La roulette, C’EST FINI

Pierre Bilic

Ebranlés par le scandale du casino, les Merles veulent se remettre à voler sans risquer le crash.

La capitale wallonne pétille de beauté en été et les vieux quartiers de cette ville bourgeoise sont parcourus par des jeunes de bonne humeur, très heureux probablement de fêter la fin de leurs examens. La rumeur raconte, au confluent de la Meuse et de la Sambre, que l’énorme scandale qui a secoué le casino de Namur et le club de l’Union Namur démarra suite au désir de divorcer de la femme d’un croupier. La dame aurait affirmé à la Justice que son époux gagnait bien plus que ce qui était noté sur sa feuille d’impôts…

Instantanément, les ennuis judiciaires d’ Armand Khaïda, patron du casino et président du club, éclaboussèrent forcément toute la ville. Mais quand le clan Khaïda débarqua à Namur, les rumeurs allèrent vite bon train. Ainsi, le casino fut détruit par les flammes peu après la signature du contrat de concession avec la Ville, il y a une vingtaine d’années. Certains affirment désormais que ce fut un sinistre volontaire, une mise au point de la maffia et une combine afin de reconstruire le casino grâce à la prime d’assurance. Le père d’Armand Khaïda, Jozef, d’origine pied-noir (Français nés en Algérie du temps de la colonisation française), traînait derrière lui un passé sulfureux, proche des milieux hippiques, de la jet-set de la Côte d’Azur et de Chantilly, ami d’ Alain Delon (qui fut même durant un temps administrateur du casino de Namur) et même habitué de quelques cercles mafieux et des casinos. D’ailleurs, un livre consacré à sa montée autour des roulettes connut un certain succès : Je parie que je gagne.

Quand il prit la succession de son père à la tête du casino de Namur, Armand Khaïda fit oublier la réputation bizarre de son père, installa un style cool, moderne, se lança dans le sponsoring sportif, prit la présidence de l’Union Namur. Sa présence dans le monde du sport, surtout du ballon rond, lui assura sympathie, relations, prestige, etc. Dans la presse, il s’attaqua même aux clubs ne payant pas le précompte professionnel, etc. Il jouait au chevalier blanc alors que la fraude, à grande échelle, battait son plein au casino de Namur.

Se croyait-il hors danger en faisant tourner une maison de jeux rapportant gros à la Ville, peu prudente, séduite par ce bonhomme volubile, et en s’occupant de l’Union Namur où tout le monde s’était cassé le nez ? En 2001, des gangsters enfoncèrent l’entrée du casino avec une jeep avant de dépouiller les clients. Ces bandits furent arrêtés par la suite mais leur casse entraîna pour Armand Khaïda l’obligation de placer des caméras de surveillance aux endroits stratégiques du casino.

Khaïda reste en prison

Actuellement, seul Armand Khaïda est encore sous les verrous alors qu’une trentaine de personnes avaient été arrêtées dans le cadre de la fraude au casino de Namur. Cet énorme dossier est instruit par le Procureur du Roi Cédric Visart de Bocarmé et le Premier Substitut, Bernard Appart, un solide Carolo, grand amateur de photographie, qui a soigneusement développé les films de l’enquête :  » Tout a démarré très tranquillement. Nous avions entendu parler de rumeurs de corruptions au casino, de détournements, etc. Dès le début de notre enquête, fin mars dernier, un chef de salle lâcha le morceau. Il fut tout de suite évident que l’affaire était gigantesque. Au casino, certains clients ne recevaient pas exactement le fruit de leurs gains. Mais il y avait plus grave. A l’heure de la fermeture du casino, toutes les recettes n’étaient pas déclarées. La partie détournée échappait à la ponction fiscale, aux taxes de la Ville, etc. Pour en arriver là, la direction du casino a arrosé une partie de son personnel, a rétribué illégalement des fonctionnaires, etc. C’était énorme avec, dans certains cas, des primes mensuelles comprises entre 1.000 et 2.000 euros. Mais le gros des 15 millions d’euros détournés, selon notre estimation actuelle, est dans la nature. Nous aimerions qu’Armand Khaïda nous explique où se trouve cette fortune. C’est pour cela qu’il est sous les verrous. Dans cette recherche, nous nous sommes évidemment tournés vers le sponsoring sportif d’Armand Khaïda, dont celui au profit de l’Union Namur. Là, nous avons découvert une double comptabilité. Les joueurs percevaient une partie de leur salaire au noir. Un joueur a même signé un reçu de ce qui lui avait été payé sous la table. Dans certains cas, le paiement officiel s’élevait à 850 euros en clair et 650 au noir. Il y aura des redressements fiscaux, je suppose. En plus de son sponsoring (25.000 euros), Armand Khaïda a fait entrer en dix ans une somme de 450.000 euros dans les caisses du club. Il était intéressant de savoir d’où venait et où allait cet argent « .

Depuis l’arrestation d’Armand Khaïda, le casino réalise des chiffres plantureux. Cela laisse des regrets à la Ville, qui mesure quels montants en taxes lui ont filé sous le nez. Il est vrai qu’Armand Khaïda avait l’art de se plaindre, d’évoquer la difficulté du marché, etc. On sait désormais pourquoi. Il avait largement de quoi être beaucoup plus généreux à l’égard du club. Quatre dirigeants de l’Union Namur furent inquiétés, inculpés et détenus, mais seul Armand Khaïda, l’ancien président, est encore sous les verrous. L’administration fiscale réclamera son dû (précompte professionnel, ONSS) à l’ASBL qui gère le club et aux joueurs ayant éludé l’impôt.

