La stratégie du fair-play

Voici bientôt deux ans, la fédé française de foot créait son CNE, Conseil National de l’Ethique : initiative éminemment louable visant à remplacer les triches, les castagnes et les haines, bien présentes dans notre joli mini-monde, par de la loyauté, du respect, de la solidarité, et autres  » valeurs  » créées par dieu pour grandir l’Homo Footballicus.

C’était d’autant plus chouette que le président choisi fut Dominique Rocheteau, symbole en tous points positif : celui qu’on surnomma l’Ange Vert était un dribbleur qui se faisait descendre avec une belle régularité et une encore plus belle indifférence ! Tu le sliding-tacklais par derrière, tu lui tirais le maillot ou autre chose, ton coude faisait voir 36 chandelles à son plexus solaire et Rocheteau restait de marbre. Jamais de vengeance ni de cinéma, ni de débat polémique avec l’arbitre, ni de gueulante scandalisée, ni même de rictus venimeux. Comme si de rien n’avait été, Rocheteau se relevait et repartait au charbon. Rarissime, plus beau qu’un beau but, inoubliable…

Mais il est duraille de prêcher le Bien : deux ans plus tard, je n’ai entendu parler du CNE qu’à deux reprises pas très probantes ! En janvier dernier, le CNE choisissait d’attirer l’attention de la Commission de Discipline sur une simulation de FabriceFiorèse, l’attaquant du PSG. Fiorèse se ramassait deux matches de suspension… alors que les Lois du Jeu énoncent clairement que la simulation est à punir d’un carton jaune. Déjà qu’une simulation ressemble parfois autant à une faute réelle que FrankdeBoer à Ronald De Boer. Bonjour l’incohérence, la frustration, la ranc£ur ! Et voici dix jours, Téléfoot nous montrait la phase qui avait valu à Ulrich Ramé, le gardien bordelais, d’être désigné par le CNE lauréat/fair-play du mois de novembre.

Je m’attendais à des images attestant d’une grandeur d’âme originale, je n’ai vu que du vu mille fois : l’arbitre siffle penalty contre Bordeaux et Franck Jurietti. Attroupement haute tension, Jurietti pète les plombs, il veut aller le dire à l’arbitre avec ses mains, Ramé le retient… Se voir décerner un prix de fair-play pour ça, ça veut dire que le CNE ne sait pas quoi faire avec son prix : il traque le fair-play de manière aussi désabusée que Diogène, qui cherchait un Homme véritable en plein jour avec sa lanterne ! Ou alors, le CNE peut décerner cent prix chaque mois à des centaines de gars qui ont agi comme Ramé : agissement qui n’a finalement rien de fair-play, pareille intervention étant un geste basique de pragmatisme professionnel ! Quand ton pote pète un plomb tandis que tu as conservé ton self-control, tu retiens ton pote par pur intérêt : pour qu’il ne pénalise pas l’équipe en se chopant un an de suspension,… et pas pour l’amour du fair-play !

A propos de fair-play, l’affaire Lierse-Millen n’est pas une bonne chose : l’Arsenal-Sheffield de 1999 faisant jurisprudence morale (et aussi parce qu’il s’agit de rejouer Millen, pas Anderlecht !), le Lierse se sent obligé d’accepter un replay… qui ouvre la porte à futures magouilles et revendications ! Si pareils replays se généralisent, faut pas rêver : demain, l’équipe qui voudra maintenir un résultat en fin de match demandera à l’un des siens de faire le mort suite à un contact, tandis que ses potes gueuleront à l’adversaire de mettre en touche… et les dirigeants iront ensuite gueuler en justice si ça n’a pas été le cas !

Quoi ? Je vois tout en noir alors que ces ballons mis en touche, puis rendus sous les applaudissements, sont une des rares manifestations effectives de fair-play subsistant ? N’exagérons rien, comme pour toute phase arrêtée, la consigne est stricte et double en pareil cas : un, si tu ne peux pas y couper, mets dehors bien haut dans le camp de l’adversaire ; deux, rends le ballon bien bas dans le camp adverse lorsque tu dois rendre… et va de suite en pressing !

En foot, même le fair-play est stratégique.

par Bernard Jeunejean

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