LA SAGA DE L’ÉTÉ

Au milieu des volcans et à un jet du cercle polaire, le Standard a lancé sa saison européenne. Sport/Foot Magazine y était.

Pas de nuits, un coucher de soleil qui dure quatre heures (pour finalement ne jamais totalement disparaître), 10°, de la pluie. En plein été, le Standard a goûté aux charmes d’un voyage aux confins de l’Europe, à portée de main du cercle polaire. Bienvenue en Islande, ce pays trois fois plus grand que la Belgique mais qui ne compte que 320.000 habitants. C’est là que la campagne européenne belge 2013-2014 a été ouverte. Entre feu et glace, au pays des sagas, ce genre littéraire fixé sur papier au 12e siècle et qui retrace les épopées médiévales les plus racontées pendant des siècles lors des longues journées hivernales. Les noms des plus connues invitent déjà à la rêverie : La saga de Njàl, la saga des gens du Val-au-Saumon, la Völsungasaga. Peut-être que dans quelques années, ces fiers Islandais, descendants des vikings, raconteront une nouvelle épopée : celle du Standard, ce petit peuple rouche, qui, après un été agité par des querelles entre le seigneur et son peuple affamé de titres, s’est réveillé pour se mesurer au KR Reykjavik, puissance locale.

La sortie de Duchâtelet

Ce long périple débute dans les couloirs de l’aéroport de Liège. Entre enregistrements des bagages et cafés matinaux, Roland Duchâtelet, qui ne sera pas du voyage à cause d’une pleurésie mais présent pour saluer ses joueurs, fait une sortie médiatique remarquée. Le président liégeois, discret depuis deux semaines, et qui avait réussi à calmer les esprits en annonçant sa volonté d’étudier l’arrivée d’un repreneur et en prolongeant les principaux joueurs de l’équipe, est disponible et répond à toutes les questions. Posément, calmement, il réaffirme pourtant sa volonté de ne pas arrêter un processus entamé deux semaines auparavant.

 » A partir du moment où l’intégrité de mes invités est mise en danger, c’est terminé. Pour moi, le foot doit être convivial, une fête, un endroit où on peut se rendre en famille, un rassemblement de toutes les couleurs, de toutes les origines. Et sur ce point-là, je constate une différence de point de vue avec messieurs Smal et Stevens. Je n’ai jamais eu de problèmes avec les calicots mais avec la violence, oui. La cassure est donc profonde et définitive. J’ai d’autres choses dans ma vie que le Standard. Malheureusement pour eux.  »

Duchâtelet n’est par contre pas surpris que la volée de revalorisation de contrats n’ait pas convaincu tout le monde.  » Les anti-Duchâtelet disent – Ce gars-là est fou, ça va coûter beaucoup d’argent. Mais ces mêmes gens me reprochaient de ne pas être assez ambitieux et avare au niveau des contrats. Il faut savoir ce qu’on veut ! Quoi que je fasse, les anti-Duchâtelet resteront anti. Pour eux, je suis mauvais. Ils restent fidèles à leur logique. Je m’y fais. Et je remarque que certains comprennent désormais ce que je fais. Donc, cela ne va pas modifier ma manière de fonctionner. La situation n’a pas changé sauf que j’ai eu beaucoup de problèmes à prolonger les joueurs car les agents ont profité de la situation.  »

A froid, cette sortie est à la fois sincère et touchante mais aussi un peu maladroite, certains ayant assimilé cette diatribe comme une manière de remettre de l’huile sur le feu alors que la situation était à l’apaisement depuis deux semaines. Duchâtelet se veut également plus pédagogue, expliquant sa logique de revalorisation. Pour lui, il y a deux catégories de joueurs : ceux qu’il a revalorisés pour les conserver longtemps à Sclessin comme Jelle Van Damme et Kanu ( » Je veux qu’ils soient bien payés car je veux qu’ils restent longtemps et se sentent bien au Standard) et ceux qu’il a revalorisés afin de pouvoir, à terme, bien les vendre comme Imoh Ezequiel, Michy Batshuayi et William Vainqueur.

