» La stabilité nous rend forts « 

Van Damme est-il oublié ? Où s’arrêteront Lukaku et Kouyaté ? Comment Ariel Jacobs va-t-il résoudre l’indisponibilité de Biglia ?

Ils ont un grain « ,  » Ils sont fous « , entend-on à propos des gardiens de but.  » Il est vrai que pour aller dans la cage, il faut une certaine dose de folie, ou de grande lucidité, le goût du challenge et, par-dessus tout, évidemment, l’amour de ce poste « , écrivait récemment Jean-Marc Furlan, un ancien footballeur français des années 80, dans un de ses blogs.

La solitude des gardiens de but se retrouve dans les palmarès des grandes distinctions du football. Lev Yachine n’est-il pas le seul portier ayant inscrit son nom au panthéon du Ballon d’Or ? En Belgique, il a fallu attendre 1963 avant qu’un gardien, Jean Nicolay, chausse enfin le Soulier d’Or. Aujourd’hui, plus personne ne doute de leur importance croissante dans le jeu.  » Un keeper qui compte est le premier attaquant et le dernier défenseur de son équipe « , note Silvio Proto.  » Le gardien de but ne vit plus seul sur son île. Il voit parfaitement ce qui se passe devant lui et, à la limite, c’est un passionné de la lecture du jeu. « 

Deux anciens gardiens de but de chez nous sont devenus de grands coaches : Raymond Goethals et Michel Preud’homme. Comme eux, Proto s’intéresse à la vie tactique de son équipe.

L’importance du gardien de but dans les équipes modernes est-elle suffisamment mise en exergue ?

Silvio Proto : Son rôle est en tout cas plus complet depuis l’obligation de ne plus prendre le ballon en mains sur les passes en retrait de ses équipiers. Le gardien de but est presque devenu un footballeur comme les autres, tout en gardant les spécificités de son job. Moi, finalement, je peux faire la même chose que mes camarades, relancer, même marquer parfois. Quand un gardien de but relance parfaitement un contre qui va jusqu’au bout, c’est magnifique. Il est alors aussi heureux que celui qui a signé une passe décisive. Mais cela ne tombe pas du ciel. Cela exige de l’attention, une compréhension des mécanismes internes pour choisir une action en profondeur, une passe vers son arrière le plus proche, etc. Un gardien ne peut pas être distrait, doit comprendre ce qui se passe, de la première à la dernière seconde de jeu, même si le ballon est loin de lui, pour intervenir et proposer rapidement les solutions les plus indiquées. L’entraîneur définit évidemment les lignes tactiques. Moi, dans le cadre de ma fonction, je coache, je parle sur le terrain.

 » Juhasz est un joueur-clé de la défense « 

C’est essentiel, même pour une ligne défensive aussi bien rodée que la vôtre ?

Elle est facile à diriger même si je dois jongler avec les langues : français avec Guillaume Gillet, italien avec Ondrej Mazuch, anglais avec Roland Juhasz, néerlandais avec Olivier Deschacht, etc. Cela vient automatiquement. Notre défense joue assez haut et cela me convient. Je ne me contente pas de rester sur ma ligne. Quand la situation l’exige, je dois couvrir une zone assez vaste. Il m’a d’ailleurs fallu un temps d’adaptation. A La Louvière, j’évoluais derrière un mur très rapproché. Un gardien de but a alors la vue masquée : les situations peuvent être totalement imprévisibles et stressantes. Je suis devenu plus complet. Etant assez rapide, les sorties loin de ma cage ne me posent aucun problème. Quand cela arrive, la synchronisation avec la défense doit être parfaite. La saison passée, tout n’avait pas été impeccable.

Plus précisément…

Il a fallu du temps et, petit à petit, les glissements se sont révélés judicieux. Mazuch a pris sa place dans l’axe, Juhasz s’est installé sur sa gauche et Deschacht, arrière central durant une bonne période, s’est définitivement réinstallé au back. La blessure de Marcin Wasilewski avait aussi provoqué un changement de donne. Gillet a trouvé ses marques à droite. Il a totalement accepté ces fonctions. Lors de la Coupe du Monde, des vedettes comme Maicon, Lahm ou Ramos ont souligné l’importance de cette fonction.

