La route du Rum

Le médian congolais a pleinement rebondi après l’affaire.

Pour Matumona Zola, le conflit avec le président Johan Vermeersch n’a pas débouché sur un assommoir. Au contraire, le lutin congolais a puisé dans cette épreuve l’énergie nécessaire pour écrire quelques-unes de ses plus belles pages au Brussels. Avec double paraphe contre Oud-Heverlee, notamment, et un autre but signé à l’Excelsior Mouscron.

 » Je ne sais si l’affaire a vraiment eu une incidence heureuse sur mes prestations. Pour moi, ma méforme persistante, à l’origine des critiques émises par la direction, étaient dues plutôt à l’absence totale de vacances. Au même titre qu’Ahmed Hassan, autre joueur qui n’a nullement atteint son niveau au cours de premier tour de la compétition, j’ai été sollicité par la fédération de mon pays pour disputer l’été passé les derniers matches éliminatoires de la CAN 2008. Du 18 mai au 20 juin, j’ai livré trois rencontres internationales avec l’équipe nationale du Congo. D’abord une joute amicale contre les voisins du Congo-Brazzaville, puis deux rencontres de qualification pour la Coupe d’Afrique des Nations en Namibie et en Ethiopie. Un but de ma part nous avait permis de ramener un point précieux de notre premier déplacement, à Windhoek. Mais à Addis-Abeba, nous nous étions malheureusement inclinés ensuite par le plus petit écart. Du coup, nous devions absolument vaincre la Libye, en octobre, si nous voulions arracher notre passe-droit pour le Ghana. Hélas, la partie décisive s’est soldée par un nul. Dans le même temps, la Namibie a réussi l’exploit d’aller s’imposer dans la capitale éthiopienne. La phase finale de la CAN nous filait sous le nez. Toutes ces péripéties ont à la fois eu des répercussions sur ma condition physique et mon état mental. Ce n’est qu’à partir de novembre que j’ai le sentiment d’avoir recouvré tous mes moyens. Et sans doute y serais-je parvenu aussi sans mon fameux clash avec Johan Vermeersch.

 » Plus les Congolais sont petits, plus ils sont doués « 

On y reviendra. Dites-nous d’abord comment cette élimination de l’apothéose de la CAN 2008 avait été ressentie au Congo ?

Matumona Zola : Elle a donné lieu à un véritable drame national. Pour mes compatriotes, les Simbas sont toujours synonymes d’un petit coin de ciel bleu dans la grisaille ambiante. Après le nul contre la Libye, beaucoup ont vécu d’espoirs, malgré tout, car ils se faisaient fort que la Namibie n’irait jamais chercher les 3 points escomptés à Addis-Abeba. Mais dès que le résultat fut annoncé, les clameurs se sont évidemment tues. Le verdict était très dur à encaisser, non seulement pour le peuple mais également pour quelques-uns de mes coéquipiers. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres sélections d’Afrique noire, comme au Cameroun, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal, l’équipe nationale de mon pays présente la particularité d’offrir un mix entre les professionnels qui jouent en Europe et les amateurs qui défendent les couleurs des grands clubs du pays comme le Vita Club, Motema Pembe ou encore le Tout-Puissant Mazembe. Une phase finale de la CAN est l’occasion pour la plupart de ces garçons de se mettre en vitrine. C’est d’ailleurs dans ces conditions que moi-même, j’avais quitté mon club, à Kinshasa, pour tenter la grande aventure en Europe. Après avoir été repéré lors de l’épreuve finale au Caire, en 2006, j’avais été aiguillé vers Stoke City d’abord, puis vers le FC Brussels. En dépit de l’intervention de Trésor Lua-Lua, je n’avais pas pu obtenir de permis de travail en Angleterre. Dès lors, je m’étais rabattu vers votre pays et je ne m’en plains pas le moins du monde car j’ai énormément appris en l’espace d’une année et demie. Il est simplement dommage que d’autres n’auront pas cette opportunité, à présent, faute de qualification pour le tour final au Ghana. Pourtant, dieu sait s’il y a énormément de jeunes talentueux au Congo. A l’image de Trésor Mputu, convoité par le Standard mais qui vient d’être testé à Arsenal. Si mes informations sont bonnes, il pourrait rebondir au Betis Séville sous peu. Mais le puncheur du Tout-Puissant Mazembe de Lubumbashi n’est pas le seul joueur pétri de qualités. Une demi-douzaine d’autres gars sont dans le même cas. Comme moi, et comme Trésor Mputu, ils ne sont pas plus hauts que trois pommes. Ce qui fait dire à certains, au pays, que plus les Congolais sont petits, plus ils sont doués ( il rit).

