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 » La Serie A est un vaccin contre le stress « 

Le nouveau killer de Mouscron a, dans l’ordre, grandi avec Santini, signé avec Mourinho, parié avec Buffon, dealé avec Modric.

Encore 10 bonnes minutes à jouer dans Courtrai – Mouscron, à la mi-décembre, c’est 1-1. Penalty pour les Hurlus. Et qui prend le ballon ? L’homme de la fin d’année civile, Stipe Perica. Depuis un mois, il a mis deux buts contre Ostende, un contre Genk, un contre Anderlecht (en Coupe) et deux contre le Standard. Il prend le ballon et l’expédie au fond, 1-2, score final.

La Belgique découvre cet attaquant croate, prêté par l’Udinese, qui n’avait pratiquement pas joué avant ça, pour cause de blessure. Rencontre avec ce gars encore jeune (24 ans) mais qui a déjà pas mal bourlingué et croisé du très beau monde.

Dans ta tête, c’était logique de t’avancer pour tirer ce penalty important ?

STIPE PERICA : On n’avait pas de liste de tireurs, j’ai pris mes responsabilités et aucun autre joueur n’a contesté, ça veut dire que tout le monde me faisait confiance. Dans des moments pareils, c’est zéro stress pour moi. Je vais te raconter une anecdote. Quand j’avais 17 ans, avec Zadar, on jouait le dernier match du championnat contre le RNK Split. On avait besoin d’un point pour rester en D1, Split devait gagner pour aller en Coupe d’Europe. À une demi-heure de la fin, quand c’était 2-1 pour Split, on a eu un penalty. Tu imagines l’enjeu ? Si on le ratait, ça risquait de nous condamner à la descente. J’ai pris le ballon, tranquillement, et je l’ai déposé sur le point de penalty. Je me suis avancé, tranquillement. Je l’ai mis au fond. On a pris le point qu’il nous fallait. J’aime bien des moments pareils, quand il y a de la tension, de l’excitation, beaucoup d’enjeu, quand le focus est sur moi. Ça ne me paralyse pas du tout.

Je suis arrivé à Chelsea sans être dingue de Chelsea ! C’est Everton qui m’avait toujours fait flasher.  » Stipe Perica

 » En Italie, si tu rates deux passes, tes supporters commencent déjà à te siffler  »

Tu ne ressens jamais de pression ?

PERICA : La pression, c’est ce que tu en fais… J’ai joué en Serie A, c’est un championnat qui te vaccine contre le stress. Là-bas, si tu rates deux passes d’affilée, tes supporters commencent déjà à te siffler. Pressure is part of the game. Si tu joues au foot, tu dois accepter ça. Si tu n’es pas prêt, change de métier.

Comment tu as vécu la première partie de la saison, quand tu passais ton temps à l’infirmerie ?

PERICA : C’est le pire qu’on puisse vivre. Quand tu joues et que tu ne marques pas, tu gardes espoir, tu te dis que ça va finir par rentrer. Tu continues à bosser, tu attaques chaque ballon, tu sais que ça ne peut aller que mieux. Mais quand tu n’es même pas sur le terrain, là c’est beaucoup plus dur à vivre. Tu es impuissant.

Et comment tu vis quand tu montes en fin de match, pour seulement quelques minutes ? C’est plus compliqué parce que tu sais que tu as peu de temps pour montrer quelque chose ?

PERICA : Je ne réfléchis pas. Mes pulsations sont à 170 ou 180 mais je ne me dis pas que je dois prouver quelque chose en quelques minutes si je veux séduire mon entraîneur. Je ne pense pas aux réactions des tribunes. Tout ça, j’y pense, mais avant le match uniquement. À l’hôtel, ça se bouscule beaucoup dans ma tête. D’ailleurs, je préfère de loin jouer à 14h30 qu’à 20 heures. Parce que quand on joue le soir, la journée me paraît très longue. Je suis focus sur le match depuis la veille et j’ai l’impression que les heures se traînent, ça n’avance pas. Je réfléchis à plein de choses, je regarde des phases de l’équipe adverse, des défenseurs que je vais affronter, c’est très prenant.