Quatre heures de vol plus tard, les joueurs, les sponsors et les journalistes qui les accompagnent découvrent Keflavik, à 40 kilomètres de la capitale islandaise. Pour la rejoindre, la route traverse des champs de lave à perte de vue. L’Islande est un magma de volcans et cela se voit. Sur 30 kilomètres, les habitations se font rares. Pas étonnant d’apprendre que certaines missions Apollo se soient entraînées en Islande. La lune ne doit pas être plus peuplée…

Le KR dispose d’une section ski, bowling et… piano

La capitale islandaise est petite. On dit d’elle qu’elle s’enflamme durant le week-end, devenant une des capitales européennes les plus festives. La semaine, c’est mort. La faute à certaines habitudes tenaces (jusque dans les années 90, c’était mal vu de sortir boire un verre la semaine, la bière n’ayant d’ailleurs été légalisée qu’en 1989). Par contre, les randonneurs pullulent. La saison touristique bat son plein et le passage de la crise économique, qui a coïncidé avec une dévaluation de la couronne islandaise de 25 %, a favorisé un boom touristique. Sur le port, les navires se refont une santé dans le petit chantier naval, entouré de restaurants de poissons.

Les joueurs, emmenés par Jean-François de Sart, chef de délégation en l’absence du président, sont logés un peu à l’écart du centre et n’ont pas le temps de profiter des beautés de l’Islande. Direction le petit stade du KR pour l’entraînement. Une seule tribune (avec… une banque comme sponsor !). Une vague ressemblance avec les clubs de D3 belge même si tout est relativement neuf, le club ayant dû changer d’emplacement pour son stade, le précédent devant laisser la place à… une bibliothèque. Sur le parking, un jeune joueur place des cônes pour délimiter deux zones. Le lendemain, ce même joueur sera remplaçant pour un match européen ! Tout le charme d’un premier tour préliminaire de l’Europa League.

 » Le KR, c’est un peu mon frère et moi « , résume Jonas Kristinsson, le frère de l’entraîneur et ancien joueur de Lokeren, Runar Kristinsson. Le KR, moins connu que le Valur et Hafnarfjördur, est pourtant le plus vieux club d’Islande (1899) et le plus titré. Pour ses 25 titres, le maillot actuel porte cinq étoiles.  » Notre premier match européen date de 1964 contre Liverpool « , explique Jonas Kristinsson.  » Depuis lors, nous avons une relation particulière avec les Reds.  » A l’origine, le KR ne concernait que le football mais avec le temps, il est devenu un club omnisports avec une section basket, handball mais également ski, tennis de table ou bowling. Une salle du club est même dédiée aux leçons de… piano. Pour la venue du Standard, cette salle a d’ailleurs été transformée en salle de presse (la veille du match) puis dédiée aux VIP et sponsors du Standard.

Le secrétariat du club comprend une petite vitrine avec écharpes, gobelets et parapluies. Ou l’ébauche d’un merchandising. Ce voyage nous replonge à l’essence même du football populaire, loin des réalités économiques du foot-business. Au KR, tous les joueurs sont amateurs. Dans l’équipe alignée face au Standard, il y a un ingénieur, un manager de magasin de pêche et d’articles de randonnées, deux employés de banque, des étudiants et un fonctionnaire de l’Etat. A la conférence de presse de Kristinsson, il n’y a que des journalistes belges.  » Vous n’avez pas de journalistes sportifs en Islande ? » demande un confrère.  » Si « , rigole Kristinsson,  » Mais ils préfèrent me téléphoner plutôt que se déplacer.  »

Des VIP choyés

Jeudi : la pluie s’invite toute la journée. Elle accompagne les sponsors et VIP lors de leur excursion. La veille, le Standard leur avait concocté un petit tour en bateau à la découverte des baleines. Ce jeudi, c’est le Blue Lagoon, source d’eau chaude dans laquelle on peut se baigner, et la zone géothermique de Seltun, d’où sortent fumées et eaux bouillonnantes. A chaque voyage européen, les sponsors sont chouchoutés par le directeur commercial, Bob Claes, et peuvent à la fois suivre l’équipe et effectuer une excursion.

Lors de la campagne européenne de 2011-2012, à Copenhague, ils se sont promenés en bateau sur les canaux de la ville et ont été invités par l’ambassadeur. A Hanovre, ils avaient visité un château et l’usine Volkswagen. A Cracovie, mines de sel et visite guidée de la vieille ville faisaient partie du programme. Ces moments de détente permettent aux chefs d’entreprise de se côtoyer dans d’autres circonstances et peuvent créer des liens utiles pour les affaires.