Aux dires de vos compatriotes, vous êtes une vedette dans votre pays. Comment avez-vous accédé à ce statut ?

Il m’a fallu parcourir un bon bout de chemin pour y parvenir. Au début, pour tout dire, j’ai été perçu comme un déserteur dans ma ville natale. J’avais effectivement fait toutes mes classes à Kinshasa, à l’Ami Luanga d’abord, puis au Style du Congo avant d’aboutir dans l’un des clubs-phares de la capitale, le Vita Club. En raison de la rivalité opposant les clubs kinois à ceux de Lubumbashi, les supporters n’avaient guère apprécié que je mette le cap sur le FC Lupopo, à l’aube de la saison 2003-04. Je m’y étais résolu pour la bonne et simple raison que j’avais la perspective de gagner décemment ma vie là-bas. Lupopo est le club des chemins de fer et, à l’instar du Tout-Puissant Mazembe, il paie bien ses joueurs. Les sommes perçues sont évidemment dérisoires par rapport à ce qu’un footballeur peut palper en Europe mais je me faisais quand même un bon millier d’euros par mois. Au Vita Club, j’avais droit à la moitié de ce montant, et encore. C’était d’autant plus incroyable et révoltant que lors des derbies, il y avait toujours 120.000 personnes au stade. Les dirigeants avaient donc de quoi ristourner une petite partie de la recette aux joueurs. Après une année au Shaba, j’ai obtenu les garanties d’être mieux rémunéré et je suis alors revenu au Vita Club. Au cours des deux années que j’ai passées là-bas, entre 2004 et 06, je me suis pleinement affirmé. J’étais l’âme de l’équipe, le bon à tout faire. Je récupérais le ballon dans mon camp, dribblais tout le monde et déposais le cuir dans le but opposé. Mes aptitudes à la finition m’avaient d’ailleurs valu le surnom de Rum, le diminutif de l’ancien puncheur du Bayern Munich et de l’équipe d’Allemagne, Karl-Heinz Rummenigge, qui a toujours été mon idole. C’est durant cette période-là aussi que j’ai gagné mes galons de titulaire chez les Simbas et que j’ai été repris dans le noyau pour les besoins de la CAN 2006.

 » J’ai suivi le conseil de mon président, Laurent Désiré Kabila « 

Passer d’un stade plein à Kinshasa à l’ambiance feutrée du stade Edmond Machtens aura dû être un choc, non ?

Détrompez-vous, ce qui m’a surtout dérouté, c’est l’aspect tactique. J’ai eu besoin de deux mois pour m’y faire. Il faut savoir qu’au Congo, on ne s’embarrasse pas de toutes ces considérations. En tant que médian, j’ai toujours eu un rôle libre là-bas. A partir du moment où j’entrais en possession du ballon, je man£uvrais à ma guise. Ici, j’ai d’emblée été très surpris. Je me souviens que la toute première fois que l’entraîneur, Albert Cartier, m’a dit qu’on allait jouer le pressing, je pensais qu’il s’agissait d’un adversaire. Pour moi, le mot pressing était du même ordre que le Daring ou le Sporting ( il rit). Ce qui m’a interpellé aussi, c’est qu’au lieu de courir après le ballon, on me demandait en premier lieu de courir après l’adversaire. A Kinshasa ou à Lubumbashi, je n’avais jamais vécu cette situation. Mais j’aurais tort de me plaindre car pendant ces 18 mois au Brussels, j’ai appris davantage que durant toutes mes années au Congo. J’ai gagné en polyvalence aussi puisque le coach m’a déjà utilisé à quatre places différentes : flanc droit, gauche, régisseur et soutien d’attaque. Personnellement, j’ai un faible pour le poste de numéro 10, au service de deux avants, comme il en a été parfois avec Jean-Paul Eale Lutula et Pavel Fort. Mais je peux fort bien comprendre qu’en fonction des disponibilités, ou de la nature de l’opposant, le coach modifie ses batteries. C’est à moi à m’adapter et à me montrer flexible. Il n’empêche que je me sens tout de même plus performant dans une situation proche du but adverse. Je pense d’ailleurs l’avoir prouvé contre Oud-Heverlee et Mouscron.

Si vous aviez rompu unilatéralement votre contrat, comme il en fut question après les propos racistes de Johan Vermeersch, vous ne seriez plus à Molenbeek actuellement. Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir sur votre décision ?

