» LA SERBIE peut battre n’importe qui « 

Le sélectionneur national serbe a entrepris une vaste opération de rajeunissement de son équipe nationale : la visite de la Belgique lui permettra-t-elle d’accentuer ses ambitions ?

« Je vous en prie : installez-vous…  » : Sinisa Mihaljovic prend place avec nous dans un des salons de l’Hôtel Hyatt Regency. Elégant, bronzé, il commande du café avant de répondre à nos questions avec la précision qui fit de lui un des plus grands tireurs de coups francs du football moderne. A l’extérieur, Belgrade puise son énergie au confluent d’une rivière, la Save, et d’un grand fleuve, le Danube, qui s’unissent au pied du Parc de Kalemegdan. Là, une forteresse du Moyen Age offre un panorama exceptionnel sur une région souvent envahie au cours de son histoire.

Mihajlovic a aussi dû prendre de la hauteur pour requinquer l’équipe nationale serbe. En 2010, sur les terrains de la Coupe du Monde, elle prit la mesure de l’Allemagne, 1-0 : but de Milan Jovanovic, puis s’est éteinte. Après l’ère du brillant Radomir Antic ( 62 % de matches gagnés à la tête des Aigles Blancs), ce petit pays a été coaché sans succès par Vladimir Petrovic (ex-joueur de l’Antwerp et du Standard) et Radovan Curcic avant la prise de pouvoir de Mihajlovic.

Il a rapidement déclaré :  » Je veux décrocher quatre points pour nos deux premières rencontres de qualification pour le Mondial 2014.  » Personne ne le croyait mais il a ramené un point d’Ecosse avant d’en obtenir trois, à Novi Sad, contre le Pays de Galles. Mihajlovic sait où il va, c’est évident.

 » Ceux qui rechignent peuvent rester à la maison « 

Le temps des méga-stars serbes est révolu, n’est-ce pas ?

Sinisa Mihajlovic : Pour moi, le football est d’abord un sport collectif. Ma génération était bourrée de talents. Des joueurs comme Mijatovic, Savicevic ou moi, entre autres, pouvaient créer la différence. Nous n’avons plus de tels éléments et il faut désormais plus de discipline. De mon temps, nous n’avions pas cette rigueur et, à la longue, chacun a fait passer ses intérêts avant celui du collectif. Et cela nous a privés de succès qui étaient à portée de la main. Alors que la récolte fut souvent fabuleuse dans nos différents clubs, ce ne fut pas le cas en équipe nationale. Nous avons eu de braves gars et de bons coaches à la tête de l’équipe nationale mais pas de T1 charismatique, sauf Ivica Osim, sachant imposer ses vues à de tels joueurs. Nous avons tous commis des erreurs, moi aussi. Je ne veux pas que l’actuelle génération nourrisse des regrets plus tard. Elle vit le début de quelque chose qui peut être formidable. Cela passe par de la volonté, de la discipline et un rajeunissement des cadres. Il n’y a pas d’autres choix. Je prends ce risque, c’est voulu. Je n’ai pas 11 titulaires sous la main mais tout un effectif : chacun doit accepter de jouer, de prendre place sur le banc ou dans la tribune. Tout le monde doit respecter mes choix et tirer dans la même direction : ceux qui rechignent, je n’en ai pas besoin ; ils peuvent rester à la maison.

Le rajeunissement est radical…

Non, il correspond à une idée, à ma façon de voir le jeu. J’ai besoin de joueurs qui ont la foi. Les jeunes l’ont et savent que l’équipe nationale est source de progrès grâce aux matches internationaux. Je crois en eux. S’ils croient autant en eux que moi, il n’y aura pas de problèmes. Si je demande aux jeunes de se jeter du haut d’un building, ils doivent tous le faire et poser des questions après. C’est une image mais je veux voir cette discipline, cette motivation, ce désir de mettre ses qualités au service du groupe, cette atmosphère, cette âme sportive. Les jeunes ont des hauts et des bas, je le sais, mais je dois préparer l’avenir. J’ai des valeurs expérimentées comme Ivanovic et Kolarov : ils sont mes relais sur le terrain et doivent créer l’atmosphère. J’aime mon pays : je dois l’aider à court et à long terme. Un coach national doit être courageux.

