid, Kanu a trouvé un interlocuteur privilégié en la personne de FilipDeWilde, l’entraîneur des gardiens qui a appris le portugais lors de son passage au Sporting de Lisbonne.

 » Beaucoup de jeunes sud-américains qui débarquent en Europe sont surpris par la froideur des gens, mais ce ne sera pas le cas de Kanu « , affirme-t-il.  » Même s’il découvre des mentalités différentes, il est très ouvert, à l’écoute des conseils qu’on peut lui donner et prêt à s’imposer les sacrifices nécessaires. Sur le plan footballistique, il est solide sur ses jambes, et ses coéquipiers ont déjà compris qu’ils pouvaient s’appuyer sur lui car il ne perd pas facilement le ballon. Son petit défaut, c’est qu’il a encore trop tendance à reculer pour demander le ballon, car il veut démontrer ses capacités. Il manque alors de fraîcheur en zone de finition. Il doit encore trouver un juste équilibre à ce niveau « .

DanielRenders, l’un des adjoints de Jacobs, renchérit :  » Malgré ses 19 ans, Kanu est solide dans les duels, conserve bien le ballon et a un très bon pied gauche. Mais il ne faut pas le placer trop tôt sur un piédestal. Il a encore beaucoup à apprendre et son acclimatation à la compétition européenne n’est pas terminée. Il a dû digérer un régime de deux entraînements par jour. Au début, pendant trois semaines, il s’est entraîné individuellement sous la direction des préparateurs physiques, car il avait besoin de travailler cet aspect-là, mais il apprend vite. Lorsque les séances collectives ont débuté, il était prêt. Il faut toutefois s’attendre à ce qu’il subisse le contrecoup de tous ces efforts, à un moment donné « .

Ses coéquipiers l’ont déjà adopté.  » Il s’est très vite intégré « , témoigne ThomasChatelle.  » Son adaptation fut facilitée par le fait qu’il possède beaucoup de qualités. Il est bon de la tête, capable de gagner des duels aériens, protège bien son ballon et possède une bonne technique du pied gauche. On peut l’utiliser comme point d’appui en attaque, tout le groupe l’a directement remarqué. Ce qui ne gâte rien : il est toujours de bonne humeur et fait les efforts voulus pour s’intégrer. Sous cet aspect-là, il me rappelle un peu IgordeCamargo, que j’ai connu à Genk. Ce sont des gens qui apprennent vite les rudiments de la langue et qui se fondent dans leur nouvel environnement. Ce n’est bien sûr pas une garantie de réussite, mais cela facilite les choses « .

 » Kanu a d’emblée laissé une bonne impression, tant comme footballeur que comme être humain « , renchérit BartGoor.  » Lors des exercices de sprint, ou d’un jogging, il est toujours dans les premiers. Pour un Brésilien, cela veut dire beaucoup. Mais il doit évidemment confirmer toutes ces bonnes dispositions en compétition « .

Il était 23 h 30, mercredi passé, lorsque Kanu a quitté le stade Constant Vanden Stock, accompagné par Louisa De Melo. Au passage, il s’est arrêté pour satisfaire aux demandes d’autographe des supporters qui ont attendu la sortie des joueurs, malgré la déception qu’ils ont endurée. Ils ne lui en voulaient pas, au contraire, et ont félicité le jeune Brésilien.  » Merci « , a répondu Kanu en français après avoir entendu (et donc compris) ce qu’on lui disait :  » Bien joué « .

par daniel devos et raoul de groote photos: reporters

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