La soccer dance

Avant d’être sacrés champion de MLS dimanche dernier face aux Houston Dynamo, les Los Angeles Galaxy de David Beckham et Robbie Keane affrontaient les Red Bulls de Thierry Henry. Plongée, en apnée, dans le petit monde de la Major League Soccer.

Il est 18 h. La nuit est déjà tombée sur Beverly Hills, ses magasins de bourges et ses bagnoles de luxe. Le chauffeur de taxi, un Pakistanais depuis 20 ans à Los Angeles, fait la causette pour passer le temps…  » Le soccer commence à se développer aux Etats-Unis. De la fenêtre de ma chambre, j’ai vue sur une quinzaine de terrains de foot où sont formés des centaines de gamins âgés de 3 à 15 ans. Cependant, à l’adolescence, ces gosses arrêteront et se tourneront vers des disciplines plus populaires comme le foot américain ou le basket. Ce sont eux qui les rendront cool à l’école. « 

Welcome au pays de l’oncle Sam. Mr Cab Driver sait où évoluent les Lakers mais comme le valet de l’hôtel il n’a pas l’air plus au courant que ça du stade où jouent les Galaxy de DavidBeckham.  » Le Home Depot Center ? Je pense que c’est à Carson.  » Comptez 1 heure et demie. 23 miles (37 kilomètres) et 100 dollars pour la course. Un choc de Major League Soccer, ça se mérite.

19 h 30. C’est tout sauf la cohue autour du complexe sportif installé sur le campus de l’université de Dominguez Hills. Un site gigantesque avec un vélodrome qui peut accueillir 2.450 curieux, un stade de tennis qui compte 8.000 sièges et un autre d’athlétisme de 10.000 places assises. Par le passé, la plupart des clubs de soccer utilisaient les terrains de football américain mais des infrastructures prévues pour 70.000 personnes aux trois quarts vides, ça faisait un peu con. Puis pas très sérieux quand on s’escrime à développer une discipline dans un pays adepte du so cool comme les Etats-Unis.

Si les infrastructures que se partagent les Galaxy et les Chivas USA (d’où vient l’Anderlechtois Sacha Kljestan), une filiale du club de Guadalajara au Mexique dont ils ont hérité du logo et des couleurs, peuvent contenter 27.000 supporters, ils ne sont que 20.000 ce soir alors que se dispute une demi-finale de play-offs.  » C’est parce que cette rencontre se joue en semaine. Le même match un dimanche serait disputé à guichets fermés « , assure un journaliste.

A ma gauche, les Galaxy. La West Coast. Los Angeles. David Beckham et Robbie Keane. A ma droite, les Red Bulls. L’ East Coast. New York. Thierry Henry et Rafael Marquez. Le Mexicain a beau être suspendu suite aux échauffourées du match aller, l’affiche a de la gueule. Contrairement aux apparences, la cote du soccer est en hausse. Notamment grâce à la petite baisse de popularité de cet ennuyeux sport qu’est le baseball et aux lock-out successifs de la NFL (National Football League) et de la NBA (National Basketball Association). Les  » fermetures provisoires  » de ces deux grandes fédérations décidées par l’employeur pour répondre à un conflit collectif ont libéré pas mal d’espace médiatique. Selon Sporting News, l’affluence moyenne pour les 18 équipes de MLS a augmenté de 7,2 % lors de la saison écoulée pour atteindre les 17.872 spectateurs par match et dépasser la NBA (17.323) et la NHL (17.132), la fédération de hockey sur glace.

Ces dernières années, la Major League Soccer a misé sur le nord-ouest du pays avec la création des Portland Timbers et hors frontières des Vancouver Whitecaps où évolue un certain MustaphaJarju, ancien attaquant du Lierse et de Mons. Elle a, semble-t-il, plutôt visé juste. Les Sounders de Seattle ont la plus grosse affluence du pays avec 38.496 spectateurs par match. La visite de San Jose dans la ville des grunges a été jusqu’à déplacer 60.000 personnes.

 » Les Américains ne regardent que les statistiques « 

Alors que le bruit métallique des bâtons en plastique que frappent sans cadence les supporters est presque aussi insupportable que celui des vuvuzelas pendant la Coupe du Monde en Afrique du Sud, un mec se promène et hurle dans les gradins.  » Eat hot dogs. Who wants some hot dog ? Eat me right now « . Allez, faut consommer… Les couloirs du stade ressemblent d’ailleurs davantage aux comptoirs gourmands du Kinepolis qu’aux buvettes de Sclessin et du Parc Astrid.

La version effrayante de l’hymne américain, bien plus triste sort que celui réservé par Gainsbourg à La Marseillaise, à peine terminée, LukeRodgers ouvre la marque sur un service d’Henry en se jouant d’une défense bien naïve. On joue depuis quatre minutes. Après la victoire 0-1 des Galaxy dans la froideur et la neige new-yorkaises, les compteurs sont déjà remis à zéro. La rencontre s’enlise un peu.