 » Ivan Santini habitait dans ma rue  »

Il paraît que tu as grandi avec Ivan Santini ?

PERICA : Oui, on était voisins à Zadar, il habitait dans ma rue, à cent mètres de chez moi. Je l’ai connu quand je devais avoir cinq ans, il en a six de plus. On jouait au foot ensemble tous les jours. Et chaque été, quand on rentre en Croatie pour nos vacances, on s’entraîne ensemble pour conserver la forme.

Zadar, c’est aussi la ville de Luka Modric. Tu le connais personnellement ?

PERICA : Ce n’est pas une ville énorme mais elle a fourni un paquet de grands joueurs ! Il y avait quatre gars originaires de Zadar dans le noyau de la Coupe du monde en Russie. C’est la ville de Danijel Subasic et de Dado Prso, qui avait marqué quatre buts dans un match de Ligue des Champions avec Monaco contre La Corogne. Et puis il y a évidemment Modric. On a encore été en contact récemment, je lui ai demandé des places pour le match Bruges – Real. On a appris à se connaître à l’époque où on avait le même agent. Mais lui, il ne retourne plus beaucoup à Zadar. Parce qu’à chaque fois qu’il y remet les pieds, c’est l’émeute garantie dans la ville.

Au ratio nombre de minutes jouées / buts marqués, tu es le meilleur en Belgique sur les dernières semaines. Et tu es bien parti pour devenir le meilleur buteur de Mouscron depuis le retour du club en D1. C’est le genre de statistiques qui t’intéressent ?

PERICA : Je ne suis pas trop un homme de stats. Être le meilleur sur une courte période, c’est bien, mais moi je voudrais être haut dans le classement des buteurs à la fin de la saison.

Ça t’était déjà arrivé de marquer autant de buts en aussi peu de temps ?

PERICA : Une fois, oui. En deux semaines, j’avais marqué cinq fois. Deux avec l’Udinese en championnat d’Italie, trois avec la sélection croate U21.

 » Que mes buts soient beaux ou pas, je m’en fous. Un but, c’est un but  »

Tu dis que, même si tu marques beaucoup depuis quelques semaines, tu ne joues pas bien. Explique.

PERICA : Je suis resté quatre mois sans m’entraîner à cause d’une blessure au genou, je n’ai vraiment commencé à travailler qu’en octobre, donc je ne peux pas encore être tout à fait moi-même, à mon meilleur niveau. C’est logique. Je peux faire beaucoup mieux. Améliorer des petites choses : sauter un peu plus haut, courir un peu plus vite, me retourner un peu plus facilement, me positionner un peu mieux.

La beauté des buts que tu marques, c’est important pour toi ?

PERICA : Absolument pas. Marquer d’un tir magnifique des 30 mètres ou pousser la balle au fond quand elle est dans le petit rectangle, pour moi c’est kif-kif, je m’en fous. Un but, c’est un but. Ce que je trouve plus important, c’est d’arriver à être utile pour l’équipe en plus des buts que je marque. Et puis quand ça ne veut pas rentrer, c’est important d’arriver à être utile autrement.

Et le prestige des buts que tu mets, ça compte ? Par exemple, quand tu mets le seul goal du match sur le terrain de Milan, ça devient automatiquement le jour le plus important de ta carrière ?

PERICA : Non. Les jours les plus importants pour moi sont ceux de mon premier et de mon deuxième matches en pros. Le premier, c’était un match de Coupe de Croatie avec Zadar contre une équipe de D3. J’avais 17 ans. J’ai provoqué un penalty, on s’est qualifiés. Au tour suivant, on affrontait le grand Dinamo Zagreb, qui était en tête du championnat alors qu’on était derniers. À la mi-temps, ils menaient 2-0, on n’était nulle part, ça aurait dû être plié. J’ai marqué deux fois dans les dix dernières minutes et on s’est qualifiés aux prolongations. Ça a été le vrai début de ma carrière, mon décollage. Si je n’avais pas brillé dans ces deux matches, il n’y aurait peut-être rien eu derrière.

