La star voyou

Fils de dévots supporters d’Everton, le jeune Wayne rêvait de devenir footballeur pro. La réalité a largement dépassé la fiction : il est devenu une marque, une icône, une vache à lait et une fantastique source de revenus pour la presse anglaise à sensation.

Une station d’essence le long de la M62, l’autoroute Liverpool-Manchester. Par un beau jour d’août 2004, un motard se parque à côté d’un minibus dont les portes arrière s’ouvrent brusquement. Quelques secondes plus tard, le motard aperçoit les yeux inquiets de Wayne Rooney. Celui-ci s’engouffre dans une Mercedes noire blindée et disparaît en direction de Manchester. L’homme n’en revient pas. Il a évidemment reconnu le jeune homme, que toute l’Angleterre semble rechercher.

Rooney est en fuite. Des dizaines de journalistes assiègent sa maison à Croxteth, le quartier de Liverpool où il réside. Le footballeur a donc trouvé refuge chez un oncle et une tante qui lui font quitter la ville tous les jours. C’est une triste nécessité. La presse à sensation est en manque de nouvelles et se complaît dans la description des visites au bordel de Rooney fin 2002. Les nier serait vain puisque les images des caméras de surveillance ont été dévoilées. Des journalistes ont même interrogé des prostituées qu’il a payées. Un journal le ridiculise complètement. The Sun est certain qu’à 17 ans, Rooney a eu des relations sexuelles avec une grand-mère de 52 ans.

S’il était en sécurité à Croxteth, sa situation serait moins pénible mais son quartier le rejette. Les graffiti qui défigurent la façade de sa maison sont éloquents : Judas, Rooney scum et Die Rooney. Il veut quitter Everton, son premier club professionnel, au profit de Manchester United, d’où cette explosion de haine. En plus, il se dispute en public avec le manager d’Everton, David Moyes. Ian Monk, le conseiller médiatique de Rooney, ne sait plus quoi faire. Le footballeur ne peut même pas apporter de réponse sportive à cette déferlante, puisqu’il n’est pas encore rétabli d’une fracture du pied gauche, qu’il s’est occasionnée deux mois plus tôt durant l’Euro portugais.

Le jeune attaquant finit par plaider coupable. Il a été stupide, malgré sa notoriété, de se rendre dans un bordel. Il hait tous les journalistes anglais qui l’ont cloué au pilori. Le 31 août 2004, il paraphe néanmoins un contrat de six ans à Manchester United, ce qui adoucit son amertume. Les Red Devils ont déboursé 30 millions d’euros pour ses services et on comprend pourquoi le 28 septembre 2004 : ses débuts officiels pour Manchester United sont fantastiques. Rooney marque trois buts, dont un sur un superbe coup franc. En Ligue des Champions contre Fenerbahçe, il contribue à la victoire 6-2 et confirme ainsi son statut de plus grand talent d’Angleterre.

Chewing-gum

Il n’a que 18 ans mais a déjà perdu sa liberté. Il lui est impossible de sortir se détendre avec ses copains. On dirait que certains journalistes le pistent jour et nuit. Le footballeur est déjà un instrument : ses contrats à sept chiffres sont déjà prêts, les entreprises se bousculent au portillon. La Premier League compte tant d’étoiles étrangères que la présence d’un jeune Anglais est encore plus attractive. Paul Stretford, un agent de joueurs, réalise que Rooney est une mine d’or et parvient à lui faire signer un contrat stipulant que 20 % des revenus de sponsoring de Rooney lui reviennent.