De quoi le convaincre d’accepter ce job pour de bon ?

A mon avis, oui : cela le motive. Rien ne l’empêche pas de mettre le nez à la fenêtre au bon moment. Guillaume garde donc ce comportement d’ancien attaquant dans son jeu. Par rapport à Wasilewski, qui était un peu plus fort défensivement, il appuie plus les mouvements offensifs. C’est une bonne chose, d’autant plus qu’il ajoute progressivement plus de science défensive. Quand un arrière se lance dans un raid, il doit être couvert et capable de revenir dare-dare en cas de perte du ballon. Cela demande de bien gérer ses efforts. Juhasz est aussi un ancien attaquant qui fait mal dans le trafic aérien. Pour un arrière central, Roland marque beaucoup. Calme, dur dans les duels, intelligent, rassurant, il complète bien Mazuch, excellent à la relance. A deux, Juhasz et Mazuch forment une belle charnière. Juhasz est un joueur-clé de la défense. Il avait été question de son départ en été. Cela aurait posé des problèmes même si personne n’est irremplaçable à Anderlecht.

Jovanovic a-t-il raison quand il déclare que Deschacht est méchamment sous-estimé en Belgique ?

Evidemment : il y a dix ans qu’Oli est titulaire à Anderlecht. Ce simple constat suffit et il a progressivement démenti tous ses contradicteurs. Deschacht détient une superbe frappe. Oli devrait allumer deux ou fois par match. De plus, notre capitaine soigne sa relance, canarde rarement dans la tribune. On l’oublie aussi : Deschacht a le sens de la passe entre les lignes. Il est moins offensif que Gillet mais c’est tout à fait normal car il joue derrière Mbark Boussoufa. Il y a deux gars pour chaque poste. Oli peut revenir dans l’axe, Nemanja Rnic est un chien de garde qui dépanne à droite où il est davantage défensif que Gillet, Jan Lecjaks a du potentiel à gauche, etc. Cette défense a acquis un vécu ensemble, c’est un très gros capital. Elle repart sur les mêmes bases que la saison passée. La stabilité constitue une de nos forces, pas seulement qu’en défense, bien sûr.

 » Kouyaté a facilité la vie de Biglia « 

Le départ de Van Damme a-t-il désorienté la défense ?

Je ne pense pas, même si Jelle a été très important la saison passée. A mon avis, Lucas Biglia et Cheikhou Kouyaté seront moins offensifs. Sacha Kljestan sait défendre aussi. Il perfectionne ses automatismes pour le moment, se place sur le terrain, voit ce qu’il peut et doit faire dans la roue de Boussoufa. Kljestan, c’est du sérieux, de l’application, de l’intelligence. A quoi cela servirait-il d’épater la galerie durant une ou deux semaines ? L’Américain est un homme de collectif. Il l’a déjà prouvé sur la scène européenne et même face à Eupen. Kljestan a entamé le match contre Eupen sur le banc mais a su raviver le feu au centre du terrain quand Biglia est descendu suite à sa luxation de l’épaule. Quand on connaît l’importance de l’Argentin à Anderlecht, on peut dire que ce n’est pas rien : Kljestan n’est peut-être pas que le remplaçant de Van Damme.

Ah, bon ?

Il a plus d’une corde à son arc, tout comme Kouyaté, de plus en plus fort. Je ne connais pas ses limites. Lui non plus je crois. Pour le moment, notre Sénégalais ratisse, nettoie les ballons pour Biglia mais il monte en puissance, ne se déconcentre pas même quand cela ne tourne pas. Sa montée en puissance est remarquable. Techniquement, ce n’est pas encore un terrible joueur mais il connaît ses qualités et ses défauts. Il récupère énormément, ne dribble jamais cinq adversaires mais sait quand il faut mettre le nez à la fenêtre. Kouyaté a facilité la vie de Biglia, lui a permis de jouer plus haut. La blessure de Jan Polak a été la naissance de Kouyaté qui en a profité pour se révéler. Polak a une qualité que Kouyaté ne possède pas encore.