Selon Jérôme de Bontin, ancien président de Monaco aujourd’hui membre de la Fédé américaine,  » le niveau de la MLS s’étire entre le milieu de tableau de Ligue 1 et le haut du tableau de L2. Avec des lacunes techniques et un manque de maturité tactique mais un énorme enthousiasme mental « . Le sélectionneur de l’équipe de France, Laurent Blanc qui a vu quelques rencontres de League lors d’un voyage aux Etats-Unis, parle lui d’un bon niveau technique tout en soulignant que sur le plan physique, on navigue en dessous des championnats européens. Là-dessus, on est d’accord.

La Major League Soccer, championnat en devenir ou maison de retraite dorée pour jeunes stars prépensionnés ? La question est ouverte à en juger par le rythme de la rencontre.  » La qualité de jeu n’est pas géniale. Elle n’est pas mauvaise non plus et on peut prendre du plaisir dans les stades. Mais le niveau n’est pas à la hauteur de ce qu’on connaît en Europe « , reconnaît Erik Brouwer, un journaliste sportif hollandais basé aux Etats-Unis.

Les dirigeants demandent cependant autre chose aux joueurs de la trempe de Beckham que de ramener du monde au stade. Beaucoup de femmes dans le cas de l’Anglais.  » Les Américains ne regardent que les statistiques « , poursuit Brouwer.  » Quand il est arrivé de Barcelone, Henry n’était pas aussi bon qu’on pouvait l’attendre. Il ne marquait pas de but et était cordialement détesté par les supporters. Ils voulaient même que le club s’en débarrasse. Marquez qui vient du Barça a lui aussi rencontré ce genre de problèmes. Et il en est allé de même avec Beckham. Cette année, il est revenu en odeur de sainteté. Il fait une bonne saison, a livré 18 assists. Quant à Henry, il a inscrit 15 buts, ce qui doit probablement l’élever au rang de meilleur joueur de tous les temps…  »

Les stars, le Red Bull et les jeux vidéos

Tandis que Keane sort par deux fois de sa boîte, un fameux geste technique qui termine sur le poteau et un incroyable raté, MikeMagee égalise méritoirement de la tête sur un corner de Beckham. 1-1. Mi-temps. L’heure d’une promenade surréaliste parmi les supporters.  » Moi, je suis fan des Lakers. Je ne serais jamais entré dans ce stade si Electronic Arts n’avait pas inventé FIFA. En même temps, je ne tiendrai jamais avec une équipe américaine à ce jeu vidéo « , assène John.

Un peu plus loin, Ryan se qualifie de  » nouveau fan « . Il est d’Orange County, dans la banlieue de Los Angeles, mais tient pour les New York Red Bulls.  » Je suis un accro de la marque. J’adore cette boisson énergisante « , glisse-t-il tout spontanément.  » Le football ? Il est de plus en plus populaire ici. Je suis convaincu moi aussi que FIFA n’y est pas étranger. Tout le monde adore ce jeu. Les gamins du basket, du football américain, du baseball, ils parlent tous foot désormais. Chacun a son équipe favorite en Europe.  »

L’immigration joue bien évidemment un rôle important dans l’expansion du football aux Etats-Unis. 60 nationalités sont représentées dans les clubs de MLS et 16 % des joueurs de la Ligue sont latinos.  » Ça fait plaisir de voir autant de gens excités par les mêmes choses que nous, se réjouit Maria. Le stade n’est pas plein mais on vient de loin. Il y a encore peu de temps, vous auriez vu deux fois moins de monde dans ces tribunes.  »

 » Je suis ici pour Red Bull et pour Rafa Marquez. C’est l’un de mes joueurs préférés « , enchaîne Julio.  » Pour nous qui avons grandi avec le football mexicain, l’arrivée dans la League de mecs comme Marquez fait la différence. On est très latino en Californie du Sud malheureusement, les clubs ne sont pas bien structurés pour avancer avec les enfants. Il y a des terrains pour les gosses mais pas suffisamment. On parle de communautés très pauvres et de kids qui n’ont pas assez d’argent pour se payer des ballons et des chaussures.  »

Garçons et filles confondus, le soccer est le sport le plus pratiqué aux Etats-Unis jusqu’à 14 ou 15 ans.  » Beaucoup d’enfants jouent. Davantage que partout ailleurs dans le monde « , reprend Erik Brouwer.  » Mais chacun fait ce qu’il veut. Il y a une école allemande, une école hollandaise, une école anglaise, très populaire avec ses traditionnels longs ballons. Aucune uniformité. C’est un vrai et grand problème. « 

Certains se demandent par ailleurs si la transition de l’adolescence à l’âge mur, des équipes de jeunes au professionnalisme, est aussi fluide que dans les autres disciplines. Et ils en doutent.

Brouwer connaît un club de jeunes Noirs à New York.  » Leur entraineur, un Black du quartier, veut créer une vraie équipe de football à Harlem. Son projet fait son chemin. Mais selon lui, les ados préfèrent être de mauvais basketteurs que de bons footballeurs. « 

Comme il y a beaucoup plus d’argent dans le basket, le baseball et le football américain, les gosses les plus athlétiques ont tôt fait de réorienter leur carrière.