Tous les supporters anglais connaissent l’histoire de Rooney, cet enfant prodige dont la carrière semble virer à la comédie. C’est du pain béni pour la presse : un jeune issu du sinistre Croxteth qui, à 10 ans, joue comme un ado, a de grosses cuisses et un cou de taureau, est découvert par Bob Pendleton, un scout d’Everton. Le club n’éprouve aucune difficulté à enrôler le gamin, dont les parents, Wayne Rooney senior et Jeanette, sont de dévots supporters d’Everton. L’enfant joue toujours avec des footballeurs plus âgés, il collectionne les buts, il est invincible. Il effectue ses débuts professionnels le 17 août 2002 contre Tottenham Hotspur (2-2). Cinq jours avant ses 17 ans, le 19 octobre de la même année, il marque son premier but en championnat. Contre Arsenal (2-1), il surprend le gardien David Seaman d’un superbe tir dans la lucarne, dans les arrêts de jeu. Rooney entre dans la légende.

David Moyes met tout en £uvre pour le protéger du revers de la médaille. Il semble y parvenir mais ce n’est qu’apparence : quelques semaines plus tard, Rooney commence à fréquenter les maisons closes et les journalistes le remarquent rapidement. Pour augmenter ses ventes, la presse à sensation attend qu’il soit plus célèbre avant de lâcher le morceau. Son attente n’est pas longue. Rooney continue à se distinguer, pas toujours dans le bon sens. Le 26 décembre 2002, il est le plus jeune footballeur de PremierLeague à être exclu. L’arbitre David Elleray n’a pas le choix face à la brutalité de son tacle sur Steve Vickers, l’arrière de Birmingham City. Quelques jours plus tôt, Rooney a déjà suscité l’émoi en se présentant en direct à la télévision avec des vêtements miteux et en mâchant un chewing-gum. Sven-Gorän Eriksson, alors sélectionneur de l’Angleterre, lui remet le prix de la Jeune Personnalité sportive de l’Année durant un gala de la BBC. Cela ne semble pas l’intéresser.

Le contrat

Rooney devient international. Le 12 février 2003, l’Angleterre est battue 3-1 par l’Australie mais Rooney, entré en cours de partie, peut être fier de lui. A 17 ans et 111 jours, il devient le plus jeune international anglais de tous les temps. Il fâche John Hyland, un promoteur de boxe qui aurait aimé représenter Rooney lors de son éclosion. Mais un concurrent lui a volé son étoile et le duo perd des millions. Hyland soupçonne Stretford, le concurrent en question, d’avoir fait tourner la tête des parents avec de folles promesses et il veut prendre sa revanche.

Stretford n’écoute pas, la bagarre dure des mois. Finalement, Hyland ne voit plus qu’une issue : le chantage pur et dur. Le décor est superbe, ce 4 juin 2003. A mi-chemin entre Liverpool et Manchester, à Warrington, l’hôtel Lord Daresbury a décoré son lobby avec un tel faste qu’il a l’air sorti d’Alice au Pays des Merveilles.

La scène suivante est plutôt sortie d’un roman policier. Sur la table à laquelle sont installés Stretford et Dave Lockwood, un associé de Hyland, un papier. C’est un contrat. Ses conditions ? Il stipule que pendant dix ans, Stretford doit verser à Hyland la moitié de ce qu’il gagne grâce à Rooney. Il ne peut pas prendre de décision quant à la carrière du footballeur. Il doit signer et vite. Stretford refuse. 20 minutes plus tard, Hyland et ses hommes de main pénètrent dans l’hôtel. Ils commencent à crier, à menacer. L’un d’eux se penche vers Stretford. Pâle comme la mort, celui-ci s’enfonce dans son fauteuil. C’est un signe. Les hommes s’en vont, mission réussie.

Enfin, presque. Des caméras cachées et un équipement d’écoute font tout éclater au grand jour. Stretford nourrissait des soupçons et il refuse toujours de signer. Une semaine plus tard, il dépose plainte à la police pour chantage. Il accuse Hyland et deux frères australiens, bodybuilders, Chris et Tony Bacon. Désormais, dans le monde merveilleux de Wayne, tout semble possible. Le 6 juillet 2003, News of the World s’exclame :  » Rooney, un complot mortel : des gangsters menacent de lui briser les jambes et de tuer son agent  » ; c’est quelque peu excessif. Hyland et les frères Bacon ne sont pas des criminels. Ils se sentent trompés. Rooney n’est pas un ange, d’ailleurs. A la fin de la saison 2003-2004, il totalise plus de cartes jaunes que de buts : onze-neuf.