 » Jovanovic n’est plus là car l’avenir passe par les jeunes « 

Cela fait quand même pas mal de départs, non ?

Bien sûr que Nemanja Vidic de Manchester City aurait sa place dans notre équipe nationale. Mais il a choisi de ne plus jouer pour son pays, comme Dejan Stankovic. Je respecte leur choix et je n’ai pas à les inciter à revenir sur leur décision. Le mental est très important et je veux percevoir de l’envie, c’est primordial. D’autres, comme Milan Jovanovic, dont je connais les atouts, ne sont plus là car l’avenir passe par les jeunes. C’est une nouvelle équipe. J’ai peu de temps mais c’est mon cap. C’est comme cela et pas autrement. Je ne retiens plus Nikola Zigic non plus car il ne cadre pas avec mes stratégies. Avec Zigic, la Serbie reviendrait même sans le vouloir à un jeu aérien très prononcé. Or, je veux voir autre chose.

Quoi exactement ?

Je joue toujours pour gagner. Les balles hautes, c’est pas mon truc. Je préfère le jeu court, un pressing haut, la présence dans le camp adverse. Pour moi, il n’y a pas d’autres solutions que le jeu offensif. Il ne sert à rien de bétonner, d’essayer de ne pas perdre. Au bout du compte, on n’apprend rien quand on ne tente rien. Mais, attention, l’organisation fait aussi la différence. A chaque instant, en phase offensive ou à la récupération, un joueur doit toujours savoir ce qu’il y a lieu de faire. Le résultat est sacré mais, pour moi, la qualité du jeu est primordiale. Pour un coach, il y a des défaites plus intéressantes que certains succès car l’équipe a perfectionné son jeu.

N’est-ce pas gênant de ne pas avoir de véritable attaquant de pointe ?

Oui, mais ce n’est finalement pas un problème propre à la Serbie. A part les grands pays, toutes les nations cherchent l’homme de pointe. Nous le savons, c’est un souci, mais cela ne doit pas nous empêcher d’être offensifs. Pour le moment, Filip Djuricic occupe ce poste alors que ce n’est pas toujours le cas à Heerenveen. La Serbie cherche via son collectif : tout le monde peut marquer. Le Pays de Galles s’est retourné six fois chez nous. Marko Scepovic du Partizan nous aidera car lui aussi a les qualités nécessaires pour remplir ce rôle dans mon système de jeu. On verra mais il est jeune (21 ans) comme Lazar Markovic, lui aussi du Partizan de Belgrade, et qui n’a que 18 ans.

C’est jeune…

En fait, je ne tiens pas trop compte de l’âge. A Manchester City, Matija Nastasic a été engagé à 19 ans. J’ai parlé de lui avec Mancini avant et après son transfert. D’ailleurs, entre parenthèses, Mancini et moi, on s’appelle tous les deux jours tout au plus pour converser de choses et autres. Manchester City n’a pas dépensé beaucoup d’argent pour rien. Au Real Madrid, Nastasic a joué sans peur, sans stress, comme un pro qui fait son boulot. Il est animé par la mentalité que j’apprécie. En plus du talent, je suis passionné par le mental. Je m’intéresse à l’homme qu’il y a derrière le joueur. Avec les jeunes, je perdrai peut-être un peu de qualités individuelles mais mon collectif sera meilleur. Il y a des joueurs plus doués qu’eux mais certaines facettes de leur personnalité ne me plaisent pas. J’ai cinq enfants et tous ne doivent pas être encouragés ou réprimandés de la même façon. Pour les joueurs, c’est la même chose.

 » Un sélectionneur ne choisit pas les meilleurs joueurs mais ceux qui conviennent le mieux à son football. « 

C’est-à-dire ?

Un entraîneur de club a le temps de poser ses jalons. En équipe nationale, ce n’est pas le cas. Il faut trouver le moyen de motiver les joueurs, être psychologue, rentrer dans la tête des joueurs, les comprendre. Je suis encore un jeune coach et mon travail en équipe nationale me permet de mieux cerner cet aspect de notre travail. Le mental et les complémentarités sont décisifs. J’en ai souvent parlé avec Arrigo Sacchi. A son époque, Vierchowod était un des plus grands arrières au monde Il aurait pu jouer partout mais pas dans l’équipe nationale de Sacchi : ce joueur ne convenait pas à son système. Vierchowod était meilleur que Baresi et Costacurta, Sacchi était d’accord mais il ne convenait pas à son système. Moi, je fais confiance à des joueurs dont on parle peu : ils conviennent à ce qui se met en place. Un sélectionneur national ne choisit pas les meilleurs joueurs : il retient ceux qui conviennent le mieux à sa façon de voir le football. Un coach national n’a pas beaucoup de temps.