Dites-nous…

Tranchant dans ses passes, Jan atteignait les attaquants sans passer nécessairement par Boussoufa. C’était un leader, comme Nicolas Frutos. De toute façon, cela prouve aussi que l’effectif est riche en profondeur. Au Standard, il n’y pas eu de remplaçant dans le groupe après la blessure de Steven Defour et cela peut expliquer pas mal de choses. Boussoufa est rassuré quand il voit tout cela derrière lui. L’occupation est stable en…

En 4-3-3, généralement mais c’était plus un 4-4-2 contre Eupen.

Il y avait de cela. S’il y a eu des ratés dans le moteur en première mi-temps, cela s’expliquait par un manque de concentration, bien exploité par Eupen. Ce n’était pas le 4-3-3 habituel, c’est vrai, mais un 4-4-2 qui bougeait au fil du match : 4-2-4, 4-3-3, 4-2-3-1, etc. Chaque joueur a été replacé face à ses responsabilités au repos. Et le coach a procédé à un changement tactique qui a porté ses fruits. C’est lui aussi qui a gagné le match. Matias Suarez s’est retrouvé à gauche et Boussoufa dans l’axe. Bingo sur toute la ligne. Anderlecht a haussé son niveau de jeu et Eupen a logiquement baissé le pied. L’acquis de la saison passé a joué. Matias n’a peut-être pas rayonné comme la saison passée mais il a quand même marqué deux buts. Le danger venait enfin de partout. Quand Boussoufa prend le taureau par les cornes, il est unique en Belgique. Mbark est plus que jamais notre inventeur de jeu. A droite, Jonathan Legear a bien déboulé. Il y avait des forces vives sur le banc. Thomas Chatelle est précieux. L’effectif est étoffé. Quand Jo a besoin de souffler, Thomas a tout pour le remplacer avec bonheur.

 » J’ai 27 ans et c’est le moment d’engranger les titres « 

Où s’arrêtera Romelu Lukaku ?

C’est comme pour Kouyaté : personne ne le sait. Romelu a déposé sa carte de visite la saison passée, en restant modeste et travailleur. Il a tout pour devenir un des plus grands attaquants de pointe européens de sa génération. Lukaku a quand même remplacé Frutos sans se poser de questions. Anderlecht a profité sagement de son arrivée au firmament. Lukaku est un gros travailleur comme Tom De Sutter qui revient à grands pas. Je suis persuadé que Tom va éclater. Quand on dispose d’attaquants comme Lukaku, De Sutter ou Suarez, c’est super. Comme nous tous, Lukaku a bien tiré profit de l’Europa League pour avancer, ajouter du jeu à ses atouts athlétiques. Cette campagne européenne nous a tous boostés car nous avions l’envie et l’effectif de circonstance. Ce désir de réaliser quelque chose de grand n’est pas né avec le drame de Wasilewski mais lors des test-matches de 2008-2009. J’étais encore au Beerschot et à mon retour, j’ai senti que la rage de gagner était énorme.

Quelles sont vos perspectives personnelles ?

J’ai été sobre et régulier la saison passée. Je bosse, je progresse. A La Louvière, on me jugeait sur 10 ballons tant j’avais du travail. Ici, j’ai parfois un demi-ballon pour faire la différence. J’ai franchi ce cap et je me suis imposé. J’ai vaincu les doutes nés après ma blessure au genou (ligaments croisés), mon séjour au Beerschot, etc. En 2009-2010, il m’a peut-être manqué un super save pour aller plus loin en Coupe d’Europe. Je suis sous contrat jusqu’en 2012. J’ai 27 ans et c’est le moment d’engranger les titres. J’ai gagné la Coupe de Belgique à 19 ans, j’ai été champion à 21 ans. Je rêve du doublé, cela doit être génial. Anderlecht doit aussi signer des exploits européens. Anderlecht a le plus d’atouts en Belgique. Notre principal adversaire, ce sera nous si nous nous relâchons. Mais je vis aussi au jour le jour, sans me prendre la tête car, ayant déjà été sérieusement blessé au genou, je sais que tout est fragile. Plus tard, quand je ne serai plus à Anderlecht, j’aimerais qu’on garde de moi l’image d’un gardien gagneur et assez sobre. Je ne suis pas du style à me dire : -Ce match, je ne peux pas le rater. Non, mon discours intérieur est différent : – Il faut que je gagne. l

par pierre bilic

Mbark est plus que jamais notre inventeur de jeu.

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