Euphorie

Ce n’est qu’un début. Portugal, juin 2004. L’étoile de Rooney atteint le firmament. Durant le premier tour de l’Euro, il marque deux buts contre la Suisse (3-0) et contre la Croatie. L’Angleterre baigne dans l’euphorie puis sombre dans la détresse quand Rooney se fracture un os du pied contre le Portugal, en quarts de finale. L’Angleterre fait match nul puis est battue aux tirs au but. Rooney est le héros de la nation. Eriksson le compare même à Pelédurant sa jeunesse.

Rooney hume l’odeur de l’argent. The Sun lui propose 250.000 livres pour une interview exclusive. Le 7 juillet 2004, le journal offre à ses lecteurs une plongée dans la vie de Rooney. 19 jours plus tard, le même quotidien transforme sa vie en enfer. Il titre sur ses multiples visites à des bordels. Pendant des semaines, les autres journaux à sensation suivent le mouvement. Le 22 août 2004, The Sunday Mirror étale sur sept pleines pages tous les détails possibles et imaginables sur les aventures sexuelles de Rooney, sans la moindre pudeur, avec des photos provenant des caméras de surveillance.

Il est victime de chantage. Les maisons closes sont aux mains de la pègre. Début août 2004, le footballeur peut éviter les fuites s’il délie les cordons de sa bourse. Son refus le condamne à se réfugier, pendant une semaine, dans le minibus blanc de son oncle Shaun. La Mercedes noire de Stretford lui sert de seconde cachette. Au même moment, les supporters d’Everton le pourchassent, furieux que l’attaquant rejoigne Manchester United, le club qu’ils haïssent de tout leur c£ur.

Rooney ne plie pas malgré la pression. Il confirme son début de rêve contre Fenerbahçe. Stretford est moins heureux. En septembre et en octobre 2004, sa plainte contre Hyland et les frères Bacon passe au tribunal. Le père de Rooney, convoqué comme témoin, suscite l’émoi. Il avoue qu’en juin 2002, Stretford lui a fait signer un contrat qui lui permet de représenter son fils alors qu’à ce moment, le footballeur était lié au manager Peter McIntosh.

Stretford est piégé. Il a toujours affirmé n’avoir commencé à discuter avec le père qu’en décembre 2002. Face à ses mensonges, le tribunal n’accorde plus aucun crédit à ses déclarations. Hyland respire. L’affaire est classée, la FA reprend le dossier.

Ricanements

Auteur de 11 buts durant sa première saison à Old Trafford, Rooney est le meilleur buteur de Manchester. On connaît déjà son mauvais côté. Il est explosif. Le puissant attaquant est animé par une sourde colère. Cette rage rend néanmoins son jeu extraordinaire. Rooney tire comme un canon, il poursuit ses adversaires tel un lion affamé depuis des semaines. Il est impossible de le contenir.

Son jeu, mais aussi son passé et son caractère, sont disséqués au grand désespoir des habitants de Croxteth. La presse pourchasse sa famille et ses amis. Elle veut connaître les moindres détails de sa vie privée. La famille de son amie, Coleen McLoughlin, n’y échappe pas non plus. Stretford parvient cependant à faire profiter le footballeur de cette Roo-mania. En mars 2006, l’attaquant signe un contrat unique avec la maison d’édition Harper-Collins. Il reçoit 5 millions de livres en échange de la publication de cinq livres sur sa vie, cinq ouvrages qui paraîtront en l’espace de douze ans.