Plusieurs éléments ont influé. Tout d’abord, je ne pouvais me défaire de l’impression que le président n’est pas un raciste. D’accord, il avait tenu des propos tout à fait déplacés envers moi, mais ce n’est pas quelqu’un de xénophobe pour autant. D’autre part, il y a eu aussi l’intervention du chef d’état congolais, Laurent Désiré Kabila. Il m’a gentiment conseillé de laisser tomber ma plainte au profit d’une solution à l’amiable. Mon épouse, Mbombo, abondait dans le même sens. Elle estimait qu’une procédure juridique allait durer des mois, si pas davantage. Durant tout ce temps, je me serais évidemment retrouvé sans club. Qui allait subvenir aux besoins de la famille ? Car j’ai quand même pas mal de bouches à nourrir. Non seulement en Belgique mais aussi au Congo, où résident toujours mes filles Plamédie et Mirvi, âgées de trois et un an. Mon grand frère Edouard, qui vit à La Louvière depuis 30 ans, a débloqué la situation, avec mon homme de confiance, Patrice Amougou.

 » Certaines situations me rappellent l’Afrique « 

C’est grâce à son intervention que la présente interview a pu être réalisée. Mais on s’y perd dans les méandres concernant les managers. D’après les documents que nous avions publiés dans notre numéro du 14 novembre, vous étiez sous contrat avec l’agent de joueurs Laurent Déchaux jusqu’au 15 mars 2008. Auriez-vous rompu avec lui entre-temps ?

Désolé mais je ne connais ce Laurent Déchaux que de nom. Je ne l’ai jamais rencontré. Tout ce que je sais, c’est qu’après la CAN 2006, deux personnes sont venues me trouver : Alfred Raoul, soucieux de gérer mes droits à l’image, et José de Médina, qui faisait office d’impresario. Si j’ai rompu avec quelqu’un, c’est avec ce dernier. Pourquoi ? Parce que je n’étais pas le seul joueur dont il défend les intérêts. Dans son écurie, il y a des noms plus ronflants que le mien. Je songe à Mémé Tchité, par exemple, pour lequel il est d’ailleurs intervenu à l’occasion du transfert au Racing Santander. Comme je ne voulais pas faire figure d’anonyme, j’ai choisi de me lier en octobre passé à Patrice Amougou, pour qu’il me serve au mieux.

Il y est parvenu suite à l’affaire puisque votre contrat a été revu à la hausse et que vous et les vôtres avez également obtenu une enveloppe de 20.000 euros pour préjudice moral.

C’est vous qui le dites. Pour ma famille et moi, c’est de la cuisine interne.

Vous êtes à nouveau heureux au Brussels ?

J’ai toujours été heureux dans ce club, hormis quelques jours de flottement en début de mois passé ( il rit). Pour moi, il fait en tout cas figure de transition idéale avant de rebondir ailleurs. D’un côté, j’ai eu la possibilité de retrouver pas mal de frères de couleur ici. Et puis, certaines situations me rappellent l’Afrique. Comme cette absence de lumière contre Genk. Ici, ça fait figure d’événement. Chez nous, au Congo, c’était courant ( il rit).

D’autres anecdotes ?

Des matches non joués, des avions en retard, des hôtels non réservés, c’est le genre de situations avec lesquelles tous les Africains composent. Si je dois raconter une anecdote, elle sera plutôt sportive. A l’époque où le Français Claude Leroy dirigeait la sélection, je suis entré en cours de jeu lors d’un match contre l’Ouganda. J’étais à peine sur le terrain que j’ai fait un triple une-deux avec Shabani Nonda avant de conclure. Ce jour-là, les Rum, Rum ont fusé.

Où s’arrêtera votre route ?

J’ai encore un contrat au Brussels jusqu’en 2009. J’aurai 25 ans à ce moment. Sans doute sera-t-il alors temps d’aller voir ailleurs. En Belgique ou à l’étranger. Je n’ai pas vraiment de préférence, même si la France me paraît un point de chute un peu plus approprié. Mon joueur favori joue d’ailleurs là-bas : Karim Benzema.

Qu’est-ce qui vous fait penser que le Brussels se sauvera cette année ?

Ma foi. J’ai scoré à deux reprises contre Oud-Heverlee, mais nous avons malgré tout été évincés de l’épreuve de Coupe. J’ai marqué à une reprise contre Mouscron et nous avons pris un point. Si la logique est respectée, il arrivera bien un jour où je parapherai un but qui nous rapportera trois points. Et trois points, c’est un viatique appréciable quand on lutte pour le maintien.

par bruno govers – photos: reporters/ gouverneur

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