La révolution

Au Parc Astrid, la griffe du coach hollandais est déjà perceptible, contrastant singulièrement avec celle de son devancier, Ariel Jacobs.

LA TACTIQUE Le 4-3-3 à la place du 4-2-3-1

Fini le 4-2-3-1 cher à Ariel Jacobs, avec deux pare-chocs devant la défense ( Lucas Biglia et Sacha Kljestan) et préséance, au départ, à un dispositif en 4-3-3 où l’Argentin officie seul en tant que récupérateur. Le triangle du milieu, avec MatiasSuarez en position la plus avancée la saison passée, fait donc place à une nouvelle approche avec deux éléments à inclinaison offensive : en l’absence de Mati, blessé, il s’agit de Kanu à gauche et du jeune Dennis Praet à droite . Ou encore Guillaume Gillet, qui peut être utilisé comme infiltreur à la même place.

Ce dispositif new-look fait les choux gras de deux joueurs en manque de temps de jeu en 2011-2012 : le Brésilien, revenu en forme lors des play-offs, mais contraint à un rôle de spectateur avant cela, et le grand espoir du Sporting, lancé de manière très épisodique en Première jusque-là. En revanche, un élément n’a pas de quoi pavoiser : Kljestan. Assuré d’une place de titulaire indiscutable tout au long de la défunte campagne, l’Américain est victime du sacrifice d’un médian défensif. Au même titre que les autres dans cette fonction : Bedi Mbenza et Lukas Marecek.

L’option de John van den Brom est, en soi, révolutionnaire. Si l’on ne s’en tient qu’à une analyse depuis le début de ce millénaire, on relève qu’à l’ère Aimé Anthuenis, le RSCA s’appuie souvent sur deux contrôleurs ( Yves Vanderhaeghe et Besnik Hasi) et qu’au besoin, un troisième homme en la personne de Walter Baseggio est parfois appelé à la rescousse pour prêter main forte à la ligne arrière. Cette approche-là a d’ailleurs permis au club de passer l’obstacle du FC Porto au 2e tour qualificatif de la Ligue des Champions en 2000-2001. Plus tard, avec Hugo Broos d’abord , puis Frankie Vercauteren aux commandes, c’est le tandem Biglia- Jan Polak qui est à l’honneur. Avant d’aboutir au fameux duo en vigueur avec Jacobs. On peut donc parler d’une innovation historique dans le cas présent.

Du 4-3-3 au 4-4-2

Entrée en matière en championnat, à Courtrai. Premier accroc face à une équipe qui met résolument le pied et qui prend l’avance sur un coup franc exploité par Ervin Zukanovic. A 1-0 en faveur des Flandriens, et avec encore une bonne demi-heure à jouer, le coach hollandais décide d’utiliser les grands moyens : exit Reynaldo et Milan Jovanovic, trop discrets à ses yeux, et place à Sacha Iakovenko et Tom De Sutter. Si l’Ukrainien remplace Jova poste pour poste, la montée au jeu du joueur flandrien entraîne le passage du 4-3-3 au 4-4-2. Avec deux hommes en attaque, le Sporting est d’emblée plus performant. S’il finit par arracher le nul en fin de partie par Olivier Deschacht, c’est compter aussi sur un penalty manqué de Dieumerci Mbokani. Sans quoi, le Sporting prend trois points au lieu d’un au KVK.

La compo avec un duo aux avant-postes plaît tellement à JVDB qu’il la reconduit depuis lors de match en match. Ici aussi, l’option fait des heureux et des déçus. Dans le premier camp, il y a De Sutter. L’attaquant est revenu de très loin : allez savoir pourquoi, il n’est jamais entré dans les grâces de Jacobs. Avec le Hollandais, Babyface revit et refait comme par hasard parler la poudre. La preuve contre Ekranas, au match aller, quand il marque le but d’ouverture. Et il peut en inscrire aisément trois autres si le sort lui est un peu plus favorable ce soir-là.

A ses côtés, Dieu apparaît transformé aussi. S’il a terminé 2011-2012 en force, le Congolais a souvent eu du mal à se situer dans le 4-2-3-1. C’est qu’il n’hérite pas de bons ballons distillés des flancs, car Jova, dans son rôle hybride à gauche, est régulièrement assis entre deux chaises (construction et récupération) et qu’il n’en va pas autrement pour Gillet de l’autre côté. Et il ne faut pas espérer une aide des backs.

Du 4-4-2 au 2-4-4

Sous la houlette de Jacobs, ceux-ci doivent penser avant tout défensivement. Au total, Anderlecht c’est donc, sur le papier, 60 % de prudence et 40 % de pénétration, due au quatuor posté de l’autre côté de la ligne médiane. A la nuance près que deux de ceux-là sont aussi chargés de se replier. Sans le génie du Congolais et de Mati, il est dur de faire la différence dans ces conditions.