Quand Armand Khaïda se retrouva dans l’impossibilité d’apporter de l’argent noir du fait du placement de caméras dans le casino, il obtint des subsides de la Ville qui, selon la justice, servaient à payer les salaires occultes des joueurs, du staff technique, etc. Le Collège conteste cette affirmation du Parquet mais il semble bien que les autorités politiques, ayant un commissaire de la Ville dans le club (l’Echevin des Sports), ne furent pas très éveillées.

Actuellement, la situation est très claire : si la nouvelle direction du club paye ses différentes ardoises fiscales et autres, la survie du vieux club namurois ne devrait pas être mise en jeu. Mais on parle quand même d’une dette totale de 300.000 euros !

 » J’ai reçu une merde à gérer  »

Jean-Claude Baudart, 43 ans, le nouveau président, estime que le football peut refaire son trou à Namur. Mais, pour cela, il faudra que l’Union change du tout au tout, soit enfin gérée sereinement.

Homme d’affaires en vue dans l’agro-alimentaire et le catering (14.000 repas par jour), il donne du travail à 102 personnes, fonce d’un rendez-vous à l’autre et ne quitte jamais son agenda tandis que son portable ne cesse de sonner.

 » Le football a toujours été une de mes passions « , dit-il.  » J’ai porté le maillot d’Achêne, en P1, et je me suis également intéressé de très près à l’arbitrage. J’étais un des espoirs de ma province aux côtés, notamment, de deux autres Namurois, Amand Ancion et Eric Blareau. A un moment, mes obligations professionnelles ont pris le dessus sur mes ambitions sportives. Plus tard, ma société BD Food s’est occupée durant deux ans du catering au Sporting de Charleroi, puis à l’Union Namur. Quand Armand Khaïda s’est retrouvé aux prises avec la Justice, j’ai décidé d’agir, de reprendre le club en sachant que ce ne serait pas facile mais avec la volonté de sortir le club de ce mauvais pas, d’enfin le gérer comme il se doit, de l’inscrire dans une ambition digne de cette région qui bouge. L’Union Namur doit changer d’époque. Cette ville mérite au moins d’avoir un club de D2. Pour y arriver, il faut tourner la page. Mon action sera socio-économique. Quand quelqu’un s’investit dans un club, il peut y avoir plusieurs raisons. Cela peut être une façon de blanchir de l’argent, d’investir du noir pour assouvir sa passion ou de se forger une image de marque intéressante pour ses affaires. Enfin, il y a les passionnés. Je fais partie de cette catégorie. Mon business tourne bien et je n’ai pas besoin du football. Je ne mise pas sur la proximité, et un apport de nouvelles clientèles me poserait de gros problèmes. Mais des centaines de jeunes pratiquent leur sport préféré à Namur : il n’était pas question de les laisser sans rien. Cela dit, début mai û et je pèse mes mots û, j’ai reçu une merde à gérer. On m’a menti avant que je ne prenne ma décision et cela me fait mal. On ne m’avait jamais trompé de cette manière mais cela n’a pas entamé mon intention de mener ce combat à bien. Je ne suis pas né d’hier et, quand on m’a parlé d’un budget sportif de 175.000 euros, je me suis douté qu’il y avait évidemment des salaires au noir « …

On en vient évidemment à la question cruciale : l’ardoise du club.

 » Pour commencer, nous devions 100.000 euros à l’ONSS « , dit Baudart.  » En mai, quand j’ai repris le club, il était question d’un retard d’un mois dans le paiement des salaires des joueurs. Mais, en réalité, le passif s’élève à 300.000 euros car l’ONSS exige plus et la liste des créanciers s’est allongée, de l’autocariste au boucher, etc. C’est l’administration fiscale qui se montre la plus acharnée. Nos problèmes vont se régler, j’en suis sûr, car nous entamons une nouvelle page de l’histoire de ce club. Le but est de rendre l’Union aux Namurois, de responsabiliser tout le monde, de faire participer toute la population à la vie et à la façon de gérer le club. Du temps d’Armand Khaïda, le club était géré par deux personnes qui tenaient tout en mains et on sait désormais pourquoi. Un créancier peut demander la dissolution de l’ASBL qui chapeaute le club mais on n’en arrivera pas là. Je crois que tout le monde se rend compte que le club a été pris en otage et a servi à une personne pour s’implanter à Namur et s’y payer, à bon compte, une bonne réputation. Personne ne pouvait se douter de ce qui se passait. La grosse affaire concerne le casino mais le club a été pris dans la tourmente. Je me demande même s’il n’y a pas eu plus d’articles consacrés au club qu’au casino. Les dégâts en termes de réputation du club sont importants mais, là aussi, nous inverserons la tendance. L’Union Namur va toutefois payer durant cinq ans la gestion d’Armand Khaïda « .

Pierre Bilic

 » Le gros des 15 MILLIONS D’EUROS DÉTOURNÉS reste dans la nature  » (le Premier Substitut Bernard Appart)

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