Pour installer une autre occupation de terrain ?

Par exemple. Je pense que le 3-4-3 convient aux qualités de mes joueurs. Mais la plupart jouent avec une défense à quatre dans leurs clubs. Je n’ai pas le temps de changer cela en deux temps trois mouvements.

En examinant l’effectif serbe, on note que pas mal de joueurs ne jouent pas beaucoup dans leur club : est-ce un problème ?

Oui et non. Je préférerais qu’ils jouent plus souvent, bien sûr. Si je ne devais retenir que les joueurs titulaires à part entière dans les grands clubs étrangers, il faudrait que j’enfile un équipement pour compléter notre équipe nationale.

Au Werder Brême, Kevin De Bruyne a pris la place d’Aleksandar Ignjovski…

Je sais : De Bruyne est un grand joueur que Chelsea n’a pas acquis pour rien avant de le louer à Brême. Mais moi, si j’étais entraîneur de club avec un joueur comme Ignjovski sous la main, je l’alignerais toujours. L’équipe nationale est une source de motivation pour ces joueurs au temps de jeu limité dans leurs clubs. Ils peuvent se montrer. C’est à eux de profiter de la chance qu’ils ont.

 » La victoire reviendra à l’équipe la plus intelligente « 

Les internationaux belges jouent plus que les vôtres…

Ils sont nombreux en Premier League : Kompany, Vermaelen, Vertonghen, Fellaini, Dembele, Hazard, Lukaku et j’en oublie certainement. Tout le monde est impressionné par la cascade de talents belges, moi le premier. Et cela explique pourquoi la Belgique mérite son titre de favorite de notre groupe qualificatif.

C’est adroit de votre part…

Pas du tout, c’est ce que tout le monde pense. Maintenant, cela ne m’empêche pas de dire que la Serbie veut se rendre au Brésil. Tout est mis en place pour que ce soit possible. Au-delà de cela, une nouvelle génération prend ses marques : elle gagnera du temps en cas de qualification. Tout le monde a ses chances : la Belgique, la Croatie, la Serbie et je ne néglige personne. Pas facile de se rendre à Skopje, Cardiff ou en Ecosse. Mais, cela dit, sur papier, la Belgique monopolise l’attention, est la candidate numéro 1 à la qualification. Le terrain, c’est autre chose que le papier. Je respecte les Diables Rouges mais je ne les crains pas. Je n’ai d’ailleurs peur de personne. La Serbie est parfaitement capable de battre n’importe quelle équipe nationale. Pour cela, il faut que tout le monde respecte tout ce qui qui aura été convenu. La Belgique nous connaît parfaitement, sait où elle peut nous faire mal. Elle ne s’en privera et la Serbie n’ignore rien des atouts et des faiblesses de cette belle équipe nationale belge. Nous essayerons aussi d’exploiter tout cela, c’est de bonne guerre. En cas de victoire, elle reviendra à l’équipe qui aura fait preuve du plus d’intelligence.

L’ambiance a quand même changé en quelques semaines à Belgrade, n’est-ce pas ?

Après la mise en route, l’équipe gagne, progresse. Quand un groupe avance, cela lui appartient. Le coach est logiquement responsable si cela ne tourne pas comme prévu : ce sont ses choix et…

Je veux dire que l’ambiance vous sera à nouveau favorable au Stade Maracana de Belgrade, non ?