Stipe Perica :
Stipe Perica :  » Le succès de l’équipe nationale croate est irréel. On n’a que 4 millions d’habitants ! « © BELGAIMAGE – DAVID STOCKMAN

 » J’arrive à Chelsea, il y a Demba Ba, Eto’o et Torres dans le noyau…  »

Ta première réaction quand tu entends parler de Mouscron, l’été passé ?

PERICA : Je n’avais qu’un objectif, jouer. La saison passée a été compliquée, j’avais quitté l’Udinese pour avoir plus de temps de jeu, j’étais parti à Frosinone en prêt. Mais je me suis blessé au genou après quelques matches en glissant à l’entraînement sur un terrain synthétique. En janvier, je suis parti en Turquie, à Kasimpasa. Mais je continuais à souffrir et ça a été un peu compliqué. En arrivant ici, j’ai décidé de me consacrer à fond à une bonne rééducation, je suis allé voir un grand chirurgien espagnol qui bosse notamment pour des joueurs de Barcelone. Ça m’a pris quatre mois mais ça a payé parce que je suis enfin débarrassé du problème.

Comment tu t’étais retrouvé à Chelsea à 18 ans ? Tu n’avais qu’une saison pro dans les jambes, avec un club de bas de classement dans le championnat de Croatie !

PERICA : Ils m’ont repéré au Championnat du monde U20, en Turquie. Juste après le tournoi, le jour de mes 18 ans, mon agent m’a annoncé que Chelsea me voulait. On est partis là-bas. Au départ, je n’étais pas dingue de Chelsea. Depuis que je m’intéressais au foot, il y a un club qui me faisait flasher, c’était Everton. Ne me demande pas pourquoi, je n’ai jamais su l’expliquer. Mais bon, c’est Chelsea qui voulait m’acheter… J’arrive au centre d’entraînement à Cobham. Là-bas, je suis accueilli par José Mourinho. Puis Petr Cech et Branislav Ivanovic s’occupent de moi. Je suis dans un autre monde.

Après trois semaines, tu es déjà prêté à Breda. Un coup sur la tête ?

PERICA : Pas du tout, c’était prévu dès le départ. Il y avait par exemple Demba Ba, Samuel Eto’o et Fernando Torres dans le noyau de Chelsea, moi j’étais encore un gamin et je débarquais de Croatie. On m’avait directement expliqué que je serais d’abord casé ailleurs, histoire de continuer mon apprentissage. Chelsea m’a mis aux Pays-Bas, ça me convenait parfaitement. J’ai vraiment apprécié l’expérience.

 » Buffon me dit : Ne traîne pas si tu veux me mettre un but, je pars bientôt à la retraite  »

Tu te sens prêt pour le haut niveau, après ça, quand Chelsea te prête à l’Udinese ?

PERICA : Je sais que je passe encore une étape. Aux Pays-Bas, tu as en général deux bons attaquants dans les noyaux, et ça arrive qu’il y ait place pour tous les deux. En Italie, les proportions changent complètement. Tu peux en avoir cinq, et parfois, les coaches ne mettent qu’une pointe. Donc, point de vue concurrence, on ne parle plus du tout de la même chose. Par exemple, j’étais en concurrence avec Antonio Di Natale, Cyril Théréau, Alexis Zapata, Rodrigo Aguirre. Mais j’avais quand même du temps de jeu. Et l’Udinese a fini par m’acheter.

Chelsea avait dépensé 2 millions pour toi, l’Udinese a lâché 4 millions. Pression ?

PERICA : Zéro pression pour moi, je te répète…

Ton plus grand moment en Italie, c’est le seul but du match que tu marques sur le terrain de Milan ? Ou celui que tu as marqué contre Gianluigi Buffon ?