 » C’est mon premier voyage européen avec le Standard « , explique Bruno Venanzi, co-fondateur et administrateur délégué de la société Lampiris, qui possède une loge au Standard depuis trois ans,  » J’ai décidé de venir parce qu’il s’agissait d’un pays qui m’a toujours attiré et qui est également intéressant pour mes affaires puisque l’Islande dispose d’énergies à 99 % renouvelables. Ce type de voyage permet également de rencontrer d’autres hommes d’affaires dans un tout autre contexte que celui du match « .

Ce voyage n’a pas attiré une grande foule. 20 sponsors et VIP ont répondu présent. D’habitude, ils sont deux fois plus. Le Standard ne fait-il plus recette ? Pas du tout.  » Mais le fait que ce périple ait lieu en juillet, durant les vacances scolaires, et que le Standard n’ait découvert son adversaire européen qu’une semaine auparavant ne nous ont pas favorisé « , explique Bob Claes. Comme le tirage prévoyait soit une escapade en Irlande du Nord, soit en Islande, Sacha Feytongs, event manager, avait visité Belfast et Reykjavik pour réserver hôtels, excursions et restaurant.

 » En Islande, nous avons visité 18 hôtels. A cette période-ci de l’année, c’est très difficile d’en trouver deux pour loger joueurs et suiveurs car c’est la période touristique. C’est pour cette raison que nous revenons directement après le match « , raconte-t-il.

Ambiance fancy-fair : on garnit soi-même son hamburger

Quelques heures plus tard, tout le monde converge vers le petit stade du KR. A une heure du coup d’envoi, il n’y a personne dans la tribune de 2.500 places. La pelouse est gorgée d’eau – ce qui ralentira fortement les échanges en première mi-temps – et les barbecues à hamburger commencent seulement à crépiter. Ici, on vous fournit le hamburger. A vous, ensuite, à vous attabler pour le garnir de salade, tomates et sauce au choix. C’est convivial et familial. Un peu comme si on était invité à la fancy-fair de l’école du coin.

Là, on rencontre un groupe de jeunes belges, partis en trekking pour 15 jours en Islande et qui ont découvert la veille de leur départ que le Standard s’y déplaçait. Dare-dare, ils sont venus acheter leur place deux jours avant le match et continuent à être étonnés par l’accueil qu’ils ont reçu à la billetterie. Une heure plus tard, la tribune principale s’est remplie. Un simple ruban sépare les supporters du KR de ceux du Standard, au nombre de 30. L’hymne du KR retentit dans les enceintes et tout le stade le reprend en coeur. 40 minutes plus tard, il sera de nouveau entonné pour l’ouverture du score du KR.

Le Standard joue mal et laisse des occasions à son adversaire, qui paraît pourtant bien plus faible sur le plan technique. En deuxième mi-temps, les Rouches accélèrent et finissent par remplir leur contrat (1-3) même si la soirée est ternie par la sortie de Vainqueur, out pour cinq semaines. Geoffrey Mujangi Bia, préféré à Frédéric Bulot,confirme qu’il pourrait débuter la saison dans la peau d’un titulaire, lui qui reste sur une saison blanche à Watford. Quant à Ciman, il piaffe d’impatience sur le banc. Le coach lui a préféré Dino Arslanagic.

Après match, Luzon refuse de commenter son choix.  » C’est un choix purement footballistique « , se borne-t-il à déclarer. Le nouvel entraîneur du Standard rate une occasion de se rendre sympathique en sortant un discours convenu et langue de bois.  » La seule explication que je donne, je la dois aux joueurs. Ceux-ci ne doivent pas apprendre dans la presse pourquoi ils sont bons ou mauvais « , se borne-t-il à dire avant d’affirmer qu’il a expliqué son choix à Ciman. Celui-ci ne l’aurait donc pas appris par la presse. Contradictoire. Il semble que Luzon ait privilégié la taille et le physique d’Arslanagic face à des adversaires réputés pour envoyer de longs ballons.

Le match terminé, direction l’aéroport. Après un vol de quatre heures, le soleil belge est présent pour réchauffer tout le monde. Il est 6 h du matin mais il fait déjà plus chaud qu’à Reykjavik…

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » Guy Luzon a perdu une occasion de se rendre sympathique en n’expliquant pas ses choix de départ. « 

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