A présent, avec un pivot à ses côtés, Dieu est sur un nuage. Au lieu de deux, voire davantage encore d’arrières à ses basques, il se retrouve régulièrement en situations d’un contre un. Et il fait alors plus facilement la différence. Le constat saute aux yeux au Cercle Bruges avec un hat-trick. Cinq ans qu’il n’a plus vécu ça. Merci De Sutter. Merci aussi à Dennis Odoi, qui lui offre le but d’ouverture sur un plateau d’argent. Signe, là aussi, d’un fameux changement de philosophie.

Avec Van den Brom, les backs ne doivent plus se contenter de l’aspect défensif. Ils ont aussi une tâche offensive à assumer. Toujours face aux Lituaniens, au Parc Astrid, le premier but de De Sutter vient d’une montée de Behrang Safari. Un latéral qui, comme son compère d’en face, a déjà plus souvent atteint la ligne de fond cette saison que sur l’ensemble de l’exercice passé. Une pénétration qui, à y regarder de plus près, s’avère payante. Comme sur le dernier but de Jova face à Ekranas, après une balle en retrait d’Odoi dans la surface de réparation. Petites causes, grands effets. D’une approche prudente, avec 6 hommes derrière le ballon, le Sporting évolue aujourd’hui avec 2 infiltreurs au centre et 2 backs servant de relais aux hommes des couloirs. En phase offensive, ce 4-4-2 se mue dès lors en 4-2-4 voire en 2-4-4. Du jamais vu ces dernières années.

Et l’approche est payante. Contre Mons, samedi passé, Odoi offre ainsi son quatrième ballon décisif de la saison, à Sacha Iakovenko cette fois. Un autre gars revenu du diable-vauvert. Sous Jacobs, l’Ukrainien est chargé d’aller voir ailleurs. Il fait des piges à Westerlo puis à Oud-Heverlee Louvain. Au départ de cette campagne, il a toujours l’air en balance. Sauf pour JVDB qui voit en lui le stand-in idéal pour Jova. Une appréciation qu’il confirme d’ailleurs après le match contre les Dragons : en dépit de l’intérêt pour lui, il n’est pas question que le tsar quitte le Parc Astrid. Et quand le coach avance quelque chose, il s’y tient.

LA GESTION On repart de zéro

Van den Brom débarque sans idées préconçues. Ou presque. Mais celles-ci, à l’évidence, ne sont que positives. Comme la bonne impression laissée par Kanu sur tous les DVD qu’il a visionnés. Ou la richesse offensive du noyau. Mais le gros, il doit le découvrir. Et avertit immédiatement que, pour lui, tout le monde repart de zéro. Dans son chef, ce ne sont pas des propos lancés en l’air : l’homme joint bel et bien le geste à la parole.

Dès les premiers matches de préparation, il profite de l’absence de certains joueurs en lice encore à l’EURO et des congés prolongés des Sud-Américains pour procéder à un screening très large. Avec quelques joueurs que les non-initiés ne connaissent pas : Bruno Godeau, Massimo Bruno ou Bryan Verboom, par exemple. Son but est de se former une idée précise sur chacun d’entre eux.

Idem pour les recalés, comme Pablo Chavarria, Dalibor Veselinovic, Reynaldo et Iakovenko. Tous, sans exception, ont droit à du temps de jeu. A eux de saisir leur chance. Les deux premiers n’accrochent pas le train en marche. Les deux autres, par contre, arrivent à l’agripper.

Ils ne sont pas les seuls à jubiler : De Sutter et Odoi sont aux anges aussi. L’ancien joueur du Cercle n’en fait pas mystère en fin de saison passée : son avenir est fonction de la reconduction ou non du contrat de Jacobs. S’il rempile, le puncheur ne tient pas à faire de vieux os au Parc Astrid. Et pour cause : il a toujours été snobé comme pas permis par le Diegemois. Un total famélique de 14 titularisations sur les deux dernières saisons ; ce sont des chiffres qui en disent long sur le peu d’estime pour lui. Quant aux bribes de matches, c’est plus tristounet encore. Parfois, le gars est appelé au jeu pour une poignée de secondes à peine. Et on n’ose jurer que c’est pour permettre au remplacé de tirer sa révérence sous les applaudissements nourris du public.