PERICA : Je t’avoue que mettre un but à Buffon, c’est quelque chose de particulier. Surtout si je te raconte tout ce qui a précédé ce goal… Pour mon premier match contre la Juve, je monte à une demi-heure de la fin, et sur un corner, je lui dis que je vais marquer. Je ne sais pas pourquoi je lui dis ça, ce n’est pas dans mes habitudes de provoquer comme ça… Mais je ne marque pas ce jour-là. Avant mon deuxième match contre eux, je lui dis avant de monter sur le terrain que je vais lui mettre un but. Mais ça ne marche toujours pas. Puis, avant le troisième match, il vient me trouver dans le tunnel des vestiaires et il me lance : Alors, c’est pour aujourd’hui ? Ne traîne pas parce que je pars bientôt à la retraite. Après quelques minutes, je marque. Appelle Buffon, il te confirmera tout ça !

 » A l’Udinese, Sven Kums était plus qu’un coéquipier pour moi  »

Tu as rencontré Sven Kums à Udine.

PERICA : Oui et je le considérais plus que comme un coéquipier, c’était un ami. A good guy, I love him. On a gardé le contact. Il a souffert en Italie. Il a eu du mal à assimiler les subtilités tactiques de la Serie A. Quand tu dois apprendre la tactique du foot italien, tu as un peu l’impression de retourner à l’école, tellement ça peut être compliqué. Et si tu ne maîtrises pas la langue, ça n’arrange rien.

Pour un attaquant, c’est plus gai de jouer aux Pays-Bas !

PERICA : On ne parle plus de la même chose, c’est clair. L’Italie est un cas à part dans le foot mondial de haut niveau. Le meilleur exemple, c’est Cristiano Ronaldo. En Espagne, il tournait à une moyenne d’un but par match, voire un peu plus. En Italie, c’est plutôt un goal tous les deux matches. Il accumulait les doublés et les triplés en Liga mais ça ne marche pas comme ça dans le Calcio. Je ne dis pas que le championnat italien est meilleur mais il est plus défensif qu’en Espagne, en Angleterre ou en Allemagne.

Comment tu expliques le succès de la Croatie à la dernière Coupe du monde ?

PERICA : Je n’ai pas d’explication. Et personne n’en a une au pays. Terminer deux fois sur le podium du Mondial en l’espace de vingt ans, pour un petit pays de 4 millions d’habitants, ça n’a rien de logique, c’est irréel. Et qu’est-ce que je rêve de faire partie un jour de cette sélection !

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Stipe unplugged

Enfant de la guerre

 » Je suis né quelques mois avant la fin de la guerre en Croatie. Les gens en parlent encore mais je n’ai pas été baigné dans des souvenirs de guerre pendant mon enfance. Mes parents nous préservaient par rapport à ça. J’ai entre-temps joué avec pas mal de Serbes, on se respecte, je ne juge personne. La politique n’a rien à voir avec le foot.  »

Crohn

 » J’ai un frère, plus jeune, qui faisait aussi beaucoup de sport. Il aurait voulu faire une carrière de coach. Mais il a chopé la maladie de Crohn, il a perdu 25 ou 30 kilos, il est devenu anorexique. Ça l’a obligé à se réorienter.  »

Basket vs foot

 » Zadar est une ville de basket plus qu’une ville de foot, un peu comme Ostende. Tout le monde joue au basket. Ça a été mon premier sport. Le foot souffre de sa popularité. Quand Zadar gagne deux matches d’affilée, il y a 9.000 personnes dans sa salle pour le match qui suit. L’équipe de foot a beau enchaîner des victoires, ça ne déclenchera jamais le même enthousiasme.  »

Matches de gala

 » Partout où je passe, j’arrive à marquer contre les équipes les plus populaires. J’ai mis des buts ici contre le Standard, Anderlecht et Genk. Aux Pays-Bas, j’en ai mis deux contre l’Ajax. En Italie, j’ai scoré contre la Juve, l’AC Milan, Naples et l’AS Rome.  »

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