Si c’est le cas, ce que souhaite, je serai le premier à m’excuser publiquement après le match contre la Belgique, à retirer tout ce que j’ai dit à propos de cette ambiance. Mais si le public siffle notre hymne national ou celui de la Belgique, la Serbie ne jouera plus jamais à Belgrade tant que je serai sélectionneur national. C’est aux supporters de choisir… A Novi Sad, contre le Pays de Galles, tout s’était bien passé. Un public hostile à son équipe s’allie forcément à l’adversaire. C’est le seul pays au monde où on a pu voir cela. A l’étranger, la Serbie n’a jamais droit à de tels cadeaux. Alors, s’il faut jouer à Belgrade comme si nous n’étions pas chez nous…

 » Je veux voir 50.000 spectateurs derrière notre équipe nationale « 

Est-ce que cette bronca ne s’explique pas par le fait que le titulaire habituel entre les perches, Vladimir Stojkovic, blessé actuellement, et qui sera remplacé par Bojan Jorgacevic face à la Belgique, est un ancien de l’Etoile Rouge, mais qui évolue désormais au Partizan de Belgrade. Or, Maracana est aussi le terrain de… l’Etoile Rouge ?

Je ne sais pas si c’est la raison, il y a peut-être autre chose. Je veux voir un pays, 50.000 spectateurs derrière notre équipe nationale, c’est tout. A Novi Sad, tout le stade a chanté notre hymne national : si les spectateurs le connaissent, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas des joueurs. C’est important pour notre pays. Nous avons eu assez de problèmes. Nos joueurs applaudissent l’hymne national des visiteurs et le public en a fait de même : c’est une obligation à laquelle je tiens, l’expression de notre respect.

Adem Ljajic, que vous aviez fait venir à la Fiorentina, a refusé de chanter l’hymne serbe : il ne jouera plus en équipe nationale ?

Tout à fait, du moins tant qu’il ne chantera pas notre hymne. Cela concerne tout le monde, qui ou quoi qu’un joueur puisse être : celui qui ne chante pas notre hymne ne joue pas. Ljajic aurait sa place dans cette équipe. Quand j’ai repris l’équipe nationale, j’ai rédigé un règlement valable pour tout le monde. Les joueurs l’ont signé et se sont engagés à le suivre, y compris Ljajic. Après, Adem a refusé de chanter notre hymne. Il a ses raisons, que je peux comprendre, mais il a signé et était d’accord. Il n’a pas respecté ce qui était convenu. Dans ces conditions, je n’ai pas besoin de lui.

Marc Wilmots a déclaré que ses joueurs n’étaient pas des chanteurs mais ils ont la main sur le c£ur durant l’exécution de l’hymne national…

Chaque coach voit les choses à sa façon, j’ai la mienne. En signant un contrat de deux ans, je me suis fixé deux objectifs : la qualification pour le Brésil et donner une belle image de mon pays. Les joueurs doivent donner l’exemple.

Fameux métier qui est le vôtre depuis 2006…

J’avais eu des offres intéressantes de la Sampdoria, de l’Udinese et de Cagliari pour continuer à jouer deux ans. J’ai préféré passer à autre chose ; j’ai bien fait. J’ai été T2 de Mancini durant deux ans à l’Inter. Etre T2 à l’Inter à cette époque, c’était plus dur qu’un poste de T1 dans des petits clubs.

Zlatan Ibrahimovic a déclaré récemment que vous l’aviez beaucoup aidé : vous lui avez confié le secret de la puissance et de la précision de vos tirs à distance ?

J’ai adoré travailler avec Ibra et Ballotelli. A l’entraînement, on échange forcément des impressions, des conseils quant à la position du corps avant la frappe, etc. Ils ont travaillé dur. Après cet apprentissage, je suis devenu T1 à Bologne, à Catane, à la Fiorentina : c’est le boulot. Je me souviens de mes débuts à Catane : une défaite contre Livourne puis un succès à la Juventus. Catane s’est finalement sauvé alors que c’était mal embarqué quand je suis arrivé.

Quel est le moment le plus émouvant de votre carrière de joueur ?

J’ai gagné 16 ou 17 trophées. L’Italie représente beaucoup pour moi. Mais l’Etoile Rouge était le club de mes rêves quand j’étais jeune. La victoire en CE 1, en finale contre Marseille à Bari, avec un club de mon pays : c’est spécial, vraiment inoubliable…

PAR PIERRE BILIC

 » Tout le monde est impressionné par la cascade de talents belges, moi le premier « 

 » Celui qui ne chante pas notre hymne ne joue pas… « 

 » Je joue toujours pour gagner « 

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