Progression constante

Le constat peut parfois sembler pessimiste et décourageant. En attendant, les résultats de l’équipe nationale, actuellement 34e au classement FIFA, sont en progression pratiquement constante. Depuis 1990 et leur première participation à la Coupe du Monde en quarante ans, les Etats-Unis n’en ont plus loupé une. Sortant trois fois des poules et atteignant même en 2002 les quarts de finale dont le Ghana les a privés l’an passé aux tirs aux buts.

De plus en plus de joueurs américains évoluent aujourd’hui en Europe. Si ce n’est pas dans des clubs du top, ils occupent souvent des postes de titulaires. Que ce soit à Schalke 04 ( Jermaine Jones), à Fulham ( Clint Dempsey), à Chievo Vérone ( Michael Bradley), à Everton ( Tim Howard).

Des joueurs qui se sont inclinés 1-0 contre la France à Paris en amical le 11 novembre dernier, seuls 5 sur 22 évoluent dans leur championnat national. La Major League est-elle en passe de devenir un marché où les Européens vont faire leurs emplettes ? On peut le penser au vu de la signature à Liverpool de Marc Pelosi, capitaine de la sélection américaine des moins de 17 ans.

On en perdrait presque la demi-finale Los Angeles-New York de vue. Rodgers passe à deux doigts (de pieds) de relancer les Red Bulls. Faute sur Beckham dans le rectangle. Penalty transformé par Landon Donovan. 2-1 à un quart d’heure de la fin. La messe est dite.

22 h 30. Les vestiaires. Alors qu’une cinquantaine de journalistes font le pied de grue devant son casier, Beckham débarque dans un costard de grande classe une rose semblant pousser de la poche de son veston. Il est en permanence accompagné d’un garde du corps.  » Il est aussi le seul joueur, avec Landon Donovan je pense, à pouvoir se garer au parking des voitures de plus de 100.000 dollars à côté des executives du club. Au début, quand ils voyageaient en avion, lui et quelques joueurs s’asseyaient en business tandis que des mecs comme Babayaro se tapaient la classe économique. Célestine détestait ça. Ça le rendait dingue. Il demandait si c’était ça le football professionnel « , argumente Brouwer.

Deux poids, deux mesures. Depuis qu’il a quitté le Real en 2007, Beckham évolue à Los Angeles pour un salaire annuel de 6,5 millions. Ses primes, droits à l’image et contrats publicitaires lui permettant d’élever ses gains à quelque 25 millions d’euros par an. La plupart des joueurs toutefois ne roulent pas sur l’or. Loin s’en faut.

Un long processus

Deuxième meilleur buteur du club derrière Landon Donovan (14) avec 7 réalisations, ChadBarrett (26 ans) évolue en MLS depuis 2005.  » Le niveau est plus élevé que ce que bien des gens peuvent penser. Des joueurs comme Beckham et Henry ont dû se battre. Techniquement, on n’a pas le meilleur championnat du monde mais physiquement et athlétiquement, on est solide. En plus, on joue dans des conditions de jeu assez extrêmes. Des températures très froides par-ci, de l’air chaud et sec par-là. C’est assez perturbant. David n’est pas venu aux Los Angeles Galaxy comme un mec part à la retraite. Il veut nous insuffler l’enthousiasme, le caractère et le football qui ont toujours été le sien. Pas aller voir des films.  »

Barrett en est sûr : la League grandit. Elle continue de construire et d’avancer.  » Je ne vois pas particulièrement de charnière. Juste une évolution constante du niveau. Qui se poursuivra ou non en fonction des résultats de notre équipe nationale et de ce que nous pouvons réussir quand les clubs étrangers viennent chez nous avant le début de leur saison. On devient techniquement plus fort et plus intelligent en se frottant à ces formations. « 

Barrett n’a pas connu très tôt l’encadrement professionnel du haut niveau.  » C’était dur pour moi ne serait-ce que de trouver des bons clubs locaux « , avoue le natif de San Diego.  » Je n’avais pas de grandes villes dans le coin. J’évoluais dans ces équipes qui ne s’entraînent que deux fois par semaine. Tu ne peux pas aller bien loin comme ça. Ça va être un très long processus mais quand j’aurai soixante ans, je pourrai peut-être regarder derrière moi et me dire que j’ai vécu le début de cette grande histoire. « 

Rideau. Enfin presque. Reste le retour, pénible, à Beverly Hills en transport en commun. Deux heures en compagnie de mecs louches et de vieux junkies édentés ravagés par la drogue, l’alcool et la maladie. Living in America…

PAR JULIEN BROQUET À LOS ANGELES – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Beckham veut nous insuffler le caractère et le football qui ont toujours été le sien. Pas aller voir des films.  » Chad Barrett,.  » Tout le monde adore le jeu FIFA. Les gamins du basket, du football américain, du baseball, ils parlent tous foot désormais.  » Un fan

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