Le premier tome sort en librairie le 30 juillet 2006. Rooney, âgé de 20 ans, écrit ses mémoires… Cela provoque des ricanements. My Story So Far est descendu en flammes par les critiques. Le livre est une glorification dénuée de la moindre profondeur et de révélations intéressantes. Le timing est d’ailleurs malheureux, puisque, quelques semaines plus tôt, Rooney a été exclu contre le Portugal au Mondial, pour avoir frappé Ricardo Carvalho au bassin.

Le contrat que Coleen McLoughlin reçoit un an plus tard illustre parfaitement la folie de la vie des Rooney. Elle peut également publier le récit de sa vie, rien que parce qu’elle partage la vie de Rooney. Le livre, Welcome To My World, est par moments très ouvert. Apparemment, Rooney l’a demandée en mariage sur le parking d’une pompe à essence. L’Angleterre ricane.

Stretford, lui, a été sévèrement sanctionné. La FA conclut qu’il a outrepassé les règlements de la fédération de neuf manières différentes. Il a notamment offert un contrat illégal à Rooney, il n’a pas annoncé la passation du contrat et a dépassé la durée maximale de deux ans de huit saisons. En 2008, il perd sa licence pour neuf mois mais Rooney lui reste fidèle. Le footballeur sait que son agent met tout en £uvre pour lui faire gagner de l’argent.

La fameuse reprise

Rooney a un grand mérite : malgré la pression, il poursuit sa progression. Le footballeur est de plus en plus complet. Sir Alex Ferguson l’oblige à jouer sur le flanc gauche, où il se mue en parfait joueur d’équipe. Il est un des premiers que l’Ecossais couche sur sa feuille de match. Le manager adore son engagement, ses combinaisons, sa vision du jeu, ses attaques subites et ses démarrages. Longtemps, Rooney se distingue au service de Cristiano Ronaldo, s’effaçant de bon gré au profit de l’équipe.

Rooney semble libéré par le départ du Portugais pour le Real Madrid, en août 2009. Il obtient plus de latitude et se mue en buteur. Il marque 26 buts durant la saison 2009-2010, ce qui lui vaut encore plus de respect. Cependant, la vie de Rooney est jalonnée d’imprévus ou d’événements étranges. Il a encore fréquenté des prostituées. Cette fois, en tant qu’homme marié, puisque Coleen et lui sont passés devant le maire en 2008. A sa crise conjugale s’ajoute un clash avec les supporters lors du flop au Mondial sud-africain. Et une dispute avec Ferguson. Nous sommes le 20 octobre 2010 et Rooney veut quitter Manchester United. Il menace de rejoindre Chelsea ou City. Il n’est plus titulaire incontesté et il reproche au club de ne pas enrôler davantage de grands joueurs. La bagarre s’achève bizarrement. Rooney se laisse convaincre par Ferguson et deux jours plus tard, il prolonge son contrat à Old Trafford jusqu’en 2015.

Pendant tout ce tapage, Rooney se rétablit de sa blessure à la cheville. Il effectue son retour le 20 novembre au cours du match contre Wigan Athletic. Il est accueilli par un curieux mélange de huées et d’applaudissements. Le footballeur peine à retrouver son niveau. Début 2011, rien ne change. Rooney reste maladroit le 12 février dernier, contre Manchester City. Il a l’air rouillé jusqu’à la… 78e minute. D’une action, il fait basculer la partie. Du flanc droit, Nani le sert. Rooney pivote, s’élance dans les airs et suscite l’admiration de millions de téléspectateurs avec son retourné face à Vincent Kompany. Cette reprise est le but de l’année en Angleterre.

Rooney est un phénomène. Il tire, travaille, crie, suscite admiration et dégoût. A la veille du dénouement de la saison, Sir Ferguson ne peut qu’espérer qu’il conserve ce niveau.

PAR MARTIJN HORN, ESM

The Sun titre sur les visites de Rooney au bordel. Les autres tabloïds suivent. Rooney est un phénomène. Il marque, travaille et crie. Il suscite admiration et dégoût à la fois. Il ne peut sortir tranquillement. Certains journalistes semblent le pister jour et nuit.

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