Odoi, lui, s’est imaginé autrement sa première saison anderlechtoise. Pour lui aussi, les débuts à OHL (son club formateur) sonnent l’hallali : renvoyé avant terme, il perd sa place au profit de celui qu’il est censé doubler, Marcin Wasilewski. Il doit pour ainsi dire attendre les play-offs pour être à nouveau en odeur de sainteté. Il n’empêche qu’un an sur le banc, ça laisse des traces. Lassé par le dug-out, le Brabançon n’est pas réfractaire non plus à un changement d’employeur si Jacobs est maintenu. Heerenveen, au courant de ses déboires, est d’ailleurs preneur. Finalement, le départ de l’entraîneur l’arrange et notre homme repart du bon pied dans un système où il peut donner libre cours à son tempérament offensif. Avec des stats impressionnantes après une poignée de matches à peine.

Le franc-parler

Le nouveau coach dit ce qu’il pense et pense ce qu’il dit. Il est adepte du parler vrai. Dès le déplacement à Courtrai, Jova en a un petit aperçu. Sorti à la 57e minute, au profit de Iako, il avoue après coup ne pas vraiment comprendre les motivations du T1 sur ce changement.

Réponse de JVDB : le joueur n’a jamais été dans le coup, il est donc normal que je le retire du terrain. Voilà encore une fois une attitude qui tranche avec la réticence de son prédécesseur à toucher à l’une ou l’autre vedette et, surtout, à son habitude de noyer le poisson quand on lui demande des explications en la matière.

Toujours dans le même match, il y a la saga du penalty à mettre en exergue. En principe, c’est à Gillet de le tirer. Mais Dieu se sent bien sur ce coup-là et décide de secouer la hiérarchie. Réaction du coach face à la presse : il a un £uf à peler avec les trois préposés aux pénos car il n’apprécie pas trop les arrangements derrière son dos. Du coup, c’est le Liégeois qui s’y colle. Pas vraiment avec succès car il rate sa conversion tant contre le Beerschot que face à Ekranas. De quoi faire dire à son entraîneur que cette situation frisetoutdoucementleridicule. Et il en remet une couche encore après le match contre l’Albert. On ne voit pas directement Jacobs faire ça.

En matière de communication, la différence est flagrante entre les deux bonshommes. Avec l’ancien, il faut toujours tout décrypter. Un penalty raté – du Gantois Bryan Ruiz cette fois – qui prive Anderlecht du titre, suscite la réflexion chez le coach qu’il en pense  » beaucoup, beaucoup, beaucoup « . Dans un mélange d’ironie, avec une pointe de cynisme et une dose de sarcasme. Quand JVDB utilise trois fois le même terme d’affilée, c’est pour avancer que sur les trois années de son mandat, Anderlecht sera  » champion, champion, champion « . Difficile d’être plus clair.

En prévision du match aller contre Ekranas, il ne s’embarrasse pas de fioritures non plus par rapport à des devanciers qu’on a connus autrement plus frileux. La différence doit se faire à domicile et un score de 2-0 lui semble le minimum syndical. Comme les événements sont favorables sur le terrain, il ordonne à ses joueurs  » quatre buts ou rien « . En déplacement en Lituanie, il refuse à nouveau de jouer avec le frein à main, même si quelques éléments sont ménagés, vu le score-fleuve de l’aller. Mais même avec Sacha Kljestan et Bedi Mbenza dans l’équipe, c’est 0-6 au marquoir. Avec le même goût prononcé pour l’offensive avec d’autres titulaires.

Au sein de la cellule scouting, on apprécie également sa franchise. Après 4 ans et demi sous Jacobs, quelques-uns en ont manifestement soupé. Dans ses desiderata, le Diegemois ne va jamais à l’essentiel : il se contente toujours, soi-disant, de ce qu’on lui donne. Ce n’est qu’à l’autopsie qu’il se fait entendre. Tantôt il déplore avoir obtenu un médian droitier en la personne de l’Américain, alors que c’est un gaucher qu’il réclame. Tantôt encore il veut un bon back sur le flanc et regrette devoir composer avec Diogo et Safari.

Avec John van den Brom, les prospecteurs et décideurs savent à quoi s’en tenir. Pour lui, c’est Niklas Moisander et rien d’autre comme ajout en défense. C’est ce gars-là sa priorité, loin devant Olof Mellberg, Joao Carlos ou Timothy Derijck qu’on lui propose en tant que solutions de rechange. Pas besoin de parier : Cheikhou Kouyaté a beau être sur le départ ou non, si un joueur doit débarquer, ce sera l’arrière de l’AZ et personne d’autre. Foi de JVDB !

PAR BRUNO GOVERS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Au sein de la cellule scouting, on apprécie sa franchise : après 4 ans et demi sous Jacobs, quelques-uns en ont manifestement soupé. « 

 » Si on analyse le dispositif de ses prédécesseurs, l’option de John van den Brom est, en soi, révolutionnaire. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire